Hor. L.
II. Epist. II. 140
La plus agréable illusion que l’Esprit puisse
jamais avoir.
Composition enchantée, qui est sans contredit la plus
difficile de toutes celles qui dépendent de l’Imagination du Poëte,
parce qu’il n’a point de Modèle à suivre, & qu’il doit tirer
tout de son propre fonds.
Cette sorte de Composition demande un tour d’Esprit fort singulier,
& il est impossible qu’un Poëte y réüssisse, s’il n’a une
imagination naturellement féconde & superstitieuse. D’ailleurs
il doit être bien versé dans les Légends & Fables, les Romans
surannez & les Contes de Nourrices & de Vieilles, pour
s’accomoder avec nos Préjugez, & entretenir ces Idées que nous
ayons reçues dans notre Enfance. A Horace a dit :
Les
Faunes tirez de leurs Forêts sur la Scène doivent, à mon sens,
prendre garde de s’exprimer aussi poliment que nos Romains, &
d’affecter jamais des manieres de parler tendres &
galantes ; mais ils doivent sur tout s’absentir de ces mots
infames qui blessent les oreilles des Gens de qualité, quoi
qu’ils divertissent la canaille.
Hor. A. R .vs.
244Sylvis deducti caveant, me judice,
Fauni,
Je ne dis pas, avec C’est le Nom qui est donné à Mr. Dryden dans cette Piéce
satirique. Voïez la Note qui est dans le I. Tome, p.
22.Mr.
Les anciens Poëtes Chrétiens n’on pas beaucoup écrit dans ce goût-là,
& il faut avouer que presque toute la substance de cette
Composition doit son origine aux ténèbres superstitieuses des
Siècles posterieurs, lors que les Fraudes pieuses étoient emploiées
pour amuser les Hommes, les éfraïer, & les rendre par-là
sensibles à leur devoir. Nos Ancêtres regardoient la nature avec
plus de respect & d’horreur, avant que les Sciences & la
Philosophie eussent éclairé le Monde, & ils aimoient à
s’intimider par la crainte des Sortileges, des Prodiges, des Charmes
& des enchantemens. Il n’y avoit pas un seul Village en Angleterre qui n’eût un Esprit folet, tous
les Cimétieres étoient remplis d’Ames des trépassez, chaque Commune
de quelque étendue avoit un Cercle de Fées qui lui apartenoit, &
l’on trouvoit à peine un seul Berger qui n’eût vû quelque
Phantôme.
Entre tous les Poëtes de cet ordre, nos Anglois sont de beaucoup les meilleurs, par tout ce que
j’ai vû du moins jusques-ici, soit que nous aïons plus de Contes de
cette nature, ou que le Genie de notre Païs soit plus propre à cette
sorte de Composition. Anglois sont naturellement Fantasques
& Visionaires ; d’une humeur sombre & mélancholique, &
par-là très-disposez à se former quantité d’idées
Anglois, Journal
Literaire
de la Haye, Tome IX. p. 202, &c.Shakespear
l’emporte infiniment au-dessus de tous les autres. Cette noble
extravagance de l’Esprit, qu’il possedoit au suprême degré, le
rendoit capable de toucher ce foible superstitieux de l’imagination
de ses Lecteurs, & de réussir en de certains endroits, où il
n’étoit soutenu que par la seule force de son propre Genie. Il y a
quelque chose de si bizarre &, avec tout cela, de si grave dans
les Discours de ses Phantômes, de ses Fées, de ses Sorciers & de
ses autres Personnages chimeriques, qu’on ne sauroit s’empêcher de
les croire naturels, quoi que nous n’aïons aucune Regle fixe pour en
bien juger, & qu’on est contraint d’avouër, que, s’il y a de
tels Etres au Monde, il est fort probable qu’ils parleroient &
agiroient de la maniere dont il les a representez.
Il y a une autre espèce d’Etres imaginaires, que nous trouvons
quelquefois chez les Poëtes, lors qu’ils representent les Passions,
les Apétits, les Vertus ou les Vices sous une Figure visible, &
qu’ils en font des Personnes ou des Acteurs. Telles sont, par
exemple, la Faim & l’Envie dans Ovide,
la Renommée dans Virgile, le Peché &
la Mort dans Milton. Nous Journal Literaire
de la Haye, Tome IX. p. 188Spencer, qui avoit un talent merveilleux à cet égard.
C’est ainsi que les Poëtes s’adressent à l’imagination par divers
endroits, & qu’ils n’ont pas seulement toute la Nature à leurs
ordres, mais qu’ils forment de nouveaux Mondes, qu’ils donnent la
vie à des Etres inconnus, & qu’ils personalisent tout, jusques
aux Facultez de l’Ame.
Discours qui vont suivre, j’examinerai en
général quelle est la nature des autres Ecrits capables de plaire à
l’imagination, & c’est par-là que je mettrai fin à mon Essai.
O.