decet impudentiæ nomen effugere
debemus.Cic.
Orbicilla est la plus obligeante Créature qu’il y ait en
Ville, & qui rougit à tout bout de champ : elle n’a pas perdu
tout sentiment de pudeur ; mais elle a perdu son Innocence. Si elle
avoit plus de hardiesse, & qu’elle ne fît rien qui pût colorer
ses jouës, ne seroit-elle pas plus modeste sans cette rougeur
ambigue, qui est la livrée du crime & de la vertu ? La Modestie
consiste à n’avoir aucun Crime à se reprocher, & non pas à
rougir de celui qu’on a commis. Spencer, dans a Pièce intitulée Journal Literaire de
la Haye, Tome IX. p.
188La Reine des Fées,
donne un bon conseil aux jeunes Dames, qui se plaignent de ce qu’on
attaque leur réputation. Voici de quelle maniere il l’exprime :
Est d’éviter l’occasion du Mal ;
Car, la cause une fois ôtée,
L’effet se réduit en fumée.
Abstenez-vous des Plaisirs criminels ;
Obéïssez aux Ordres éternels ;
Domtez vos passions & bridez votre Langue :
Mangez fort sebrement, priez Dieu sans Harangue ;
Parlez à cœur ouvert, & fuïez le secret ;
Alors vous fermerez la bouche à l’indiscret.
Au lieu de cette vigilance à l’égard des paroles & des actions,
qu’un de nos anciens Poëtes, du tems de la Reine Elizabet, recommande au beau Sexe, on veut
aujourd’hui qu’une jeune Dame puisse dire & faire tout ce qui
lui plait, sans discontinuer d’être la plus jolie
& la plus agréable Femme du Monde. Si un Pere ou un
Fre-Vestales ? J’avouë que la Vertu ne consiste
pas en des airs gênez & de sotes grimaces ; mais il y a une
certaine Bienséance, dans le regard & les manieres des Dames,
fondée sur la Vertu & la Modestie, qu’on peut mieux sentir que
décrire. Une jeune Dame, qui en est ornée, a droit à l’estime &
à l’amitié des autres, & n’est point sujette aux traits de la
Médisance ; ou, si elle en soufre d’abord, elle n’a qu’à perseverer
dans son Innocence, qui en dissipe bientôt la malignité. Pour le
dire franchement, il y a de si prodigieux Essains de Coquettes dans
cette grande Ville, que, si elles n’étoient pas retenuës par
En qualité de Spectateur qui observe qu’une
partie du Sexe Feminin sert à contrebalancer les fausses démarches
de l’autre, quelque idée que j’aie des Raporteuses & des
Médisantes, je ne voudrois non plus les suprimer tout-à-fait qu’un
Général d’Armée ne voudroit bannir les Espions. Ses Ennemis ne
manqueroient pas de le surprendre, s’ils venoient à savoir qu’il ne
reçoit aucun avis de leurs mouvemens. Je me trouve si éloigné de
cette pensée, que je soufre volontiers qu’il y ait une ou deux
Médisantes dans chaque Quartier de la Ville, qu’elles vivent de
bonne intelligence avec les Coquettes, qu’elles jouënt le même role,
& qu’elles se conforment à toutes leurs manieres libres, mais
innocentes ; pourvû qu’elles aient soin de m’avertir de ce qui se
passe dans leurs Societez respectives.
A l’égard de ce qu’on apelle Vertueux dans le Monde, c’est si peu de
chose, & il est si facile de l’obtenir, qu’il ne faut pas une
heure de reflexion tous les Mois pour en venir à bout. Il y a du
plaisir d’entendre de jolies Dames parler de la Vertu & du Vice
qui regnent dans leur Sexe. Celle-ci, dit
l’une, est la plus lâche & la plus indolente
Créature qu’il y ait au Monde ; mais il faut avouer qu’elle est
d’une Vertu rigide. Celle-là, dit
une autre, est la plus chagrine & la plus
bizarre petite Salope qu’on ait jamais vûe, quoi que d’une Vertu
sans sache. Enfin la troisième n’a pas la moindre charité pour
aucune de ses Amies ; mais elle est d’une Vertu exemplaire.
Si, parmi le gros des Hommes, on donne le titre d’Homme d’honeur à
celui qui n’est pas un Poltron ; de même, entre la Cohue du beau
Sexe, on apelle une Femme vertueuse celle qui n’est pas entierement
plongée dans le desordre.
T.