XXVIII. Discours Anonym Moralische Wochenschriften Michaela Fischer Editor Stefanie Lenzenweger Editor Martin Stocker Editor Institut für Romanistik, Universität Graz 18.12.2013 info:fedora/o:mws.2298 Anonym: Le Spectateur français ou le Socrate moderne. Tome IV. Amsterdam: Frères Wetstein 1720, 163-168, Le Spectateur ou le Socrate moderne 4 028 1720 Frankreich Ebene 1 Ebene 2 Ebene 3 Ebene 4 Ebene 5 Ebene 6 Allgemeine Erzählung Selbstportrait Fremdportrait Dialog Allegorisches Erzählen Traumerzählung Fabelerzählung Satirisches Erzählen Exemplarisches Erzählen Utopische Erzählung Metatextualität Zitat/Motto Leserbrief Graz, Austria French Frauenbild Immagine di Donne Image of Women Imagen de Mujeres Image de la femme France 2.0,46.0

XXVIII. Discours

Non pudendo sed non faciendo id quod nondecet impudentiæ nomen effugere debemus.Cic.Si nous ne voulons pas qu’on nous taxe d’être Impudens, il ne faut pas se borner à rougir de ce qui est contre les régles de la Bienséance, mais il faut l’éviter.

Sur les Dames Coquettes & médisantes.

J’ai reçu quantité de Lettres de plusieurs Dames qui sont fort afligées de ce qu’on les décrie mal-à-propos : elles se plaignent de quelques Esprits malins, qui ne pensent qu’à noircir la reputation des autres, & qui donnent un mauvais tour aux actions les plus innocentes ou les plus indifférentes de leur nature. Elles ont même le malheur de se justifier d’une maniere à insinuer que le soupçon est assez légitime. Il est vrai qu’il y a de certaines Personnes oisives qui passent des heures entieres à gloser en compagnie sur les défauts des autres, & qu’elles n’ont aucune autorité pour cela ; mais puis qu’il leur plait d’en agir ainsi, celles qui font quelque cas de leur reputation devroient éviter les apparences qui peuvent y nuire. Le mal est que nos jeunes Filles, aussi bien que nos Demoiselles d’un âge moïen & celles qui ne respirent que la joie à mesure que la Vieillesse les talonne, sans former là-dessus aucune Ligue positive, conviennent tacitement d’une méthode abregée pour sauver leur reputation, & menent à bon compte une Vie qui, tout au plus, n’est pas vicieuse. Lors qu’une de ces jeunes Babillardes d’un esprit malin, qui n’est pas de leurs petites Cabales, a dit quelque chose au desavantage de l’une d’entre elles, leur méthode est de la faire passer pour une des plus envenimées & des plus dangereuses Langnes qu’il y ait au Monde. C’est ainsi qu’elles mettent à couvert leur Reputation plûtôt que leur Modestie, & qu’elles sont moins sensibles au Crime qu’aux reproches qu’on leur en fait.

Orbicilla est la plus obligeante Créature qu’il y ait en Ville, & qui rougit à tout bout de champ : elle n’a pas perdu tout sentiment de pudeur ; mais elle a perdu son Innocence. Si elle avoit plus de hardiesse, & qu’elle ne fît rien qui pût colorer ses jouës, ne seroit-elle pas plus modeste sans cette rougeur ambigue, qui est la livrée du crime & de la vertu ? La Modestie consiste à n’avoir aucun Crime à se reprocher, & non pas à rougir de celui qu’on a commis. Lors qu’on veut regler ses actions sur un autre principe que sur la pureté du cœur, il est au pouvoir des méchantes Langues d’entrainer la foule, & de l’obliger à suivre les mauvais exemples pour se garantir de la Censure. D’un autre côté, il ne faut que s’aquiter exactement de son devoir, si l’on veut imposer silence à la Calomnie ou la rendre inutile. Spencer, dans a Pièce intitulée Voïez le Journal Literaire de la Haye, Tome IX. p. 188La Reine des Fées, donne un bon conseil aux jeunes Dames, qui se plaignent de ce qu’on attaque leur réputation. Voici de quelle maniere il l’exprime :

L’Avis, dit-il, le plus sûr & loïal

Est d’éviter l’occasion du Mal ;

Car, la cause une fois ôtée,

L’effet se réduit en fumée.

Abstenez-vous des Plaisirs criminels ;

Obéïssez aux Ordres éternels ;

Domtez vos passions & bridez votre Langue :

Mangez fort sebrement, priez Dieu sans Harangue ;

Parlez à cœur ouvert, & fuïez le secret ;

Alors vous fermerez la bouche à l’indiscret.

Au lieu de cette vigilance à l’égard des paroles & des actions, qu’un de nos anciens Poëtes, du tems de la Reine Elizabet, recommande au beau Sexe, on veut aujourd’hui qu’une jeune Dame puisse dire & faire tout ce qui lui plait, sans discontinuer d’être la plus jolie & la plus agréable Femme du Monde. Si un Pere ou un Fre-re, veut défendre l’honeur équivoque d’une Fille ou d’une Sœur, il est aussi peu en danger que s’il étoit à l’abri de la plus grande Innocence. Plusieurs de ces Afligées, qui sont en bute aux traits des méchantes Langues, font elles-mêmes si peu de mal, qu’elles dorment tous les jours de la vie jusques à midi ; qu’elles ne se mêlent d’autre chose que de leurs Personnes jusques à deux heures ; qu’elles prennent ensuite leur repas jusques à quatre ; qu’elles visitent, vont à la Comédie & passent la nuit à jouer. Faut-il, après cela, que le monde soit assez malin pour tirer des conséquences énormes de quelques coups d’œiul fort innocens en eux-mêmes, de quelques mots dits à l’oreille, ou de quelques fines railleries un peu libres avec des Gentilshommes polis, parce que ces Beautez ne sont pas aussi rigides que des Vestales ? J’avouë que la Vertu ne consiste pas en des airs gênez & de sotes grimaces ; mais il y a une certaine Bienséance, dans le regard & les manieres des Dames, fondée sur la Vertu & la Modestie, qu’on peut mieux sentir que décrire. Une jeune Dame, qui en est ornée, a droit à l’estime & à l’amitié des autres, & n’est point sujette aux traits de la Médisance ; ou, si elle en soufre d’abord, elle n’a qu’à perseverer dans son Innocence, qui en dissipe bientôt la malignité. Pour le dire franchement, il y a de si prodigieux Essains de Coquettes dans cette grande Ville, que, si elles n’étoient pas retenuës par quelques méchantes Langues de leur propre Sexe, il n’y auroit jamais aucune Paix entre elles, & qu’il nous seroit impossible de les y engager nous-mêmes.

En qualité de Spectateur qui observe qu’une partie du Sexe Feminin sert à contrebalancer les fausses démarches de l’autre, quelque idée que j’aie des Raporteuses & des Médisantes, je ne voudrois non plus les suprimer tout-à-fait qu’un Général d’Armée ne voudroit bannir les Espions. Ses Ennemis ne manqueroient pas de le surprendre, s’ils venoient à savoir qu’il ne reçoit aucun avis de leurs mouvemens. Je me trouve si éloigné de cette pensée, que je soufre volontiers qu’il y ait une ou deux Médisantes dans chaque Quartier de la Ville, qu’elles vivent de bonne intelligence avec les Coquettes, qu’elles jouënt le même role, & qu’elles se conforment à toutes leurs manieres libres, mais innocentes ; pourvû qu’elles aient soin de m’avertir de ce qui se passe dans leurs Societez respectives.

A l’égard de ce qu’on apelle Vertueux dans le Monde, c’est si peu de chose, & il est si facile de l’obtenir, qu’il ne faut pas une heure de reflexion tous les Mois pour en venir à bout. Il y a du plaisir d’entendre de jolies Dames parler de la Vertu & du Vice qui regnent dans leur Sexe. Celle-ci, dit l’une, est la plus lâche & la plus indolente Créature qu’il y ait au Monde ; mais il faut avouer qu’elle est d’une Vertu rigide. Celle-là, dit une autre, est la plus chagrine & la plus bizarre petite Salope qu’on ait jamais vûe, quoi que d’une Vertu sans sache. Enfin la troisième n’a pas la moindre charité pour aucune de ses Amies ; mais elle est d’une Vertu exemplaire. Si, parmi le gros des Hommes, on donne le titre d’Homme d’honeur à celui qui n’est pas un Poltron ; de même, entre la Cohue du beau Sexe, on apelle une Femme vertueuse celle qui n’est pas entierement plongée dans le desordre.

T.

XXVIII. Discours Non pudendo sed non faciendo id quod nondecet impudentiæ nomen effugere debemus.Cic.Si nous ne voulons pas qu’on nous taxe d’être Impudens, il ne faut pas se borner à rougir de ce qui est contre les régles de la Bienséance, mais il faut l’éviter. Sur les Dames Coquettes & médisantes. J’ai reçu quantité de Lettres de plusieurs Dames qui sont fort afligées de ce qu’on les décrie mal-à-propos : elles se plaignent de quelques Esprits malins, qui ne pensent qu’à noircir la reputation des autres, & qui donnent un mauvais tour aux actions les plus innocentes ou les plus indifférentes de leur nature. Elles ont même le malheur de se justifier d’une maniere à insinuer que le soupçon est assez légitime. Il est vrai qu’il y a de certaines Personnes oisives qui passent des heures entieres à gloser en compagnie sur les défauts des autres, & qu’elles n’ont aucune autorité pour cela ; mais puis qu’il leur plait d’en agir ainsi, celles qui font quelque cas de leur reputation devroient éviter les apparences qui peuvent y nuire. Le mal est que nos jeunes Filles, aussi bien que nos Demoiselles d’un âge moïen & celles qui ne respirent que la joie à mesure que la Vieillesse les talonne, sans former là-dessus aucune Ligue positive, conviennent tacitement d’une méthode abregée pour sauver leur reputation, & menent à bon compte une Vie qui, tout au plus, n’est pas vicieuse. Lors qu’une de ces jeunes Babillardes d’un esprit malin, qui n’est pas de leurs petites Cabales, a dit quelque chose au desavantage de l’une d’entre elles, leur méthode est de la faire passer pour une des plus envenimées & des plus dangereuses Langnes qu’il y ait au Monde. C’est ainsi qu’elles mettent à couvert leur Reputation plûtôt que leur Modestie, & qu’elles sont moins sensibles au Crime qu’aux reproches qu’on leur en fait. Orbicilla est la plus obligeante Créature qu’il y ait en Ville, & qui rougit à tout bout de champ : elle n’a pas perdu tout sentiment de pudeur ; mais elle a perdu son Innocence. Si elle avoit plus de hardiesse, & qu’elle ne fît rien qui pût colorer ses jouës, ne seroit-elle pas plus modeste sans cette rougeur ambigue, qui est la livrée du crime & de la vertu ? La Modestie consiste à n’avoir aucun Crime à se reprocher, & non pas à rougir de celui qu’on a commis. Lors qu’on veut regler ses actions sur un autre principe que sur la pureté du cœur, il est au pouvoir des méchantes Langues d’entrainer la foule, & de l’obliger à suivre les mauvais exemples pour se garantir de la Censure. D’un autre côté, il ne faut que s’aquiter exactement de son devoir, si l’on veut imposer silence à la Calomnie ou la rendre inutile. Spencer, dans a Pièce intitulée Voïez le Journal Literaire de la Haye, Tome IX. p. 188La Reine des Fées, donne un bon conseil aux jeunes Dames, qui se plaignent de ce qu’on attaque leur réputation. Voici de quelle maniere il l’exprime : L’Avis, dit-il, le plus sûr & loïal Est d’éviter l’occasion du Mal ; Car, la cause une fois ôtée, L’effet se réduit en fumée. Abstenez-vous des Plaisirs criminels ; Obéïssez aux Ordres éternels ; Domtez vos passions & bridez votre Langue : Mangez fort sebrement, priez Dieu sans Harangue ; Parlez à cœur ouvert, & fuïez le secret ; Alors vous fermerez la bouche à l’indiscret. Au lieu de cette vigilance à l’égard des paroles & des actions, qu’un de nos anciens Poëtes, du tems de la Reine Elizabet, recommande au beau Sexe, on veut aujourd’hui qu’une jeune Dame puisse dire & faire tout ce qui lui plait, sans discontinuer d’être la plus jolie & la plus agréable Femme du Monde. Si un Pere ou un Fre-re, veut défendre l’honeur équivoque d’une Fille ou d’une Sœur, il est aussi peu en danger que s’il étoit à l’abri de la plus grande Innocence. Plusieurs de ces Afligées, qui sont en bute aux traits des méchantes Langues, font elles-mêmes si peu de mal, qu’elles dorment tous les jours de la vie jusques à midi ; qu’elles ne se mêlent d’autre chose que de leurs Personnes jusques à deux heures ; qu’elles prennent ensuite leur repas jusques à quatre ; qu’elles visitent, vont à la Comédie & passent la nuit à jouer. Faut-il, après cela, que le monde soit assez malin pour tirer des conséquences énormes de quelques coups d’œiul fort innocens en eux-mêmes, de quelques mots dits à l’oreille, ou de quelques fines railleries un peu libres avec des Gentilshommes polis, parce que ces Beautez ne sont pas aussi rigides que des Vestales ? J’avouë que la Vertu ne consiste pas en des airs gênez & de sotes grimaces ; mais il y a une certaine Bienséance, dans le regard & les manieres des Dames, fondée sur la Vertu & la Modestie, qu’on peut mieux sentir que décrire. Une jeune Dame, qui en est ornée, a droit à l’estime & à l’amitié des autres, & n’est point sujette aux traits de la Médisance ; ou, si elle en soufre d’abord, elle n’a qu’à perseverer dans son Innocence, qui en dissipe bientôt la malignité. Pour le dire franchement, il y a de si prodigieux Essains de Coquettes dans cette grande Ville, que, si elles n’étoient pas retenuës par quelques méchantes Langues de leur propre Sexe, il n’y auroit jamais aucune Paix entre elles, & qu’il nous seroit impossible de les y engager nous-mêmes. En qualité de Spectateur qui observe qu’une partie du Sexe Feminin sert à contrebalancer les fausses démarches de l’autre, quelque idée que j’aie des Raporteuses & des Médisantes, je ne voudrois non plus les suprimer tout-à-fait qu’un Général d’Armée ne voudroit bannir les Espions. Ses Ennemis ne manqueroient pas de le surprendre, s’ils venoient à savoir qu’il ne reçoit aucun avis de leurs mouvemens. Je me trouve si éloigné de cette pensée, que je soufre volontiers qu’il y ait une ou deux Médisantes dans chaque Quartier de la Ville, qu’elles vivent de bonne intelligence avec les Coquettes, qu’elles jouënt le même role, & qu’elles se conforment à toutes leurs manieres libres, mais innocentes ; pourvû qu’elles aient soin de m’avertir de ce qui se passe dans leurs Societez respectives. A l’égard de ce qu’on apelle Vertueux dans le Monde, c’est si peu de chose, & il est si facile de l’obtenir, qu’il ne faut pas une heure de reflexion tous les Mois pour en venir à bout. Il y a du plaisir d’entendre de jolies Dames parler de la Vertu & du Vice qui regnent dans leur Sexe. Celle-ci, dit l’une, est la plus lâche & la plus indolente Créature qu’il y ait au Monde ; mais il faut avouer qu’elle est d’une Vertu rigide. Celle-là, dit une autre, est la plus chagrine & la plus bizarre petite Salope qu’on ait jamais vûe, quoi que d’une Vertu sans sache. Enfin la troisième n’a pas la moindre charité pour aucune de ses Amies ; mais elle est d’une Vertu exemplaire. Si, parmi le gros des Hommes, on donne le titre d’Homme d’honeur à celui qui n’est pas un Poltron ; de même, entre la Cohue du beau Sexe, on apelle une Femme vertueuse celle qui n’est pas entierement plongée dans le desordre. T.