Zitiervorschlag: Anonym (Hrsg.): "XLII. Discours", in: Le Spectateur ou le Socrate moderne, Vol.4\042 (1720), S. 247-252, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter / Fischer-Pernkopf, Michaela (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.1340 [aufgerufen am: ].


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XLII. Discours

Zitat/Motto► Avia Pieridum peragro loca, nullius ante
Trita solo: juvat integros accedere fonteis,
atque haurire :
Lucr. L. I. 925.
Je parcours les Lieux inaccessibles, où habitent les Muses, & où aucun Homme n’avoit pénétré jusques-ici : Je me plais à voir les eaux pures de leurs Fontaines, & à puiser moi-même á la source. ◀Zitat/Motto

Metatextualität► En quoi consistent les Plaisirs innocens de l’Imagination, & quels sont les Motifs qui nous doivent porter à leur recherche. ◀Metatextualität

Ebene 2► La Vûe est le plus parfait & le plus agreáble de tous nos Sens. Il nous procure infiniment plus d’idées, il converse avec ses Objets à une plus grande distance, & il agit plus long-tems que les autres, sans que cette action le rebute ou le fatigue. Il est vrai que le Toucher peut nous donner une idée de l’étendue, de la figure, & [248] toutes les autres idées qui nous viennent par les yeux, si vous en exceptez celle des Couleurs ; mais il est aussi fort borné, dans ses operations, au nombre, à la grosseur & la distance de ses Objets. La Vûe semble être destinée à remedier à tous ces défauts, & peut-être considerée comme une espece de Toucher plus délicat & plus étendu, qui se répand sur une infinité de Corps, embrasse les plus vastes figures, & qui ateint à quelques Parties les plus éloignees de l’Univers.

C’est la Vûe qui fournit des idées à l’Imagination, ou à la Fantaisie, comme je l’apellerai indiféremment ; de sorte que, par les Plaisirs de l’Imagination, j’entens ceux qui viennent des Objets visibles, soit qu’ils nous frapent actuellement les yeux, ou que nous en rapellions les idées par des Tableaux, des Statues, des Descriptions, ou toute autre chose de cette nature. Il est vrai que nous ne saurions avoir aucune Image dans la Fantaisie, qui n’y soit entrée d’abord par la Vûe ; mais dès que ces Images y sont une fois admises, nous avons le pouvoir de les retenir, de les changer & de leur donner toutes les varietez de la Peinture, & de la Perspective qui sont les plus agréables à l’Imagination ; c’est aussi par le moïen de cette Faculté qu’un homme plongé dans une basse Fosse peut s’entretenir des Scènes les plus magnifiques, & de Païsages plus beaux qu’aucun qui se puisse trouver dans toute l’enceint de la Nature.

[249] Il y a peu de Mots dans l’Anglois qui aient un sens plus vague & plus indéterminé que ceux de Fantaisie & d’Imagination. C’est pour cela même que, résolu de m’en servir dans le fil de mes Discours suivans, j’ai cru qu’il étoit à propos d’en fixer l’idée, afin que mes Lecteurs puissent bien concevoir quel est le sujet que j’y traite. Je les prie donc de se souvenir que, par les Plaisirs de l’Imagination, j’entens ceux qui naissent originairement de la Vûe, & que je distingue en deux sortes ; c’est-â-dire en primitif, ou ceux qui viennent des Objets immédiats que nous avons devant les yeux ; & en dérivéz, ou ceux qui naissent des idées de ces Objets visibles ; quoi qu’ils soient absens, mais que nous rapellons dans la Mémoire, ou sur lesquels nous en forgeons de nouveaux.

Les Plaisirs de l’Imagination pris dans toute leur étenduë ne sont pas si grossiers que ceux des Sens, ni si rafinez que ceux de l’Entendement. Il n’y a nul doute que les derniers ne soient préferables, parce qu’ils sont fondez sur quelque nouvelle connoissance arrivée à l’Esprit ; mais il faut avoüer d’ailleurs que ceux de l’Imagination sont aussi vifs & aussi ravissans que les autres. Une belle Perspective rejouït l’Ame autant qu’une Démonstration ; & une Description dans Homere a charmé plus de Lecteurs qu’un Chapitre d’Aristote. Les Plaisirs de l’Imagination ont même cet avantage sur ceux de l’Entendement, qu’ils [250] se trouvent plûtôt, & qu’ils sont plus faciles à obtenir. Il n’y a qu’à ouvrir les yeux, & la Scéne paroit. Les couleurs se peignent sur l’Imagination, sans que l’Esprit de celui qui regarde y fasse presque aucune atention. Nous sommes frapez tout d’un coup de la symmetrie & de la beauté d’un Objet, sans que nous sachions de quelle maniere cela s’execute, ou que nous en pénétrions les causes.

Un Homme poli & bien élevé reçoit une infinité de Plaisirs, que le Vulgaire ne sauroit goûter. Il peut s’entretenir avec un Tableau, & se faire, d’une Statue, une agreáble compagne. Une Description le rafraichit, & il est souvent plus satisfait de voir les Champs & les Frez, que ne l’est peut-être celui qui les possede. Il aquiert par-là une espece de Proprieté dans tout ce qu’il voit, & il oblige les Deserts, les Rochers & les Endroits les plus incultes de la Nature à fournir à ses Plaisirs : De sorte qu’il voit le Monde, pour ainsi dire, dans un autre jour, & qu’il y découvre une infinité de charmes, qui se cachent à la plûpart des Hommes.

Il est vrai qu’il y en a bien peu qui sâchent être oisifs & innocens, ou qui aient du goût pour les Plaisirs qui ne sont pas criminels ; ils ne prennent aucun Divertissement, qu’il n’en coûte cher à quelque Vertu, & le premier pas qu’ils font, au sortir de leurs affaires, les plonge dans le Vice ou dans la Folie. On devroit donc [251] travailler à donner toute l’étendue possible à ses Plaisirs innocens, pour s’y pouvoir renfermer en sureté, & y trouver une satisfaction dont un honête Homme ne rougiroit pas. Les Plaisirs de l’Imagination sont de cet ordre, ils ne demandent pas une si grande contention que nos affaires plus serieuses, & ne soufrent pas d’ailleurs que l’Esprit tombe dans cette négligence & ce relâchement, qui accompagnent nos Plaisirs grossiers, ou plus sensuels ; mais ils tiennent les Facultez en exercice, & les empêchent de s’abandonner à la paresse ou à l’oisiveté, sans qu’elles en reçoivent aucun embarras ou la moindre fatigue.

Je pourrois ajouter ici que les Plaisirs de l’Imagination contribuent plus à la Santé, que ceux de l’Entendement, qu’on n’obtient que par une longue méditation & par des éforts redoublez du Cerveau. Les agréables Scènes, que l’Univers, la Peinture, ou la Poësie nous fournissent, ont une douce influence sur le Corps, aussi bien que sur l’Esprit ; elles ne servent pas seulement à épurer l’Imagination, mais à bannir le Chagrin & la Mélancolie, & à donner aux esprits animaux un mouvement régulier & salutarie. C’est pour cela même que le Chevalier François Bacon, dans l’Essai qu’il a publié sur la Santé, n’a pas trouvé mauvais de prescrire, à ceux qui veulent écouter ses avis, la lecture d’un Poëme ou la vûe d’une Perspective, de les dissuader de toute recherche épineuse & [252] subtile, & de les exhorter à suivre des Etudes, qui remplissent l’Esprit de grands & de beaux Objets, tels qu’il s’en trouve dans l’Histoire, les Fables & les Ouvrages de la Nature.

Metatextualität► Ce Discours préliminaire m’a servi à fixer l’idée des Plaisirs de l’Imagination, que j’ai résolu Motifs qui doivent engager mes Lecteurs à les poursuivre. J’examinerai dans le suivant les différentes sources d’où ils découlent. ◀Metatextualität

O. ◀Ebene 2 ◀Ebene 1