Ovid. Metam L. IV. 294.
Il se plaisoit à parcourir mille endroits
& à voir des Fleuves qui lui étoient inconnus, & il avoit
une si grande passion pour cela, qu’elle servoit à diminuer sa
fatigue.
L’habileté d’un Ecrivain paroit dans le choix de ses Allusions, qui
doivent être agréables & tirées presque toûjours des grands ou
des beaux Ouvrages de l’Art ou de la Nature ;
car, quoi que tout ce qui est nouveau ou extraordinaire plaise à
l’imagination, puis que le but principal d’une Allusion est
d’illustrer & d’éclaircir les Passages d’un Auteur, elle devroit
toûjours être empruntée de ce qui est plus connu que les Passages
mêmes qu’elle sert à expliquer.
Les Allégories bien choisies sont autant de traits de lumiere dans un
Discours, qui donnent de l’éclat & de la beauté à tout ce qui
les environne. Une belle Métaphore placée à propos darde aussi une
sorte de raïons dans tout son voisinage, & répand quelque lustre
sur un Paragraphe entier : Ces différentes sortes d’Allusions ne
sont qu’une espéce de Similitude ; mais, afin qu’elles plaisent à
l’imagination, il faut que la ressemblance soit fort exacte, ou fort
agréable, comme nous aimons à voir un Portrait où la ressemblance
est juste, où l’air & les attitudes ont quelque chose de
gracieux. Il y a de célébres Ecrivains qui manquent beaucoup à cet
égard & des Savans du premier ordre qui tirent leurs
Comparaisons & leurs Allusions des Sciences qui leur sont les
plus familieres ; en sorte qu’on peut voir toute l’étendue de Cartesiens. Tout au
contraire, les Gens occupez des affaires du Monde ont recours à des
Exemples trop bas & trop familiers. Ils engagent un Lecteur à
voir jouer aux Echecs ou à la Paume ; ils le conduisent de Boutique
en Boutique, & l’entretiennent d’un stile particulier à chaque
Métier ou chaque Profession. Il est certain qu’on peut trouver une
infinité d’Allusions fort agréables dans l’une & l’autre de ces
deux Sources ; mais on puise d’ordinaire les plus divertissantes
dans les Ouvrages de la Nature, qui sont à la portée de tous les
Esprits, & plus agréables que tout ce qu’on voit dans les Arts
& les Sciences.
Le talent d’afecter ainsi l’imagination est ce qui donne du relief au
bon Sens même, & qui rend les Ouvrages d’un Homme plus agréables
que ceux d’un autre. Il sert de lustre à tous les Ecrits en
général ; mais il est l’ame & le tout de la Poësie. Il a
soutenu, durant bien des Siecles, divers Poëmes, où il brille au
plus haut degré, & qui n’ont que cela seul qui les recommande au
Goût du Public ; mais toute Piece, où il manque, paroit séche &
insipide, quoi qu’on y voie d’ailleurs toutes les autres
Nous avons découvert à present les différentes sources, d’où viennent
les Plaisirs de l’imagination ; & peut-être qu’il ne seroit pas
bien difficile de ranger, sous certains Chefs généraux, les Objets
contraires, qui lui causent du Dégoût & de la Terreur ; puis
qu’elle n’y est pas moins sensible qu’au plaisir. Lors que le
Cerveau est blessé par quelque accident, ou que l’Esprit est fatigué
par des Réves ou la Maladie, l’imagination est pleine de tristes
idées, & d’un million de Monstres affreux qu’elle se forme &
qui l’épouvantent. C’est ainsi que Virgile
nous dit, Penthée
hors du sens croïoit voir des armées de Furies à
ses trousses, le Soleil double &, deux Villes de
Thebes ; qu’Oreste, fils d’Agamemnon, célébre
dans les Tragédies, prit la fuite dès qu’il eut tué sa Mere ;
qu’il crut la voir courir après lui armée de Flambeaux & de
Serpens, & que les Furies vengeresses le poursuivoient par
tout, jusques dans les Temples.
Euminidum
veluti demens videt agmina Pentheus,
Et Solém geminum, & duplices se ostendere Thebas :
Aut Agamemnonius Seems agitatus Orestes,
Armatam facibus matrem, & serpentibus atris,
Cùm fugit, ultricésque sedent in limine Dirsæ.
Il n’y a point d’Objet plus mortifiant dans la Nature que
celui d’un Homme, dont l’imagination est troublée, & qui a
l’Esprit en desordre. Babylone, avec toutes ses ruines, ne forme pas
un si triste Spectacle. Mais, pour en détourner la vûe, je
remarquerai ici, par voie de Conclusion, que cette Faculté donne un
avantage infini sur nos Ames à un Etre tout-puissant, & qu’elle
nous rend capables de recevoir un haut degré de Bonheur, ou de
Misere. Nous avons déjà vû l’influence qu’un Homme a sur
l’imagination d’un autre, & avec quelle facilité il y peut
introduire diverses idées ; quel ne sera donc pas le pouvoir de
celui qui connoit toutes les manieres d’afecter l’imagination, qui
peut la remplir des idées qu’il veut, & accompagner ces idées de
tel degré de terreur ou de plaisir qu’il juge à propos ? II peut
exciter des Images dans l’Esprit sans le secours des Paroles, &
nous mettre différentes Scénes
O.