Juv. Sat. x. 365.
Si l’on a la Prudence en partage, on ne manqua jamais d’avoir tout le secours qu’un peut obtenir du Ciel.
penser tout haut.
L’Orateur Romain est donc bien fondé à combattre cette Maxime de quelques An- Je ne sai point de quel endroit de « Qu’un Homme doit vivre avec son Ennemi d’une manière qui le puisse engager à devenir son Ami ; & avec son Ami d’une telle manière, qu’il ne puisse jamais être en état de lui faire du mal, en cas qu’il devînt son Ennemi. »
La Discrétion ne se montre pas seulement dans nos paroles, mais aussi dans toutes nos démarches, & sert en quelque maniere d’infiniment à la Providence, pour nous diriger dans tout ce qui regarde cette Vie.
L’esprit Humain est orné de plusieurs
L’Homme discret ne se borne pas à bien ménager ses propres talens ; il fait aussi découvrir ceux des autres, les faire valoir & les apliquer à leur légitime usage. Nous voïons aussi que ce n’est ni le Spirituel, ni le Savant, ni le Brave qui regle la Convention & qui produit l’agrément de la Société, mais le Discret. Un Homme, qui a de beaux talens, & qui manque de Discrétion, ressemble au Polyphéme de la Fable, revêtu d’une force extraordinaire, qui ne lui sert de rien, parce qu’il est aveugle.
Quoi qu’un Homme possede toutes les autres bonnes qualitez, s’il n’a pas la Discrétion, il ne sera que d’une petite conséquence dans le Monde ; mais, avec cet unique talent & une médiocre portion des autres, il peut faire tout ce qu’il lui plaît dans le Poste où il se trouve.
Si d’un côté la Discrétion est la plus utile de toutes les qualitez qu’un Homme puisse
Le tour d’esprit, qui est naturel à l’Homme discret, l’entraîne jusques dans l’avenir le plus reculé & l’oblige de penser à l’état où il se trouvera au bout de quelques milliers de siécles, de même qu’à celui où il se trouve aujourd’hui. Il fait que le Bonheur ou le Malheur qui lui sont destinez dans un autre Monde, ne perdent rien de leur réalité par l’éloignement où il les voit. Les objets n’en deviennent pas plus petits à son égard, malgré toute leur distance. Il n’ignore pas que ces joyes & ces peines, cachées dans l’éternité, s’aprochent à toute heure de lui, & qu’il en sentira un jour tout le poids, de même qu’il sent aujourd’hui le plaisir & le chagrin. C’est pour cela qu’il travaille avec une grande aplication à s’assurer de ce qui fait le véritable bonheur de sa Nature, & le dernier but de son Etre. Il porte ses pensées jusques à la fin de chaque Action, & il en considere les effets les plus éloignez, aussi bien que les plus immédiats. Il renonce à tous les petits intérêts & avantages qui se presentent dans cette Vie, s’ils ne s’accordent pas avec le dessein qu’il a pour un avenir éternel. En un mot, ses espérances ne tendent qu’à l’Immortalité, ses projets sont vastes & glorieux, & sa conduite est celle d’un Homme qui connoît ses véritables intérêts & qui les cherche par les voyes les plus légitimes.
Dans cet Essai sur la Discrétion, je l’ai Prudence, & quelquefois celui de Sagesse. En effet, de la manière dont je l’ai dépeinte, c’est la plus haute Sagesse où l’on puisse aspirer, & avec tout cela il est au pouvoir de chacun d’y atteindre. Ses avantages sont infinis, & on peut l’acquérir sans peine ; ou, pour m’exprimer avec le même Auteur, SALOMON, Ch. vi. 13, 17.La Sagesse est pleine de lumiere, & sa beauté ne se flétrit point. Ceux qui l’aiment la découvrent aisément & ceux qui la cherchent la trouvent. Elle prévient ceux qui la désirent, & elle se montre à eux la première. Celui qui veille dès le matin pour la posseder n’aura pas de peine, parce qu’il la trouvera assise à la porte. Ainsi, occuper son esprit de la Sagesse, c’est la parfaite Prudence, & celui qui veillera pour l’acquerir sera bien-tôt en repos. Car elle tourne elle-même de tous côtez pour chercher ceux qui sont dignes d’elle. Elle se montre à eux agréablement dans ses voyes, & elle va au devant d’eux avec tout le soin de sa providence.
C.