Zitiervorschlag: Anonym (Hrsg.): "XLV. Discours", in: Le Spectateur ou le Socrate moderne, Vol.4\045 (1720), S. 264-270, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter / Fischer-Pernkopf, Michaela (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.1343 [aufgerufen am: ].


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XLV. Discours

Zitat/Motto► alterius sic
altera poscit opem res, & conjurat amicè.
Hor. A.P. v.410.
Il faut qu’ils fassent ensemble une étroite alliance, & qu’ils s’entraident mutuellement. ◀Zitat/Motto

Metatextualität► Comparaison entre les Ouvrages de la Nature & ceux de l’Art & la Beauté qui resulte de leur mêlange. ◀Metatextualität

Ebene 2► Si nous comparons les Ouvrages de la Nature avec ceux de l’Art, en ce qu’ils servent à divertir l’Imagination, nous trouverons que les derniers sont fort au-dessous des autres à cet égard ; du moins, quoi qu’ils puissent paroitre quelquefois aussi [265] beaux ou surprenans, ils ne sauroient jamais rien avoir de cette vaste étendue ou de cette immensité, qui fournit un si agréable entretien à l’Esprit du Spectateur. L’un peut être aussi poli & aussi délicat que l’autre ; mais il ne sera jamais ni si auguste ni si magnifique dans le Dessein. Il y a quelque chose de plus hardi & qui sent plus la main d’un Maître dans les traits grossiers & negligez de la Nature, que dans les coups de pinceau les plus délicats & les embellissemens de l’Art. Les beautez du Jardin ou du Palais le plus superbe se trouvent renfermées dans un petit cercle : l’Imagination les a bientôt parcourues, & demande quelque chose de plus pour se satisfaire ; mais dans les vastes Champs de la Nature, l’Oeuil se promene de tous côtez à son aise, & se repaît d’une infinie varieté d’Images, sans être borné à un certain nombre. C’est pour cela que les Poëtes ont toûjours aimé la vie champtêtre, où la Nature paroit dans sa plus grande perfection, & offre à leur Esprit les plus agréables Scénes. Horace le témoigne lui-même, lors qu’il dit, Zitat/Motto► Les Poëtes ne se plaisent point à la Ville ; ils aiment la Solitude & les Forêts :

1 Scriptorum chorus omnis amat Nemus, fugit Urbes. ◀Zitat/Motto

D’un autre côté Virgile a décrit les plai-[266]sirs de la campagne en ces termes : Zitat/Motto► c’est-lá, dit-il, où l’on goûte un repos assuré, où l’on méne une vie innocente, & où l’on jouit d’une infinité de biens : C’est là où l’on voit à loisir de vastes Campagnes, de profondes Cavernes, des Lacs & des Fontaines d’eau vive : c’est-là où l’on trouve mille endroits agréables par la fraîcheur, où l’on se plaït à entendre les mugissemens des Bœufs, & où l’on s’abandonne à un doux sommeil à l’ombre des Arbres.

2 At secura quies, & nescia fallere vita, dives opum variarum ; at latis otia fundis, Speluncæ vivique Lacus ; at frigida Tempe, Mugitùsque Boum, mollésque sub arbore somni. ◀Zitat/Motto

Mais quoi que les Scènes, que la Nature nous offre, soient en général plus divertissantes qu’aucune Represantation de l’Art ; avec tout cela, plus les Ouvrages de l’une ressemblent à ceux de l’autre, plus nous les trouvons agréables ; parce qu’alors notre Plaisir naît d’un double principe ; c’est-à-dire de la beauté même des Objets qui frapent l’œuil, & de leur ressemblance avec d’autres : Nous nous plaisons à comparer leurs beautez reciproques, de même qu’à les envisager séparément ; & nous pouvons les representer à nos Esprits, ou en qualité de Copies ou en qualité d’Originaux. [267] De-là vient qu’on prend plaisir à voir une Perspective bien disposée, où il y a un mélange de Champs & de Prairies, de Bois & de Rivieres, ou ces Païsages casuels d’Arbres, de Nuées & de Villes, qu’on trouve quelquefois dans les veines du Marbre; ou cette merveilleuse Ciselure qui paroit dans quelques Grotes & Rochers ; en un mot, tout ce qui a une certaine bigarrure ou regularité qui semble être l’effet du dessein, dans ce que nous apellons les Ouvrages du Hasard.

Si les Productions de la Nature sont plus estimées à mesure qu’elles ont plus de ressemblance avec celles de l’Art, on peut compter aussi que ce qui est artificiel augmente de prix, plus il ressemble au naturel ; parce qu’outre cette conformité, qui est toûjours agréable, le Modéle en est plus parfait. Exemplum► Le plus joli Païsage que j’aie vû de ma vie étoit tracé sur les murailles d’une Chambre obscure, opposée d’un côté à une Riviere navigable, & de l’autre à un Parc. ◀Exemplum C’est d’ailleurs une Experience fort commune en Optique. Vous auriez pû remarquer ici le mouvement des vagues exprimées par des couleurs assez naturelles, avec la figure d’un Vaisseau qui entroit par un bout, & faisoit voilé au travers de toute la Piece. De l’autre côté l’on voïoit les ombres vertes des Arbres, dont les branches étoient secouées par le Vent, & des Troupeaux de Daims en mignature qui couroient ça & là. J’avouë que la nou-[268]veauté de ce Spectacle peut être une des causes qui rendent agréable à l’Imagination ; mais il n’y a nul doute que la principale ne vienne de ce qu’il aproche fort du naturel, & de ce que non seulement, à l’exemple des autres Tableaux, il represente la figure & la couleur des Objets, mais aussi leur mouvement.

Nous avons observé déja, qu’il y a dans la Nature quelque chose de plus grand & de plus auguste que tout ce qui se voit dans les curiositez de l’Art. Ainsi toutes les fois, que nous la voïons imitée en quelque maniere, cela nous donne un plaisir plus noble & plus relevé que celui que nous pouvons recevoir des Ouvrages de l’Art les plus fins & les plus exacts. De-là vient que nos Jardins en Angleterre ne plaisent pas tant à l’Imagination que ceux de France & d’Italie, ou l’on voit une vaste étendue de terrain cultivé & d’autre qui ne l’est pas, un agréable mélange de Bois & de Cascades, qui representent par tout une Simplicité artificielle, beaucoup plus charmante que la propreté des nôtres. Il est vrai que le Public & les Particuliers en pourroient souffrir , si, dans plusieurs Endroits d’un Païs aussi peuplé que le nôtre & qu’on peut cultiver d’une maniere fort avantageuse, on retranchoit une grande partie de nos Prez & de nos Champs labourables pour la convertir en Jardins. Mais pourquoi ne feroit-on pas d’un Domaine entier une espece de Jardin par de fréquentes [269] Plantations, qui tourneroient aussi bien au profit, qu’au divertissement du Proprietaire? Un Marais couvert de Saules, ou une Montagne remplie de Chênes, sont un Objet non seulement plus agréable à la vûe, mais plus utile, que si on les abandonnoit à leur sterilité naturelle. Les Champs couronnez d’Epis forment une jolie Perspective ; de sorte que, si les Allées qu’on voit entre-deux étoient un peu cultivées, si l’émail naturel des Prairies étoit aidé par quelques petites additions dé l’Art, & si les Haies étoient ornées des Arbres & des Fleurs, qui seroient propres au terroir, un Homme pourroit faire un joli Païsage de son Domaine.

Les Auteurs qui ont écrit de la Chine nous disent que les Chinois se moquent de notre maniere de planter en Europe, où le Arbres sont placez à la Ligne & la Régle ; parce, disent-ils, que tout Homme peut ranger des Arbres à la Ligne, en Echiquier, ou en toute autre Figure uniforme. C’est pour cela même qu’ils cherchent à se distinguer dans les Ouvrages de cette nature, & à cacher l’art qu’ils y emploient. Ils ont un Mot dans leur Langue, qui exprime la beauté particuliere d’un Plantage qui frape d’abord l’Imagination, sans qu’on puisse découvrir ce qui produit un si agréable effet. Mais nos Jardiniers Anglois, au lieu d’imiter la Nature, aiment à s’en éloigner le plus qu’il leur est possible. Nos Arbres s’élevent en Cones, en Globes, [270] ou en Pyramides. Nous voïons la marque des Ciseaux sur chaque Plante & le moindre Buisson. Je ne sai si c’est un goût singulier ; mais j’aimerois mieux voir un Arbre avec tout le superflu & toute l’éntendue de ses branches, que lors qu’il est taillé en une figure mathematique ; & il me semble qu’un Verger, dont les Arbres sont en fleur, paroit infiniment plus agréable, que tous les petits Labyrinthes du Parterre le plus exact. Mais comme nos célébres Architectes de Jardins négocient en Plantes, & que leurs Boutiques en sont pleines, il ne faut pas s’étonner qu’ils pensent à leur profit, & qu’ils arrachent nos plus beaux Arbres fruitiers, pour mettre à leur place des Houx, des Myrtes ; & autres Plantes toûjours vertes & portatives.

O. ◀Ebene 2 ◀Ebene 1

1Lib. II. Epist. II. 77.

2Georg. Lib. II. 466.