XXVII. Discours Anonym Moralische Wochenschriften Klaus-Dieter Ertler Herausgeber Michaela Fischer Mitarbeiter Martin Stocker Mitarbeiter Katharina Tez Mitarbeiter Sarah Lang Gerlinde Schneider Martina Scholger Johannes Stigler Gunter Vasold Datenmodellierung Applikationsentwicklung Institut für Romanistik, Universität Graz Zentrum für Informationsmodellierung, Universität Graz Graz 20.07.2019 o:mws-11C-1286 Anonym: Le Spectateur français ou le Socrate moderne. Paris: Etienne Papillon 1716, 167-173 Le Spectateur ou le Socrate moderne 3 027 1716 Frankreich Ebene 1 Ebene 2 Ebene 3 Ebene 4 Ebene 5 Ebene 6 Allgemeine Erzählung Selbstportrait Fremdportrait Dialog Allegorisches Erzählen Traumerzählung Fabelerzählung Satirisches Erzählen Exemplarisches Erzählen Utopische Erzählung Metatextualität Zitat/Motto Leserbrief Graz, Austria French Frauenbild Immagine di Donne Image of Women Imagen de Mujeres Image de la femme Imagem feminina France 2.0,46.0

XXVII. Discours

Των δ(’ άκάματος ρ’έει αυδη‘Εκ στομάτων ήδεĩα

Hes. Theog. vf. 39.

Elles ne se lassent jamais de parler agréablement.

Des différentes Espéces de Rhetoriciennes qu’il y a parmi les Femmes.

Nous aprenons de quelques anciens Auteurs, que Socrate fut instruit dans l’Eloquence par une Femme, qui s’apelloit Aspasie, si je ne me trompe. Il faut avouer que j’ai toûjours regardé cet Art comme le plus propre qu’il y ait pour le beau Sexe, & il me semble que les Universitez ne seroient pas mal de les admettre à leurs Chaires de Rhétorique.

On a loué certains Hommes de ce qu’ils pouvoient parler des heures entieres sur quelque chose ; mais on doit convenir, à l’honneur des Dames, qu’il y en a plusieurs, entre elles, qui peuvent parler des heures entieres sur rien. J’en connois une moi-même, qui a fait sur le champ une longue Dissertation sur le bord d’une Jupe, & qui a mis en usage toutes les Figures de Rhétorique, pour gronder sa Servante qui avoit cassé une Tasse de porcelaine.

Si les Femmes étoient reçues à plaider dans les Cours de Justice, je suis persuadé qu’elles porteroient l’Eloquence du Barreau plus haut qu’elle n’est montée jusques-ici. On ne sauroit en douter, si l’on s’est jamais trouvé à quelqu’un de ces débats si communs entre nos Harangeres.

Il y a de ces Rhétoriciennes de plus d’une sorte : La premiere est de celles qui s’occupent à exciter les Passions, & peut-être que la Femme de Socrate étoit plus habile à cet égard que la Maitresse même qui l’avoit enseigné.

La seconde sorte est de celles qui s’adonnent aux Invectives, & qu’on apelle d’ordinaire des Médisantes. Elles ont l’Imagination fertile & une Eloquence merveilleuse. Avec quel flux de bouche & quelle vivacité n’amplifient-elles pas le moindre petit défaut dans la conduite des autres ? Avec quelle diversité de circonstances malignes & de phrases énergiques ne redisent-elles pas vingt fois la même Avanture? Je connois une vieille Dame, qui fit, d’un Mariage infortuné, le sujet de ses Entretiens, un Mois de suite. Elle blâmoit l’Epouse dans un endroit ; la plaignoit dans un autre ; se moquoit d’elle dans un troisiéme ; l’admiroit dans un quatriéme ; s’emportoit contre elle dans un cinquiéme ; en un mot, elle faillit à crever ses deux Chevaux de Carosse pour annoncer la part qu’elle prenoit à son malheur. Enfin, après s’être épuisée de ce côté-là, elle rendit visite aux nouveaux Mariez, loua la Femme de ce qu’elle avoit si bien choisi, l’entretint des réflexions malignes & déraisonnables qu’on faisoit à son égard, & la pria de lui accorder son amitié à l’avenir. C’est ainsi que la Censure & l’Approbation de cette espéce de Femmes ne servent qu’à remplir les vuides de la Conversation.

La troisiéme sorte des Femmes, qui entendent l’Art Oratoire, est de celles qu’on peut nommer Babillardes. Mademoiselle Fadaison excelle dans ce genre d’éloquence ; elle decrit merveilleusement bien tout le cérémoniel d’un Bâtéme ; elle raisonne à perte de vue sur une Coeffure ; elle sçait tout ce qui se passe dans les Maisons de ses Voisines, jusques aux Plats qu’on y sert tous les jours sur la table ; en un mot, elle entretient sa Compagnie, tout un après midi, des traits spirituels de son petit Garçon, qui n’a pas la force de bégayer.

Les Coquettes peuvent former la quatriéme classe de nos Rhétoriciennes. Madame Galand, pour ne manquer pas de matiere à discourir, aime un tel objet, & ne peut en souffrir la vue dans un clin d’œil ; elle cause avec son Perroquet, ou son Chien de Boulogne ; elle est d’une inquiétude accablante, quelque tems qu’il fasse, & ne sauroit trouver du repos dans aucun endroit de sa Chambre : Elle feint d’être en querelle avec tous les Hommes de sa connoissance, à qui elle a des obligations prétendues ; elle soupire sans aucun sujet de tristesse, & rit sans la moindre cause de gayeté. La Coquette est sur tout Maitresse de cette partie de l’Orateur, qu’on nomme l’Action. En effet, elle ne semble ouvrir la bouche que pour avoir occasion de prendre quelque nouvelle attitude, de vaincre un de ses traits, de lancer une œillade, ou de badiner avec son Evantail.

A l’égard du Caractere nouvelliste, politique, boufon, conteur, & des autres de la même espéce, on les voit parmi les Hommes aussi bien que parmi les Femmes, & c’est pour cela même que je les passerai sous silence.

J’ai souvent cherché la cause d’où peut venir que les Femmes l’emportent de beaucoup sur les Hommes, en fait de Babil, sans pouvoir jamais la découvrir. Je me suis quelquefois imaginé qu’elles n’ont pas la même faculté que les Hommes, de retenir ou de suprimer leurs pensées ; & qu’elles sont réduites, bon gré, malgré qu’elles en ayent, à laisser échaper tout ce qui leur vient dans l’esprit. Si cela est, peut-être que les Cartesiens en pourroient tirer une forte preuve, que l’Ame pense toûjours. Mais comme il y en a plusieurs qui croyent que le beau Sexe n’est pas tout-à-fait ennemi de la Dissimulation, & qu’il n’ignore pas l’Art de feindre, j’ai abandonné cette idée, & je n’ai rien oublié pour en trouver une meilleure. Dans cette vue, j’ai engagé un de mes Amis, très habile Anatomiste, à dissequer, d’abord qu’il en aura l’occasion, une Langue de Femme, & à examiner si elle ne seroit pas imbibée de quelque suc plein de feu qui lui donne cette grande souplesse & volubilité qu’on y remarque ; ou si les fibres, qu’on y voit, ne seroient pas d’une contexture plus fine & plus déliée que celles des Hommes ; ou s’il n’y auroit pas quelques muscles particuliers, qui la rendent incapable de vibrations subites ; ou enfin, s’il y a une afluence continuelle d’esprits animaux, qui passent, de la tête & du cœur, à ce petit instrument du Babil, par des conduits si cachez, qu’on n’ait pu les déterrer jusques ici. Je ne dois pas obmettre la raison qu’Voyez la Note, qui est au bas de la page 414. du ii. Tome du spectateur. Hudibras allégue, pour faire voir d’où vient que celles qui disent que des bagatelles, causent avec plus de facilité, & qui consiste en ce que la Langue est de la nature des Chevaux, qui courent d’autant plus vite qu’ils sont chargez d’un moindre poids.

Laquelle de ces raisons qu’on admette comme la plus probable, je trouve fort naïve la pensée de cet Irlandois, qui, après avoir causé quelques heures avec une de nos Rhétoriciennes, lui dit qu’il croyoit que sa Langue devoit être bien aise lorsque ses yeux étoient endormis, puis que’lle <sic> n’avoit pas un moment, de relâche lorsqu’ils veilloient.

Ceci me rapelle notre ancienne Ballade, qui commence par ces mots, La badine Femme de Bath, & où il y a ce bon trait :

D’abord Thomas dit, Il me semble Que les Langues du Sexe entier, Presque aussi mobiles que l’Air, Sont faites de feuilles de Tremble.

Ovide nous dit aussi que la Langue d’une belle Femme, après avoir été coupée & jettée par terre, murmuroit encore quelques mots ; & quoique cette action soit fort inhumaine, il la décrit d’une maniere si vive, que je ne sçaurois m’empêcher de la raporter ici dans les termes de l’Original :

Métam. L. VI. 556.Comprensam forcipe linguam Abstulit ense fero. Radix micat ultima linguæ. Ipsa jacet, terræque tremens immurmurat arræ, Utque salire solet mutilatæ cauda colubræ Palpitat :

Si cette Langue parloit sans bouche, que ne devoit-elle pas faire, lors qu’elle étoit accompagnée de tous les autres organes de la voix? Je pourrois ajouter ici l’Avanture de notre célébre Vendeuse de Pommes, si je n’avois sujet de soupçonner qu’elle tient un peu trop de la Fable.

Je suis d’ailleurs si charmé du son mélodieux de ce petit Instrument, que je ne voudrois point du tout le décourager. Le seul but que je me propose, dans cette Dissertation, est d’en bannir plusieurs tons desagréables, & en particulier ces petits contretems ou ces dissonnances, qui viennent de la Colere, de la Médisance, de l’Humeur causeuse & de la Coquetterie. En un mot, je voudrois qu’il fut toûjours monté sur le ton du bon Naturel, de la Vérité, de la Discrétion & de la Franchise.

C.

XXVII. Discours Των δ(’ άκάματος ρ’έει αυδη‘Εκ στομάτων ήδεĩα Hes. Theog. vf. 39. Elles ne se lassent jamais de parler agréablement. Des différentes Espéces de Rhetoriciennes qu’il y a parmi les Femmes. Nous aprenons de quelques anciens Auteurs, que Socrate fut instruit dans l’Eloquence par une Femme, qui s’apelloit Aspasie, si je ne me trompe. Il faut avouer que j’ai toûjours regardé cet Art comme le plus propre qu’il y ait pour le beau Sexe, & il me semble que les Universitez ne seroient pas mal de les admettre à leurs Chaires de Rhétorique. On a loué certains Hommes de ce qu’ils pouvoient parler des heures entieres sur quelque chose ; mais on doit convenir, à l’honneur des Dames, qu’il y en a plusieurs, entre elles, qui peuvent parler des heures entieres sur rien. J’en connois une moi-même, qui a fait sur le champ une longue Dissertation sur le bord d’une Jupe, & qui a mis en usage toutes les Figures de Rhétorique, pour gronder sa Servante qui avoit cassé une Tasse de porcelaine. Si les Femmes étoient reçues à plaider dans les Cours de Justice, je suis persuadé qu’elles porteroient l’Eloquence du Barreau plus haut qu’elle n’est montée jusques-ici. On ne sauroit en douter, si l’on s’est jamais trouvé à quelqu’un de ces débats si communs entre nos Harangeres. Il y a de ces Rhétoriciennes de plus d’une sorte : La premiere est de celles qui s’occupent à exciter les Passions, & peut-être que la Femme de Socrate étoit plus habile à cet égard que la Maitresse même qui l’avoit enseigné. La seconde sorte est de celles qui s’adonnent aux Invectives, & qu’on apelle d’ordinaire des Médisantes. Elles ont l’Imagination fertile & une Eloquence merveilleuse. Avec quel flux de bouche & quelle vivacité n’amplifient-elles pas le moindre petit défaut dans la conduite des autres ? Avec quelle diversité de circonstances malignes & de phrases énergiques ne redisent-elles pas vingt fois la même Avanture? Je connois une vieille Dame, qui fit, d’un Mariage infortuné, le sujet de ses Entretiens, un Mois de suite. Elle blâmoit l’Epouse dans un endroit ; la plaignoit dans un autre ; se moquoit d’elle dans un troisiéme ; l’admiroit dans un quatriéme ; s’emportoit contre elle dans un cinquiéme ; en un mot, elle faillit à crever ses deux Chevaux de Carosse pour annoncer la part qu’elle prenoit à son malheur. Enfin, après s’être épuisée de ce côté-là, elle rendit visite aux nouveaux Mariez, loua la Femme de ce qu’elle avoit si bien choisi, l’entretint des réflexions malignes & déraisonnables qu’on faisoit à son égard, & la pria de lui accorder son amitié à l’avenir. C’est ainsi que la Censure & l’Approbation de cette espéce de Femmes ne servent qu’à remplir les vuides de la Conversation. La troisiéme sorte des Femmes, qui entendent l’Art Oratoire, est de celles qu’on peut nommer Babillardes. Mademoiselle Fadaison excelle dans ce genre d’éloquence ; elle decrit merveilleusement bien tout le cérémoniel d’un Bâtéme ; elle raisonne à perte de vue sur une Coeffure ; elle sçait tout ce qui se passe dans les Maisons de ses Voisines, jusques aux Plats qu’on y sert tous les jours sur la table ; en un mot, elle entretient sa Compagnie, tout un après midi, des traits spirituels de son petit Garçon, qui n’a pas la force de bégayer. Les Coquettes peuvent former la quatriéme classe de nos Rhétoriciennes. Madame Galand, pour ne manquer pas de matiere à discourir, aime un tel objet, & ne peut en souffrir la vue dans un clin d’œil ; elle cause avec son Perroquet, ou son Chien de Boulogne ; elle est d’une inquiétude accablante, quelque tems qu’il fasse, & ne sauroit trouver du repos dans aucun endroit de sa Chambre : Elle feint d’être en querelle avec tous les Hommes de sa connoissance, à qui elle a des obligations prétendues ; elle soupire sans aucun sujet de tristesse, & rit sans la moindre cause de gayeté. La Coquette est sur tout Maitresse de cette partie de l’Orateur, qu’on nomme l’Action. En effet, elle ne semble ouvrir la bouche que pour avoir occasion de prendre quelque nouvelle attitude, de vaincre un de ses traits, de lancer une œillade, ou de badiner avec son Evantail. A l’égard du Caractere nouvelliste, politique, boufon, conteur, & des autres de la même espéce, on les voit parmi les Hommes aussi bien que parmi les Femmes, & c’est pour cela même que je les passerai sous silence. J’ai souvent cherché la cause d’où peut venir que les Femmes l’emportent de beaucoup sur les Hommes, en fait de Babil, sans pouvoir jamais la découvrir. Je me suis quelquefois imaginé qu’elles n’ont pas la même faculté que les Hommes, de retenir ou de suprimer leurs pensées ; & qu’elles sont réduites, bon gré, malgré qu’elles en ayent, à laisser échaper tout ce qui leur vient dans l’esprit. Si cela est, peut-être que les Cartesiens en pourroient tirer une forte preuve, que l’Ame pense toûjours. Mais comme il y en a plusieurs qui croyent que le beau Sexe n’est pas tout-à-fait ennemi de la Dissimulation, & qu’il n’ignore pas l’Art de feindre, j’ai abandonné cette idée, & je n’ai rien oublié pour en trouver une meilleure. Dans cette vue, j’ai engagé un de mes Amis, très habile Anatomiste, à dissequer, d’abord qu’il en aura l’occasion, une Langue de Femme, & à examiner si elle ne seroit pas imbibée de quelque suc plein de feu qui lui donne cette grande souplesse & volubilité qu’on y remarque ; ou si les fibres, qu’on y voit, ne seroient pas d’une contexture plus fine & plus déliée que celles des Hommes ; ou s’il n’y auroit pas quelques muscles particuliers, qui la rendent incapable de vibrations subites ; ou enfin, s’il y a une afluence continuelle d’esprits animaux, qui passent, de la tête & du cœur, à ce petit instrument du Babil, par des conduits si cachez, qu’on n’ait pu les déterrer jusques ici. Je ne dois pas obmettre la raison qu’Voyez la Note, qui est au bas de la page 414. du ii. Tome du spectateur. Hudibras allégue, pour faire voir d’où vient que celles qui disent que des bagatelles, causent avec plus de facilité, & qui consiste en ce que la Langue est de la nature des Chevaux, qui courent d’autant plus vite qu’ils sont chargez d’un moindre poids. Laquelle de ces raisons qu’on admette comme la plus probable, je trouve fort naïve la pensée de cet Irlandois, qui, après avoir causé quelques heures avec une de nos Rhétoriciennes, lui dit qu’il croyoit que sa Langue devoit être bien aise lorsque ses yeux étoient endormis, puis que’lle <sic> n’avoit pas un moment, de relâche lorsqu’ils veilloient. Ceci me rapelle notre ancienne Ballade, qui commence par ces mots, La badine Femme de Bath, & où il y a ce bon trait : D’abord Thomas dit, Il me semble Que les Langues du Sexe entier, Presque aussi mobiles que l’Air, Sont faites de feuilles de Tremble. Ovide nous dit aussi que la Langue d’une belle Femme, après avoir été coupée & jettée par terre, murmuroit encore quelques mots ; & quoique cette action soit fort inhumaine, il la décrit d’une maniere si vive, que je ne sçaurois m’empêcher de la raporter ici dans les termes de l’Original : Métam. L. VI. 556.Comprensam forcipe linguam Abstulit ense fero. Radix micat ultima linguæ. Ipsa jacet, terræque tremens immurmurat arræ, Utque salire solet mutilatæ cauda colubræ Palpitat : Si cette Langue parloit sans bouche, que ne devoit-elle pas faire, lors qu’elle étoit accompagnée de tous les autres organes de la voix? Je pourrois ajouter ici l’Avanture de notre célébre Vendeuse de Pommes, si je n’avois sujet de soupçonner qu’elle tient un peu trop de la Fable. Je suis d’ailleurs si charmé du son mélodieux de ce petit Instrument, que je ne voudrois point du tout le décourager. Le seul but que je me propose, dans cette Dissertation, est d’en bannir plusieurs tons desagréables, & en particulier ces petits contretems ou ces dissonnances, qui viennent de la Colere, de la Médisance, de l’Humeur causeuse & de la Coquetterie. En un mot, je voudrois qu’il fut toûjours monté sur le ton du bon Naturel, de la Vérité, de la Discrétion & de la Franchise. C.