XIV. Discours Anonym Moralische Wochenschriften Klaus-Dieter Ertler Herausgeber Michaela Fischer-Pernkopf Herausgeber Martin Stocker Mitarbeiter Katharina Tez Mitarbeiter Sarah Lang Gerlinde Schneider Martina Scholger Johannes Stigler Gunter Vasold Datenmodellierung Applikationsentwicklung Institut für Romanistik, Universität Graz Zentrum für Informationsmodellierung, Universität Graz Graz 24.05.2019 o:mws-11C-1273 Anonym: Le Spectateur français ou le Socrate moderne. Paris: Etienne Papillon 1716, 84-90, Le Spectateur ou le Socrate moderne 3 014 1716 Frankreich Ebene 1 Ebene 2 Ebene 3 Ebene 4 Ebene 5 Ebene 6 Allgemeine Erzählung Selbstportrait Fremdportrait Dialog Allegorisches Erzählen Traumerzählung Fabelerzählung Satirisches Erzählen Exemplarisches Erzählen Utopische Erzählung Metatextualität Zitat/Motto Leserbrief Graz, Austria French Gesprächskultur Cultura della Conversazione Culture of Conversation Cultura de la Conversación Culture de la conversation Cultura da conversação France 2.0,46.0

XIV. Discours

Nullum numen abest, si fit prudentia.

Juv. Sat. x. 365.

Si l’on a la Prudence en partage, on ne manqua jamais d’avoir tout le secours qu’un peut obtenir du Ciel.

La Discrétion est une Vertu fort nécessaire dans cette Vie, & pour l’autre.

Il m’est venu souvent dans l’esprit que, si l’on voyoit toutes les pensées des Homme, on ne trouveroit pas beaucoup de difference entre celles du Sage & celles du Fou. Il y a un nombre infini de Rêveries, d’Extravagances & de Vanitez, qui les occupent l’un & l’autre. Tout ce qui les distingue vient de ce que le premier fait faire un bon choix de ses pensées, qu’il en rejette les unes & qu’il les met au jour sans aucun discernement. Avec tout cela, cette espece de réserve ne regarde point la conservation particuliere entre des Amis intimes. En tels cas, les plus sages parlent souvent de même que les plus indiscrets, puisque s’entretenir avec un Ami n’est autre chose, pour ainsi dire, que penser tout haut.

L’Orateur Romain est donc bien fondé à combattre cette Maxime de quelques An-ciens qui disoient, Je ne sai point de quel endroit de Ciceron l’Auteur a pris cette Maxime ; mais dans son Dialogue De Amicitia, je ne trouve que celle-ci, C. 16. qui y ait quelque raport & qui est conçue en ces termes : Ita amare operaere, ut si aliquando esset osurus : c’est-à-dire, Qu’on doit aimer une personne ; comme si elle devoit vous haïr un jour.« Qu’un Homme doit vivre avec son Ennemi d’une manière qui le puisse engager à devenir son Ami ; & avec son Ami d’une telle manière, qu’il ne puisse jamais être en état de lui faire du mal, en cas qu’il devînt son Ennemi. » La premiere partie de cette Maxime, qui regarde notre conduite envers un Ennemi, est fort prudente & raisonnable, mais la derniere, qui tombe sur notre conduite avec un Ami, sent plutôt la Ruse que la Discrétion, & nous raviroit, à la suivre, un des plus grands plaisirs de la Vie, je veux dire celui qu’on goûte à parler librement avec un Ami du cœur. Ajoûtez à ceci que lors qu’un Ami vous abandonne, & qu’il trahit votre secret, pour m’exprîmer avec le Fils de Sirach, le monde est assez juste pour condamner sa perfidie plûtôt que votre imprudence.

La Discrétion ne se montre pas seulement dans nos paroles, mais aussi dans toutes nos démarches, & sert en quelque maniere d’infiniment à la Providence, pour nous diriger dans tout ce qui regarde cette Vie.

L’esprit Humain est orné de plusieurs autres qualitez éclatantes ; mais il n’y en a point de si utile que la Discrétion ; c’est elle qui donne le prix à toutes les autres, qui les met en œuvre en tems & lieu, & qui les tourne à l’avantage de la Personne qui les possede. Sans elle on peut dire que le Savoir n’est que Pédanterie, & l’Esprit qu’Impertinence ; la Vertu même devient presque un Défaut & les plus beaux talens ne servent qu’à rendre un Homme plus remarquable dans ses Erreurs & plus actif à son préjudice.

L’Homme discret ne se borne pas à bien ménager ses propres talens ; il fait aussi découvrir ceux des autres, les faire valoir & les apliquer à leur légitime usage. Nous voïons aussi que ce n’est ni le Spirituel, ni le Savant, ni le Brave qui regle la Convention & qui produit l’agrément de la Société, mais le Discret. Un Homme, qui a de beaux talens, & qui manque de Discrétion, ressemble au Polyphéme de la Fable, revêtu d’une force extraordinaire, qui ne lui sert de rien, parce qu’il est aveugle.

Quoi qu’un Homme possede toutes les autres bonnes qualitez, s’il n’a pas la Discrétion, il ne sera que d’une petite conséquence dans le Monde ; mais, avec cet unique talent & une médiocre portion des autres, il peut faire tout ce qu’il lui plaît dans le Poste où il se trouve.

Si d’un côté la Discrétion est la plus utile de toutes les qualitez qu’un Homme puisse avoir, j’ose avancer de l’autre que la Finesse n’est que le partage des petits Esprits, qui n’ont ni grandeur ni élévation. La premiere a toujours en vue les fins les plus nobles, & les poursuit par les voies les plus justes & les plus honnêtes au lieu que la Ruse ne tend qu’à son intérêt sordide, & ne fait scrupule de rien pour l’obtenir. La Discrétion a de vastes desseins, & semblable à un Oeil vif & perçant, elle se promène d’un bout de l’Horison à l’autre : La Finesse est une espèce de vue courte, qui découvre les plus petits objets qui se trouvent à portée & dans son voisinage ; mais qui ne peut discerner ceux qui sont un peu éloignez. La Discrétion donne plus d’autorité à celui qui la possede, plus elle se manifeste : la Ruse une fois découverte perd toute sa force, & rend un Homme incapable d’exécuter les Projets, dont il auroi pu venir à bout, s’il n’eut passé que pour un Homme franc & sincere. La Discrétion est le rafinement de la Raison, & un Guide fidéle dans tous les Devoirs de la Vie : la Ruse est une espéce d’Instinct, qui ne regarde qu’à notre Intérêt particulier dans ce Monde. La Discrétion ne se trouve que dans les Hommes d’un sens exquis & d un génie supérieur : la Ruse éclate souvent dans les Bêtes mêmes, & dans les Personnes qui n’en diffèrent pas beaucoup. En un mot, la Ruse n’est que le Singe de la Discrétion, & ne peut tromper que les Simples, de la même manière que la Viva-cité passe quelquefois pour bel Esprit, & l’Air grave pour une marque de Prudence.

Le tour d’esprit, qui est naturel à l’Homme discret, l’entraîne jusques dans l’avenir le plus reculé & l’oblige de penser à l’état où il se trouvera au bout de quelques milliers de siécles, de même qu’à celui où il se trouve aujourd’hui. Il fait que le Bonheur ou le Malheur qui lui sont destinez dans un autre Monde, ne perdent rien de leur réalité par l’éloignement où il les voit. Les objets n’en deviennent pas plus petits à son égard, malgré toute leur distance. Il n’ignore pas que ces joyes & ces peines, cachées dans l’éternité, s’aprochent à toute heure de lui, & qu’il en sentira un jour tout le poids, de même qu’il sent aujourd’hui le plaisir & le chagrin. C’est pour cela qu’il travaille avec une grande aplication à s’assurer de ce qui fait le véritable bonheur de sa Nature, & le dernier but de son Etre. Il porte ses pensées jusques à la fin de chaque Action, & il en considere les effets les plus éloignez, aussi bien que les plus immédiats. Il renonce à tous les petits intérêts & avantages qui se presentent dans cette Vie, s’ils ne s’accordent pas avec le dessein qu’il a pour un avenir éternel. En un mot, ses espérances ne tendent qu’à l’Immortalité, ses projets sont vastes & glorieux, & sa conduite est celle d’un Homme qui connoît ses véritables intérêts & qui les cherche par les voyes les plus légitimes.

Dans cet Essai sur la Discrétion, je l’ai envisagée comme une bonne qualité & une vertu, & c’est pour cela même que je l’ai décrite dans toute son étendue ; non seulement en ce qu’elle s’occupe aux affaires du monde, mais aussi en ce qu’elle regarde toute notre Existence ; non seulement en ce qu’elle sert de Guide à une Créature mortel, mais aussi en ce qu’elle est en général la Directrice d’un Etre raisonnable. C’est dans cette vue que l’Auteur d’un de nos Livres Apocryphes lui donne quelquefois le titre de Prudence, & quelquefois celui de Sagesse. En effet, de la manière dont je l’ai dépeinte, c’est la plus haute Sagesse où l’on puisse aspirer, & avec tout cela il est au pouvoir de chacun d’y atteindre. Ses avantages sont infinis, & on peut l’acquérir sans peine ; ou, pour m’exprimer avec le même Auteur, La Sap. De PHILON, ou la Sag. De SALOMON, Ch. vi. 13, 17.La Sagesse est pleine de lumiere, & sa beauté ne se flétrit point. Ceux qui l’aiment la découvrent aisément & ceux qui la cherchent la trouvent. Elle prévient ceux qui la désirent, & elle se montre à eux la première. Celui qui veille dès le matin pour la posseder n’aura pas de peine, parce qu’il la trouvera assise à la porte. Ainsi, occuper son esprit de la Sagesse, c’est la parfaite Prudence, & celui qui veillera pour l’acquerir sera bien-tôt en repos. Car elle tourne elle-même de tous côtez pour chercher ceux qui sont dignes d’elle. Elle se montre à eux agréablement dans ses voyes, & elle va au devant d’eux avec tout le soin de sa providence.

C.

XIV. Discours Nullum numen abest, si fit prudentia. Juv. Sat. x. 365. Si l’on a la Prudence en partage, on ne manqua jamais d’avoir tout le secours qu’un peut obtenir du Ciel. La Discrétion est une Vertu fort nécessaire dans cette Vie, & pour l’autre. Il m’est venu souvent dans l’esprit que, si l’on voyoit toutes les pensées des Homme, on ne trouveroit pas beaucoup de difference entre celles du Sage & celles du Fou. Il y a un nombre infini de Rêveries, d’Extravagances & de Vanitez, qui les occupent l’un & l’autre. Tout ce qui les distingue vient de ce que le premier fait faire un bon choix de ses pensées, qu’il en rejette les unes & qu’il les met au jour sans aucun discernement. Avec tout cela, cette espece de réserve ne regarde point la conservation particuliere entre des Amis intimes. En tels cas, les plus sages parlent souvent de même que les plus indiscrets, puisque s’entretenir avec un Ami n’est autre chose, pour ainsi dire, que penser tout haut. L’Orateur Romain est donc bien fondé à combattre cette Maxime de quelques An-ciens qui disoient, Je ne sai point de quel endroit de Ciceron l’Auteur a pris cette Maxime ; mais dans son Dialogue De Amicitia, je ne trouve que celle-ci, C. 16. qui y ait quelque raport & qui est conçue en ces termes : Ita amare operaere, ut si aliquando esset osurus : c’est-à-dire, Qu’on doit aimer une personne ; comme si elle devoit vous haïr un jour.« Qu’un Homme doit vivre avec son Ennemi d’une manière qui le puisse engager à devenir son Ami ; & avec son Ami d’une telle manière, qu’il ne puisse jamais être en état de lui faire du mal, en cas qu’il devînt son Ennemi. » La premiere partie de cette Maxime, qui regarde notre conduite envers un Ennemi, est fort prudente & raisonnable, mais la derniere, qui tombe sur notre conduite avec un Ami, sent plutôt la Ruse que la Discrétion, & nous raviroit, à la suivre, un des plus grands plaisirs de la Vie, je veux dire celui qu’on goûte à parler librement avec un Ami du cœur. Ajoûtez à ceci que lors qu’un Ami vous abandonne, & qu’il trahit votre secret, pour m’exprîmer avec le Fils de Sirach, le monde est assez juste pour condamner sa perfidie plûtôt que votre imprudence. La Discrétion ne se montre pas seulement dans nos paroles, mais aussi dans toutes nos démarches, & sert en quelque maniere d’infiniment à la Providence, pour nous diriger dans tout ce qui regarde cette Vie. L’esprit Humain est orné de plusieurs autres qualitez éclatantes ; mais il n’y en a point de si utile que la Discrétion ; c’est elle qui donne le prix à toutes les autres, qui les met en œuvre en tems & lieu, & qui les tourne à l’avantage de la Personne qui les possede. Sans elle on peut dire que le Savoir n’est que Pédanterie, & l’Esprit qu’Impertinence ; la Vertu même devient presque un Défaut & les plus beaux talens ne servent qu’à rendre un Homme plus remarquable dans ses Erreurs & plus actif à son préjudice. L’Homme discret ne se borne pas à bien ménager ses propres talens ; il fait aussi découvrir ceux des autres, les faire valoir & les apliquer à leur légitime usage. Nous voïons aussi que ce n’est ni le Spirituel, ni le Savant, ni le Brave qui regle la Convention & qui produit l’agrément de la Société, mais le Discret. Un Homme, qui a de beaux talens, & qui manque de Discrétion, ressemble au Polyphéme de la Fable, revêtu d’une force extraordinaire, qui ne lui sert de rien, parce qu’il est aveugle. Quoi qu’un Homme possede toutes les autres bonnes qualitez, s’il n’a pas la Discrétion, il ne sera que d’une petite conséquence dans le Monde ; mais, avec cet unique talent & une médiocre portion des autres, il peut faire tout ce qu’il lui plaît dans le Poste où il se trouve. Si d’un côté la Discrétion est la plus utile de toutes les qualitez qu’un Homme puisse avoir, j’ose avancer de l’autre que la Finesse n’est que le partage des petits Esprits, qui n’ont ni grandeur ni élévation. La premiere a toujours en vue les fins les plus nobles, & les poursuit par les voies les plus justes & les plus honnêtes au lieu que la Ruse ne tend qu’à son intérêt sordide, & ne fait scrupule de rien pour l’obtenir. La Discrétion a de vastes desseins, & semblable à un Oeil vif & perçant, elle se promène d’un bout de l’Horison à l’autre : La Finesse est une espèce de vue courte, qui découvre les plus petits objets qui se trouvent à portée & dans son voisinage ; mais qui ne peut discerner ceux qui sont un peu éloignez. La Discrétion donne plus d’autorité à celui qui la possede, plus elle se manifeste : la Ruse une fois découverte perd toute sa force, & rend un Homme incapable d’exécuter les Projets, dont il auroi pu venir à bout, s’il n’eut passé que pour un Homme franc & sincere. La Discrétion est le rafinement de la Raison, & un Guide fidéle dans tous les Devoirs de la Vie : la Ruse est une espéce d’Instinct, qui ne regarde qu’à notre Intérêt particulier dans ce Monde. La Discrétion ne se trouve que dans les Hommes d’un sens exquis & d un génie supérieur : la Ruse éclate souvent dans les Bêtes mêmes, & dans les Personnes qui n’en diffèrent pas beaucoup. En un mot, la Ruse n’est que le Singe de la Discrétion, & ne peut tromper que les Simples, de la même manière que la Viva-cité passe quelquefois pour bel Esprit, & l’Air grave pour une marque de Prudence. Le tour d’esprit, qui est naturel à l’Homme discret, l’entraîne jusques dans l’avenir le plus reculé & l’oblige de penser à l’état où il se trouvera au bout de quelques milliers de siécles, de même qu’à celui où il se trouve aujourd’hui. Il fait que le Bonheur ou le Malheur qui lui sont destinez dans un autre Monde, ne perdent rien de leur réalité par l’éloignement où il les voit. Les objets n’en deviennent pas plus petits à son égard, malgré toute leur distance. Il n’ignore pas que ces joyes & ces peines, cachées dans l’éternité, s’aprochent à toute heure de lui, & qu’il en sentira un jour tout le poids, de même qu’il sent aujourd’hui le plaisir & le chagrin. C’est pour cela qu’il travaille avec une grande aplication à s’assurer de ce qui fait le véritable bonheur de sa Nature, & le dernier but de son Etre. Il porte ses pensées jusques à la fin de chaque Action, & il en considere les effets les plus éloignez, aussi bien que les plus immédiats. Il renonce à tous les petits intérêts & avantages qui se presentent dans cette Vie, s’ils ne s’accordent pas avec le dessein qu’il a pour un avenir éternel. En un mot, ses espérances ne tendent qu’à l’Immortalité, ses projets sont vastes & glorieux, & sa conduite est celle d’un Homme qui connoît ses véritables intérêts & qui les cherche par les voyes les plus légitimes. Dans cet Essai sur la Discrétion, je l’ai envisagée comme une bonne qualité & une vertu, & c’est pour cela même que je l’ai décrite dans toute son étendue ; non seulement en ce qu’elle s’occupe aux affaires du monde, mais aussi en ce qu’elle regarde toute notre Existence ; non seulement en ce qu’elle sert de Guide à une Créature mortel, mais aussi en ce qu’elle est en général la Directrice d’un Etre raisonnable. C’est dans cette vue que l’Auteur d’un de nos Livres Apocryphes lui donne quelquefois le titre de Prudence, & quelquefois celui de Sagesse. En effet, de la manière dont je l’ai dépeinte, c’est la plus haute Sagesse où l’on puisse aspirer, & avec tout cela il est au pouvoir de chacun d’y atteindre. Ses avantages sont infinis, & on peut l’acquérir sans peine ; ou, pour m’exprimer avec le même Auteur, La Sap. De PHILON, ou la Sag. De SALOMON, Ch. vi. 13, 17.La Sagesse est pleine de lumiere, & sa beauté ne se flétrit point. Ceux qui l’aiment la découvrent aisément & ceux qui la cherchent la trouvent. Elle prévient ceux qui la désirent, & elle se montre à eux la première. Celui qui veille dès le matin pour la posseder n’aura pas de peine, parce qu’il la trouvera assise à la porte. Ainsi, occuper son esprit de la Sagesse, c’est la parfaite Prudence, & celui qui veillera pour l’acquerir sera bien-tôt en repos. Car elle tourne elle-même de tous côtez pour chercher ceux qui sont dignes d’elle. Elle se montre à eux agréablement dans ses voyes, & elle va au devant d’eux avec tout le soin de sa providence. C.