Zitiervorschlag: Anonym (Hrsg.): "XXXIX. Discours", in: Le Spectateur ou le Socrate moderne, Vol.4\039 (1720), S. 230-234, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter / Fischer-Pernkopf, Michaela (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.1337 [aufgerufen am: ].


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XXXIX. Discours

Zitat/Motto► abest facundis gratia dictis.
Ovid. Metam. L. XIII. 127.
Leurs Discours sont éloquens, mais ils les prononcent sans aucune grace. ◀Zitat/Motto

Metatextualität► Sur l’Action des Orateurs Anglois. ◀Metatextualität

Ebene 2► La plûpart des Ecrivains étrangers, qui ont donné le Caractere de la Nation Angloise, quelques Défauts qui lui attribuent, conviennent en general que les Anglois sont modestes. Peut-être aussi que leur Modestie est la cause que nos Orateurs ont moins d’Action & qu’ils gesticulent moins que ceux des autres Païs. Nos Prédicateurs sont presque immobiles sur la Chaire, & ils ne veulent pas remuer un seul doigt pour donner quelque grace aux meilleurs Sermons qu’il y ait au monde. On voit les mêmes Statues parlantes au Barreau, & dans tous les Lieux publics où la Dispute est admise. Nous prononçons nos Discours tout d’une venue, sans ces éclats de la voix, ces mouvemens du corps, & ces nobles gestes de la main, qu’on a tant louez dans les anciens Orateurs de la Grèce & de Rome. Nous pouvons parler de la Vie & de la Mort de sang froid, & conserver notre calme dans un Discours qui roule sur ce que nous avons de plus cher au monde. [231] Quoi que notre zèle nous excite à emploïer les plus belles Figures de la Réthorique, il est incapable de remuer aucun de nos membres. J’ai souvent ouï dire à ceux qui ont vu l’Italie, qu’un Anglois qui n’a pas voïagé ne sauroit admirer toutes les beautez des Pièces Italiennes, parce que diverses Attitudes qu’on y voit representées sont particulieres à cette Nation. Celui qui n’a pas vû un Italien en Chaire ne découvrira jamais la noblesse du geste que Raphael donne à S. Paul dans un Tableau, où il le presente au milieu d’une assemblée de Philosophes Païens à Athenes, auxquels il anonce l’Evangile, avec les deux bras levez en haut, qu’il semble foudroïer par les traits de son éloquence.

Il est certain qu’un Orateur public ne sauroit trop étudier les Gestes & les Tons de voix propres aux Sujets qu’il marrie. Les uns & les autres sont une espèce de Commentaire sur tout ce qu’il dit, & ils font plus d’impression sur le gros de ses Auditeurs que les Argumens les plus solides. Ils les tiennent éveillez ; ils fixent leur atention, & leur insinuent que l’Orateur lui-même est pénétré des Véritez qu’il leur anonce avec tant de zèle. L’impétuosité du Geste & de la Voix émeut les Ignorans, & les remplit d’une sainte horreur, ou de ce qui en aproche. Il n’y a rien de plus ordinaire que de voir des Femmes gemir & trembler à la vûe d’une Ministre qui éclate & qui s’agite beaucoup, quoi qu’elles [232] ne puissent pas l’entendre. D’un autre côté, il n’arrive que trop souvent que les Auditeurs s’endorment à l’ouïe de nos Sermons les plus solides & les plus travaillez ; au lieu qu’ils seroient embrasez, & ravis, pour ainsi dire, en extase par les contortions & les hurlemens d’un Enthousiaste.

Si le Galimatias, accompagné de ces agitations du Corps & de ces éclats de la Voix, a une si grande influence sur l’Esprit des Hommes, que ne devroit-on pas atendre de ces admirables Sermons qui sont publiez en notre Langue, s’ils étoient prononcez avec une ferveur convenable, & tous les agrémens de la Voix & du Geste ?

Ebene 3► Allgemeine Erzählung► L’Histoire nous dit que l’Orateur Romain s’altera beaucoup la santé par l’action & la véhemence avec laquelle il déclamoit. 1 L’Orateur Grec étoit si fameux à cet égard, qu’un de ses Antagonistes, qu’il avoit fait chasser d’Athenes, à la lecture de cette Oraison qui avoit obtenu son Bannissement, & à la vûe de l’admiration qu’elle causoit à ses Amis, ne pût s’empêcher de leur dire que, s’ils étoient si émus à l’ouïe de cette simple lecture, ils auroient été bien plus alarmez, s’ils l’avoient entendu tonner lui-même, & joindre l’Action au torrent de son Eloquence. ◀Allgemeine Erzählung ◀Ebene 3

Si l’on compare un Orateur Anglois avec ces deux grands Hommes, quelle triste figure ne fait-il pas au Barreau, lors qu’on [233] l’y voit d’un air grave & insipide, passer la main sur les côtez d’une longue Perruque, qui lui va jusqu’à la ceinture ? Il faut avouer qu’il n’y a rien de plus ridicule que les Gestes d’un Orateur Anglois ; Quelques-uns, embarrassez de leurs mains les fourrent dans leurs poches aussi avant qu’ils peuvent ; d’autres regardent, avec beaucoup d’atention, un morceau de papier, sur lequel il n’y a pas un seul mot écrit ; Vous voïez plus d’un habile Rhétoricien tenir son Chapeau à la main, le tourner de tous côtez, le retrousser de différentes manieres, en examiner tantôt la Coiffe & tantôt le Bouton, pendant qu’il recite sa Harangue. Un Sourd croiroit, à le voir, qu’il marchande un Castor, quoi qu’il raisonne peut-être sur les intérêts les plus essentiels de la Nation Britannique. Ebene 3► Allgemeine Erzählung► Il me souvient que, dans ma jeunesse, lors que je fréquentois la Sale d’Westminster, il y avoit un fameux Avocat qui ne plaidoit jamais sans avoir un bout de Ficelle à la main, qu’il dévidoit autour du Pouce, ou de quelque autre de ses Doigts, tout le tems que son Plaidoïer duroit : Les Goguenards disoient à cette occasion que c’étoit le Fil de son Discours, parce qu’il ne pouvoit lâcher un mot, si ce morceau de Ficelle venoit à lui manquer. Une de ses Parties, plus badine que sensé, s’avisa un jour, de lui escamoter sa Ficelle au milieu de son Plaidoïer ; mais il auroit mieux fait de n’y pas toucher, puisque ce badinage lui fit perdre sa cause. ◀Allgemeine Erzählung ◀Ebene 3

[234] Je me suis toûjours reconnu pour un vrai Taciturne ; ainsi l’on peut bien me soupçonner de n’être pas fort propre à donner des regles sur l’Art Oratoire ; malgré tout cela, je me flate qu’on tombera d’accord avec moi, que nous devrions bannir absolument tous les Gestes, ce qui me paroit plus conforme au Genie de notre Nation, ou n’emploïer du moins que ceux qui sont agréables & naturels.

O. ◀Ebene 2 ◀Ebene 1

1Démosthene.