L. Discours Anonym Moralische Wochenschriften Michaela Fischer Editor Martin Stocker Editor Katharina Tez Editor Institut für Romanistik, Universität Graz 09.01.2014 info:fedora/o:mws.2320 Anonym: Le Spectateur français ou le Socrate moderne. Tome IV. Amsterdam: Frères Wetstein 1720, 300-305, Le Spectateur ou le Socrate moderne 4 050 1720 Frankreich Ebene 1 Ebene 2 Ebene 3 Ebene 4 Ebene 5 Ebene 6 Allgemeine Erzählung Selbstportrait Fremdportrait Dialog Allegorisches Erzählen Traumerzählung Fabelerzählung Satirisches Erzählen Exemplarisches Erzählen Utopische Erzählung Metatextualität Zitat/Motto Leserbrief Graz, Austria French Theater Literatur Kunst Teatro Letteratura Arte Theatre Literature Arts Teatro Literatura Arte Théâtre Littérature Art France 2.0,46.0

L. Discours

mentis gratissimus error.Hor. L. II. Epist. II. 140

La plus agréable illusion que l’Esprit puisse jamais avoir.

De la Composition enchantée, & du plaisir qui en revient l’Imagination.

Il y a une sorte de Composition, ou le Poëte perd la Nature tout-à-fait de vûe, & où il entretient ses Lecteurs des Caractères & des Actions de certaines Personnes, dont la plûpart n’ont d’autre existence que celle qu’il veut bien leur donner. Telles sont les Fées, les Sorciers, les Magiciens, les Démons, & les Esprits séparez de leurs Corps. C’est ce que Mr. Dryden apelle la Composition enchantée, qui est sans contredit la plus difficile de toutes celles qui dépendent de l’Imagination du Poëte, parce qu’il n’a point de Modèle à suivre, & qu’il doit tirer tout de son propre fonds.

Cette sorte de Composition demande un tour d’Esprit fort singulier, & il est impossible qu’un Poëte y réüssisse, s’il n’a une imagination naturellement féconde & superstitieuse. D’ailleurs il doit être bien versé dans les Légends & Fables, les Romans surannez & les Contes de Nourrices & de Vieilles, pour s’accomoder avec nos Préjugez, & entretenir ces Idées que nous ayons reçues dans notre Enfance. A moins de cela, il court risque de faire parler ses Fées comme des Individus de notre Espèce, & non pas comme des Etres d’une autre nature, qui conversent avec de tout autre Objets, & qui pensent d’une maniere différente de celle du Genre Humain. De là vient qu’Horace a dit : Les Faunes tirez de leurs Forêts sur la Scène doivent, à mon sens, prendre garde de s’exprimer aussi poliment que nos Romains, & d’affecter jamais des manieres de parler tendres & galantes ; mais ils doivent sur tout s’absentir de ces mots infames qui blessent les oreilles des Gens de qualité, quoi qu’ils divertissent la canaille.

Hor. A. R .vs. 244Sylvis deducti caveant, me judice, Fauni,Ne velut innati triviis, ac penè forenses,Aut nimium teneris juvenentur versibus umquam,Aut immunda crepent, ignomioniosáque dicta.

Je ne dis pas, avec C’est le Nom qui est donné à Mr. Dryden dans cette Piéce satirique. Voïez la Note qui est dans le I. Tome, p. 22.Mr. Bays dans la Repetition, que les Esprits ne doivent pas être confinez à parler sensément ; mais il est certain que leur bon Sens doit être un peu déguisé, afin qu’il paroisse plus singulier, & propre au Caractère & à l’état de celui qui parle.

Ces Descriptions excitent, dans l’Esprit du Lecteur, une espèce d’horreur agréable, & amusent son imagination par la singularité & la nouveauté des Personnes qu’on y voit representées. Elles rapellent à notre mémoire les Contes qu’on nous a faits dans notre Enfance, & servent d’apui à ces terreurs secretes auxquelles l’Esprit de l’Homme est naturellement sujet. Nous nous plaisons à voir la diversité des Habits & des mœurs dans les Païs étrangers ; mais la surprise ne doit-elle pas être plus agréable, lors qu’on nous conduit, pour ainsi dire, dans un nouveau Monde, & que nous y voïons des Personnes & des manieres toutes différentes de celles de notre Espèce ? Il y a des Hommes d’un cerveau froid, ou d’un Esprit philosophique, qui objectent contre cette sorte de Poësie, qu’il n’y a pas assez de probabilité pour toucher l’imagination. Mais on peut leur répondre, que nous sommes assurez ; en général, qu’il y a, dans le Monde, une infinité d’Etres Intellectuels, & divers Ordres d’Esprits, sujets à d’autres Loix que celles qui ont été données aux Hommes, & qui vivent sous différentes Economies ; Ainsi, lors qu’on nous en represente quelques uns au naturel, nous ne saurions concevoir que la chose est tout-à-fait impossible ; Que dis-je, il y a des Personnes prévenues de certaines Erreurs, qui les disposent à croire ces Illusions ; du moins nous en avons tous entendu faire de si plaisans Contes, que nous ne nous soucions pas d’en pénétrer le mensonge, & que nous nous prétons volontiers à une si agréable imposture.

Les anciens Poëtes Chrétiens n’on pas beaucoup écrit dans ce goût-là, & il faut avouer que presque toute la substance de cette Composition doit son origine aux ténèbres superstitieuses des Siècles posterieurs, lors que les Fraudes pieuses étoient emploiées pour amuser les Hommes, les éfraïer, & les rendre par-là sensibles à leur devoir. Nos Ancêtres regardoient la nature avec plus de respect & d’horreur, avant que les Sciences & la Philosophie eussent éclairé le Monde, & ils aimoient à s’intimider par la crainte des Sortileges, des Prodiges, des Charmes & des enchantemens. Il n’y avoit pas un seul Village en Angleterre qui n’eût un Esprit folet, tous les Cimétieres étoient remplis d’Ames des trépassez, chaque Commune de quelque étendue avoit un Cercle de Fées qui lui apartenoit, & l’on trouvoit à peine un seul Berger qui n’eût vû quelque Phantôme.

Entre tous les Poëtes de cet ordre, nos Anglois sont de beaucoup les meilleurs, par tout ce que j’ai vû du moins jusques-ici, soit que nous aïons plus de Contes de cette nature, ou que le Genie de notre Païs soit plus propre à cette sorte de Composition. En effet, les Anglois sont naturellement Fantasques & Visionaires ; d’une humeur sombre & mélancholique, & par-là très-disposez à se former quantité d’idées extravagantes & des Chimeres, auxquelles les autres ne sont pas si sujets.

Entre les Anglois, Voyez le Caractère de cet Auteur dans le Journal Literaire de la Haye, Tome IX. p. 202, &c.Shakespear l’emporte infiniment au-dessus de tous les autres. Cette noble extravagance de l’Esprit, qu’il possedoit au suprême degré, le rendoit capable de toucher ce foible superstitieux de l’imagination de ses Lecteurs, & de réussir en de certains endroits, où il n’étoit soutenu que par la seule force de son propre Genie. Il y a quelque chose de si bizarre &, avec tout cela, de si grave dans les Discours de ses Phantômes, de ses Fées, de ses Sorciers & de ses autres Personnages chimeriques, qu’on ne sauroit s’empêcher de les croire naturels, quoi que nous n’aïons aucune Regle fixe pour en bien juger, & qu’on est contraint d’avouër, que, s’il y a de tels Etres au Monde, il est fort probable qu’ils parleroient & agiroient de la maniere dont il les a representez.

Il y a une autre espèce d’Etres imaginaires, que nous trouvons quelquefois chez les Poëtes, lors qu’ils representent les Passions, les Apétits, les Vertus ou les Vices sous une Figure visible, & qu’ils en font des Personnes ou des Acteurs. Telles sont, par exemple, la Faim & l’Envie dans Ovide, la Renommée dans Virgile, le Peché & la Mort dans Milton. Nous voïons un Monde entier de ces Personnages faits à plaisir dans Voïez ce qui en est dit dans le Journal Literaire de la Haye, Tome IX. p. 188Spencer, qui avoit un talent merveilleux à cet égard. C’est ainsi que les Poëtes s’adressent à l’imagination par divers endroits, & qu’ils n’ont pas seulement toute la Nature à leurs ordres, mais qu’ils forment de nouveaux Mondes, qu’ils donnent la vie à des Etres inconnus, & qu’ils personalisent tout, jusques aux Facultez de l’Ame.

Dans les deux Discours qui vont suivre, j’examinerai en général quelle est la nature des autres Ecrits capables de plaire à l’imagination, & c’est par-là que je mettrai fin à mon Essai.

O.

L. Discours mentis gratissimus error.Hor. L. II. Epist. II. 140 La plus agréable illusion que l’Esprit puisse jamais avoir. De la Composition enchantée, & du plaisir qui en revient l’Imagination. Il y a une sorte de Composition, ou le Poëte perd la Nature tout-à-fait de vûe, & où il entretient ses Lecteurs des Caractères & des Actions de certaines Personnes, dont la plûpart n’ont d’autre existence que celle qu’il veut bien leur donner. Telles sont les Fées, les Sorciers, les Magiciens, les Démons, & les Esprits séparez de leurs Corps. C’est ce que Mr. Dryden apelle la Composition enchantée, qui est sans contredit la plus difficile de toutes celles qui dépendent de l’Imagination du Poëte, parce qu’il n’a point de Modèle à suivre, & qu’il doit tirer tout de son propre fonds. Cette sorte de Composition demande un tour d’Esprit fort singulier, & il est impossible qu’un Poëte y réüssisse, s’il n’a une imagination naturellement féconde & superstitieuse. D’ailleurs il doit être bien versé dans les Légends & Fables, les Romans surannez & les Contes de Nourrices & de Vieilles, pour s’accomoder avec nos Préjugez, & entretenir ces Idées que nous ayons reçues dans notre Enfance. A moins de cela, il court risque de faire parler ses Fées comme des Individus de notre Espèce, & non pas comme des Etres d’une autre nature, qui conversent avec de tout autre Objets, & qui pensent d’une maniere différente de celle du Genre Humain. De là vient qu’Horace a dit : Les Faunes tirez de leurs Forêts sur la Scène doivent, à mon sens, prendre garde de s’exprimer aussi poliment que nos Romains, & d’affecter jamais des manieres de parler tendres & galantes ; mais ils doivent sur tout s’absentir de ces mots infames qui blessent les oreilles des Gens de qualité, quoi qu’ils divertissent la canaille. Hor. A. R .vs. 244Sylvis deducti caveant, me judice, Fauni,Ne velut innati triviis, ac penè forenses,Aut nimium teneris juvenentur versibus umquam,Aut immunda crepent, ignomioniosáque dicta. Je ne dis pas, avec C’est le Nom qui est donné à Mr. Dryden dans cette Piéce satirique. Voïez la Note qui est dans le I. Tome, p. 22.Mr. Bays dans la Repetition, que les Esprits ne doivent pas être confinez à parler sensément ; mais il est certain que leur bon Sens doit être un peu déguisé, afin qu’il paroisse plus singulier, & propre au Caractère & à l’état de celui qui parle. Ces Descriptions excitent, dans l’Esprit du Lecteur, une espèce d’horreur agréable, & amusent son imagination par la singularité & la nouveauté des Personnes qu’on y voit representées. Elles rapellent à notre mémoire les Contes qu’on nous a faits dans notre Enfance, & servent d’apui à ces terreurs secretes auxquelles l’Esprit de l’Homme est naturellement sujet. Nous nous plaisons à voir la diversité des Habits & des mœurs dans les Païs étrangers ; mais la surprise ne doit-elle pas être plus agréable, lors qu’on nous conduit, pour ainsi dire, dans un nouveau Monde, & que nous y voïons des Personnes & des manieres toutes différentes de celles de notre Espèce ? Il y a des Hommes d’un cerveau froid, ou d’un Esprit philosophique, qui objectent contre cette sorte de Poësie, qu’il n’y a pas assez de probabilité pour toucher l’imagination. Mais on peut leur répondre, que nous sommes assurez ; en général, qu’il y a, dans le Monde, une infinité d’Etres Intellectuels, & divers Ordres d’Esprits, sujets à d’autres Loix que celles qui ont été données aux Hommes, & qui vivent sous différentes Economies ; Ainsi, lors qu’on nous en represente quelques uns au naturel, nous ne saurions concevoir que la chose est tout-à-fait impossible ; Que dis-je, il y a des Personnes prévenues de certaines Erreurs, qui les disposent à croire ces Illusions ; du moins nous en avons tous entendu faire de si plaisans Contes, que nous ne nous soucions pas d’en pénétrer le mensonge, & que nous nous prétons volontiers à une si agréable imposture. Les anciens Poëtes Chrétiens n’on pas beaucoup écrit dans ce goût-là, & il faut avouer que presque toute la substance de cette Composition doit son origine aux ténèbres superstitieuses des Siècles posterieurs, lors que les Fraudes pieuses étoient emploiées pour amuser les Hommes, les éfraïer, & les rendre par-là sensibles à leur devoir. Nos Ancêtres regardoient la nature avec plus de respect & d’horreur, avant que les Sciences & la Philosophie eussent éclairé le Monde, & ils aimoient à s’intimider par la crainte des Sortileges, des Prodiges, des Charmes & des enchantemens. Il n’y avoit pas un seul Village en Angleterre qui n’eût un Esprit folet, tous les Cimétieres étoient remplis d’Ames des trépassez, chaque Commune de quelque étendue avoit un Cercle de Fées qui lui apartenoit, & l’on trouvoit à peine un seul Berger qui n’eût vû quelque Phantôme. Entre tous les Poëtes de cet ordre, nos Anglois sont de beaucoup les meilleurs, par tout ce que j’ai vû du moins jusques-ici, soit que nous aïons plus de Contes de cette nature, ou que le Genie de notre Païs soit plus propre à cette sorte de Composition. En effet, les Anglois sont naturellement Fantasques & Visionaires ; d’une humeur sombre & mélancholique, & par-là très-disposez à se former quantité d’idées extravagantes & des Chimeres, auxquelles les autres ne sont pas si sujets. Entre les Anglois, Voyez le Caractère de cet Auteur dans le Journal Literaire de la Haye, Tome IX. p. 202, &c.Shakespear l’emporte infiniment au-dessus de tous les autres. Cette noble extravagance de l’Esprit, qu’il possedoit au suprême degré, le rendoit capable de toucher ce foible superstitieux de l’imagination de ses Lecteurs, & de réussir en de certains endroits, où il n’étoit soutenu que par la seule force de son propre Genie. Il y a quelque chose de si bizarre &, avec tout cela, de si grave dans les Discours de ses Phantômes, de ses Fées, de ses Sorciers & de ses autres Personnages chimeriques, qu’on ne sauroit s’empêcher de les croire naturels, quoi que nous n’aïons aucune Regle fixe pour en bien juger, & qu’on est contraint d’avouër, que, s’il y a de tels Etres au Monde, il est fort probable qu’ils parleroient & agiroient de la maniere dont il les a representez. Il y a une autre espèce d’Etres imaginaires, que nous trouvons quelquefois chez les Poëtes, lors qu’ils representent les Passions, les Apétits, les Vertus ou les Vices sous une Figure visible, & qu’ils en font des Personnes ou des Acteurs. Telles sont, par exemple, la Faim & l’Envie dans Ovide, la Renommée dans Virgile, le Peché & la Mort dans Milton. Nous voïons un Monde entier de ces Personnages faits à plaisir dans Voïez ce qui en est dit dans le Journal Literaire de la Haye, Tome IX. p. 188Spencer, qui avoit un talent merveilleux à cet égard. C’est ainsi que les Poëtes s’adressent à l’imagination par divers endroits, & qu’ils n’ont pas seulement toute la Nature à leurs ordres, mais qu’ils forment de nouveaux Mondes, qu’ils donnent la vie à des Etres inconnus, & qu’ils personalisent tout, jusques aux Facultez de l’Ame. Dans les deux Discours qui vont suivre, j’examinerai en général quelle est la nature des autres Ecrits capables de plaire à l’imagination, & c’est par-là que je mettrai fin à mon Essai. O.