Zitiervorschlag: Anonym (Hrsg.): "XXXI. Discours", in: Le Spectateur ou le Socrate moderne, Vol.3\031 (1716), S. 191-196, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.1186 [aufgerufen am: ].


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XXXI. Discours

Zitat/Motto► Laudis amore tumes ? sunt certa piacula,
quae te
Tel purè lecto poterunt recreare libello.

Hor. L. i. Ep. i. 36.

Avez-vous trop de passion pour la gloire ? apliquez-vous à méditer trois fois sans préoccupation certaines véritez ; vous vous en trouverez bien. ◀Zitat/Motto

Metatextualität► Du bon & du mauvais usage des passions. En particulier de l’ambition que Dieu a mis dans le cœur des hommes. ◀Metatextualität

Ebene 2► A Considerer l’Ame, par une idée abstraite, dépouillée de ses Passions, elle est d’une nature lâche & paresseuse, lente dans ses projets, & molle dans l’execution. De sorte que les Passions servent à la remuer & à la faire agir, à éveiller l’Entendement, à fortifier la Volonté, & à rendre tout l’homme vigoureux & attentif dans la poursuite de ses desseins. Si c’est le but des Passions en général, c’est en particulier celui de l’Ambition, qui engage l’Ame à des entreprises capables d’aquerir de l’honneur & de la réputation à celui qui les fait. Mais si l’on réfléchit bien là-dessus, on trouvera que la Providence a mis cette Passion dans le cœur des Hommes pour de plus grandes vues.

Il étoit nécessaire pour le bien de la Société, qu’on inventât les Arts & les Sciences, qu’on écrivît des Livres là-dessus pour [192] les transmettre à la postérité, & que les Nations fussent soumises à quelque Gouvernement & civilisées : Mais puisque les simples motifs légitimes, capables d’engager à ces recherches ou à d’autres pareilles, ne pouvoient influer que sur les Ames nobles & vertueuses, on n’auroit fait alors que peu de progrès à tous ces égards, s’il n’y avoit eu quelque principe d’action commun à tous les Hommes. Ce principe est l’Ambition ou le desir de la gloire, qui empêche que les beaux talens ne soient enfouis & ne deviennent inutiles au Public ; qui trahit, pour ainsi dire, les Vicieux même, & qui les porte, malgré leur répugnance naturelle, à des exploits dignes de tous nos éloges. On peut remarquer d’ailleurs que les plus grands Génies sont les plus sensibles à la gloire, & que les petits Esprits en sont moins touchez, soit que cela vienne du sentiment intérieur qu’un Homme a de l’incapacité où il est d’y pouvoir jamais atteindre, ou d’un manque d’étendue d’Esprit qui l’empêche de courir après un Bien qui ne se raporte pas immédiatement à son intérêt ou à sa commodité, ou enfin de ce que la Providence ne l’a pas voulu assujettir à un Passion qui seroit inutile au monde, & qui le tourmenteroit lui-même.

Si ce desir n’étoit pas fort violent, la difficulté qu’il y a d’aquerir de la gloire, & le danger où l’on est de la perdre, après l’avoir obtenue, suffiroient pour détourner les hommes d’une poursuite si vaine. [193] Combien peu y en a-t-il qui ayent des talens propres à se faire admirer, & à se distinguer du reste du Genre Humain ? La Providence nous met presque tous à niveau les uns des autres, & observer une espece d’égalité dans la distribution de ses faveurs à notre égard. Si elle nous accorde un beau talent, elle nous en laisse manquer de quelque autre ; & il semble qu’elle cherche plûtôt à nous mettre en état de le faire valoir, qu’à nous perfectionner en toutes choses.

Entre ceux-là même qui sont les plus favorisez de la Nature, & que l’Education a le mieux polis, combien peu y en a-t-il dont les belles qualitez ne soient obscurcies par l’ignorance, les préjugez, ou l’envie des autres ? La plupart des Hommes ne sauroient distinguer une Action noble & généreuse d’une autre qui est basse & rampante ; ou ils l’attribuent à quelque indigne motif, ou ils la chargent de fausses couleurs, ou ils y donnent un mauvais tour.

On peut remarquer aussi que ceux qui courent le plus après la Gloire, & qui en sont les plus avides, ne l’obtiennent pas souvent, tout au rebours de ce que Saluste nous dit de Caton, Zitat/Motto► 1 qui en aquieroit davantage, moins il la recherchoit. ◀Zitat/Motto

Ces Envieux trouvent un plaisir malin â croiser nos inclinations, & à nous frustrer de ce que nous souhaitons avec le plus d’ar-[194]deur. Lors donc qu’ils aperçoient en quelqu’un le desir de la gloire, qui ne sauroit presque se cacher, ils deviennent réservez dans leurs éloges, ils lui envient la joie secrette qu’il peut recevoir d’un aplaudissement, & ils comptent que le bien, qu’ils en disent, est plûtôt une civilité rendue à sa personne, qu’un tribut dû à son mérite. Il y en a d’autres qui n’ont pas tant de malice ; mais qui n’aiment pas à louer un Homme trop prévenu en sa faveur, de crainte qu’il ne s’enorgueillît, & qu’il ne s’élevât trop au dessus de leur niveau.

Ce n’est pas tout, le desir de la gloire engage d’ordinaire l’Ambitieux à commettre certaines indécences, qui servent à diminuer sa réputation. Il craint toûjours de perdre le fruit de quelqu’une de ses démarches, qu’elles ne soient inconnues du Public, ou qu’on ne les represente à son desavantage. C’est ce qui l’entraîne souvent à se louer lui-même, & à faire un vain recit de ses belles promesses : Son discours panche toûjours d’un certain côté, & sur quelque sujet qu’il roule, il tend, d’une maniere indirecte, ou à médire des autres, ou à se donner de l’encens. La Vanité, qui est le foible naturel de l’Ambitieux, l’expose au secret mépris & à la risée des personnes qu’il fréquente, & ruine le Caractere qu’il cherche à soutenir avec tant d’industrie. Du moins, quelque glorieuses que soient ses actions, elles perdent tout leur lustre d’abord qu’il les étale lui-même, & qu’il les [195] veut exposer au grand jour. Comme le monde est plus porté à blâmer qu’à donner des éloges, il risque de voir son Orgueil censuré, pendant qu’on oubliera ses Exploits.

D’ailleurs, ce desir de la gloire marque une petitesse d’esprit & quelque imperfection dans le Caractere le plus sublime. Une veritable grandeur d’Ame regarde avec un genereux mépris les censures & les aplaudissemens de la Multitude, & met un Homme au dessus de tout le bien ou le mal qu’on peut dire de lui. C’est pour cela que nous avons du respect & de la vénération pour un Héros, qui semblable à ces Corps lumineux qui roulent sur nos tètes, ménent une vie illustre & réguliere, sans avoir aucun égard à la bonne ou à la mauvaise opinion qu’on a de sa conduite, à nos louanges ou à nos reproches. C’est ainsi tout au rebours que, pour ternir l’éclat de quelque action, on l’attribue à un principe d’orgueil & de vaine gloire. On peut dire même que ce Jugement n’est pas mal fondé, puisque ce n’est pas la marque d’un Esprit noble & généreux d’être animé à une belle action par un tel motif ; au lieu d’y être engagé par un principe d’amour en faveur du Genre Humain, ou pour la gloire de notre Créateur.

Ainsi la bonne Renommée est difficile à obtenir pour tout le monde, mais sur tout pour ceux qui la recherchent avec empressement, puisque la plûpart des Hommes [196] ont assez de malice ou de prudence, pour ne vouloir pas flatter l’orgueil de l’Ambitieux, que ce desir même de la gloire lui fait commettre des indécences qui diminuent sa réputation, & qu’il passe pour un foible dans les Caracteres les plus distinguez.

Metatextualität► Enfin, la Renommée se perd aussi facilement, qu’on a de la peine à l’aquerir ; mais ce sera le sujet d’un autre Discours. ◀Metatextualität

C. ◀Ebene 2 ◀Ebene 1

1Quò minus gloriam petebat, eò magis illum adsequebatur. Bell. Catil. c. 54.