‘Ρεια μάλ, άργαλέν δε’ φέρειν
Hesiod. Opera & Dies, v. 761.
On s’attire aussi facilement une mauvaise réputation, qu’elle est rude à supporter, & qu’il est difficile de la perdre.
médisance & de l’envie d’aquerir une grande reputation.
Ajoutez à ceci qu’un Homme, qui s’est aquis une réputation extraordinaire, s’attire les yeux d’une foule de gens, qui l’examinent à la rigueur, qui l’envisagent de tous les côtez, & qui se félicitent de le pouvoir regarder par quelque endroit desavantageux. Il y en a même plusieurs qui aiment à s’oposer au bruit de la Renommée, & à divulguer les foibles d’un Caractere sublime. Ils répandent leurs malignes découvertes avec un orgueil secret, & ils s’aplaudissent d’avoir mieux aprofondi que les autres l’objet de leur envie, d’y avoir remarqué ce qui avoit échapé à la pénétration des plus clair voyans, & d’avoir trouvé un défaut dans celui que tout le monde admire. Il en a d’autres qui publient les infirmitez d’un Homme illustre, avec d’autant plus de joie, qu’ils s’en croyent eux-mêmes,
Nous voyons, par ce petit détail, qu’il y a un nombre infini de motifs cachez, qui portent à la Médisance, & que le Heros est environné d’une foule d’Espions malins, qui observent de près toutes ses démarches,
Après tout, il faut avouer qu’un Mérite supérieur dissipe souvent tous ces petits nuages qui avoient d’abord obscurci sa réputation ; mais si, par un desir mal entendu de la gloire, ou par une foiblesse attachée à la Nature Humaine, on fait quelque démarche qui combat les devoirs les plus essentiels de la Vie, alors tous les Projets ambitieux tombent en ruine, & s’évanouissent. Les petites taches peuvent s’effacer & disparoître au milieu de l’éclat qui les environne ; mais une tache, qui pénétre jusques au fond, répand son ombre sur toutes les autres beautez, & obscurcit tout le Carac-
Mais quand les autres n’auroient aucun de ces motifs pour critiquer un Homme fameux, ou que lui-même n’auroit aucun de ces foibles, avec tout cela il auroit beaucoup de peine à maintenir sa réputation dans tout son éclat. Il faut qu’il l’entretienne & qu’il l’anime par une suite continuelle de glorieux Exploits. Du moins, d’abord qu’elle s’arrête, elle tombe, pour ainsi dire, en défaillance, & s’évanouit. L’admiration n’est pas de longue durée, elle se relâche presque aussi-tôt qu’elle se familiarise avec son objet, & vient à s’éteindre, si elle n’est soutenue tous les jours par de nouveaux miracles. D’ailleurs, quelque extraordinaires & surprenantes que soient les actions d’un Homme célébre, elles ont ce desavantage, qu’on n’en attendoit pas moins de lui ; & que si elles se trouvent un peu au dessous de l’idée qu’on s’en étoit faite, au lieu qu’elles serviroient à relever la gloire d’un autre, elles contribuent à ternir la sienne.
Il semble qu’on devroit goûter quelque chose de bien doux à jouir de la Gloire, puisque, malgré toutes ces idées mortifiantes, il se trouve des gens qui se hazardent à la poursuivre ; mais si l’on examinoit la petitesse du Bonheur qui accompagne un grand Nom, & les inquiétudes infinies, dont l’esprit de l’Ambitieux, qui le recherche, est agité, on seroit bien plus étonné de voir qu’il y ait tant d’Avanturiers, qui courent après cette Idole.
L’Ambition excite dans le cœur une foule de pensées tumultueuses, qui l’enflamment, & qui le tourmentent ; elle poursuit un Bien imaginaire, qui ne peut l’assouvir ni le calmer. La jouissance de la plupart des choses que nous souhaitons, remplit les desirs du Sens qui leur est propre, & satisfait pour quelque tems son apetit : mais la Gloire est un bien si éloigné de notre état, qu’il n’y a point de faculté dans l’Ame, qui y réponde, ni aucun organe dans le Corps qui puisse y trouver du goût ; en un mot, c’est un objet que l’on desire, & dont on ne sauroit jouir. Si elle donne quelque plaisir, c’est un plaisir mêlé de trouble & d’inquiétude, & bien loin d’apaiser la soif qu’elle excite, elle ne sert qu’à la redoubler. En effet, où sont les Ambitieux, qui ayent jamais obtenu la gloire qu’ils souhaitent, & qui, après avoir aquis une haute réputation, ne cherchent encore à l’étendre davantage ? Il n’y a rien dans le Caractere de César, qui me donne une plus Ciceron lui attribue, & qu’il avoit souvent à la bouche, lors qu’il s’entretenoit avec ses Amis, je veux dire, Qu’il avoit joui assez long-tems de la vie, & aquis assez de gloire, pour être satisfait de l’un & de l’autre.
D’ailleurs, si la jouissance de la Gloire est incapable de nous procurer une entiere satisfaction ; le desir, que nous avons pour elle, nous expose à une infinité d’embarras & de chagrins, dont ceux qui ne la recherchent pas, avec la même ardeur, se trouvent exemts. Combien de fois l’Ambitieux n’est-il pas déconcerté & abatu, s’il ne reçoit pas les Eloges qu’il attendoit ? Combien de fois n’est-il pas mortifié des Eloges mêmes qu’on lui donne, s’ils ne l’encensent pas autant qu’il croit le mériter ; ce qui n’arrive guéres à moins que la Flâterie ne s’en mêle, puisque les autres n’ont pas si bonne opinion de nous que nous en avons nous-mêmes ? Si l’Ambitieux est si choqué de certains Eloges, comment pourra-t-il soutenir les re-
Ce n’est pas tout, l’Ambitieux est plus sensible à la perte de sa gloire, qu’à la douceur de la posseder. Quoique la presence de ce Bien chimérique ne puisse pas nous rendre heureux, sa privation peut faire notre malheur ; parce que, dans la jouissance d’un Objet, nous ne trouvons que ce degré de plaisir qu’il peut nous donner ; au lieu que, dans sa perte, notre chagrin n’est pas proportionné à sa valeur intrinséque, mais à celle que notre Imagination lui fournit.
En un mot, le desir de la gloire est plûtôt enflâmé que satisfait, & de quelque maniere que la chose tourne, qu’il ait un bon ou un mauvais succès, il cause mille inquiétudes à l’Esprit. La jouissance de ce Bien n’est accompagnée que d’un Plaisir fort mince ; mais sa perte ou son absence nous expose à de vives douleurs, outre l’incertitude où l’on est de l’obtenir, puis qu’il dépend
C.