Zitiervorschlag: Anonym (Hrsg.): "IX. Discours", in: Le Spectateur ou le Socrate moderne, Vol.3\009 (1716), S. 54-58, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter / Fischer-Pernkopf, Michaela (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.1162 [aufgerufen am: ].


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IX. Discours

Zitat/Motto► Quod de quoque viro, & cui dicas sæpe
videto.

Hor. L. I. Ep. xviii. 68.

Observez-vous sur ce que vous dites des personnes dont vous parlez ; prenez garde à qui vous le dites. ◀Zitat/Motto

Metatextualität►

De la Réputation en général, & de la délicatesse du Crédit à l’égard des Marchands.

◀Metatextualität

Ebene 2► Il m’arriva l’autre jour, comme il m’est assez ordinaire, d’aller tomber dans un petit Caffé borgne au-delá 1 d’Aldgate, où je vis deux ou trois Hommes sans façon qui parloient du Spectateur. Dialog► L’un dit, que ce matin-là même il avoit tiré le gros Lot ; la’autre ajouta qu’il souhaieroit que cela fut vrai ; mais le troisième repliqua, en secouant la tête, qu’il n’importoit pas beaucoup, & qu’il ‘etoit grand dommage que l’Auteur de cette Feuille volante ne menât pas une vie plus réglée. « C’est, continua-t-il, le plus extravagant de tous les Hommes ; il a dépensé des Sommes immenses, quoique toûjours à l’etroit ; quelques beaux Discours qu’il ait publié sur l’Oeconomie, il est si prodigue, qu’il n’est bon à rien ; & quoiqu’il raisonne sur tous les devoirs de la Vie civile aussi bien ou mieux qu’un autre, on seroit malheureux [55] d’être sa Femme, son Fils, ou son Ami. » ◀Dialog Accoutumé, par de longues réfléxions, à mépriser tout ce qui est faux, cette rude Invective ne me causa pas le moindre chagrin ; mais elle me plongea dans une profonde méditation sur la Renommée en général ; & je ne pus qu’avoir pitié de ceux qui sont assez foibles pour avoir égard à ce que les Gens du commun disent, par une certaine humeur causeuse qui les dévore, à l’avantage ou au préjudice de ceux dont ils patient, sans que la bienveillance ou la malignité les y anime. Je ne finirois pas si je voulois m’étendre sur l’opinion que les Hommes entretiennent de la Renommée, & sur le plaisir inexprimable qu’on goûte à donner son aprobation aux Gens de mérite, lorsqu’on est soi-même en état de se bien aquiter de son devoir ; mais il me semble qu’on peut distinguer la Renommée en trois différentes especes, sélon qu’elle regarde trois sortes d’Hommes qui ont quelque droit d’y prétendre. L’une se borne à la Gloire, que le Héros a toujours en vue ; l’autre est la Réputation, que tout honnête Homme doit conserver ; & la troisiéme est le Crédit, que tous ceux qui se mêlent de quelque Négoce doivent maintenir. C’est un Bien plus cher que la Vie aux Hommes de ces caracteres, ou plutôt c’est la Vie même de ces Caracteres-là. On ne peut ravir la gloire d’un Héros, qui poursuit de grands & de nobles desseins, & tous ceux qui l’attaquent font paroître le chagrin [56] qu’ils ont de son éclat, sans pouvoir jamais le ternir. Si une haute Réputation est fondée sur la Vertu & des services signalez, tout ce qu’on y opose n’est qu’une Rumeur, qui est de trop courte durée pour entrer en concurrence avec la Gloire, qui ne périt jamais.

La Réputation, qui fait le partage des honnêtes Gens & du monde poli, est aussi stable que la Gloire, pourvu qu’elle soit aussi bien fondée ; & il y va de l’intérêt de la Société civile lorsqu’un honnête Homme est calomnié. D’ailleurs, suivant la coutume établie parmi nous, tout Homme, qu’on attaque, est en droit de se défendre, & l’Injure est bientôt repoussée.

Le Marchand est le plus malheureux de tous les Hommes, & le plus exposé à la malignité ou à la bizarrerie de la voix publique. Un murmure sourd, un mot dit à l’oreille lui fait perdre son crédit. Celui qui le blesse en cachette est plus cruel que le Coupejarret qui porte le poignard à la main. J’ai vu quelquefois donner atteinte au crédit d’un Homme par la seule manière, dont on prononce son nom. Oui dà, vous dira-t-on, vous avez prété de l’argent à Mr. Bankerot, voilà qui est bien. Quoi ! Connoissez-vous Mr. Marin ? C’est un véritable Négociant universel qui trafique en tout, & dans les quatre Parties du Monde. De sorte qu’un Eloge, accompagné d’un ton ironique, est capable de ruiner le crédit d’un Homme. J’en connois un moi-même, qui travailloit [57] tous les jours, au pié de la lettre, à augmenter les richesses de sa Patrie, & qui s’est vu détruit par un autre, qui en faisoit la honte & le scandale. Puis donc que tous ceux qui connoissent le monde voyent les suites pernicieuses d’un si grand mal, quelle retenue ne doit on pas avoir lorsqu’il s’agit de la réputation d’un Marchand ? Il peut être à la discrétion d’un Misérable, qui n’a pas le sou à perdre, de renverser la fortune du plus honnête & du plus riche Citoyen de la Ville, par cela même que celui-ci mérite le plus de sa Patrie, & qu’il envoye ses Manufactures dans les Climats les plus éloignez.

En pareil cas, un mot lâché mal à propos, un faux bruit, peut convertir l’abondance en disette, & réduite en peu de jours, une Famille opulente à la mendicité. Un Causeur indiscret pense-t-il bien qu’une insinuation maligne est aussi dangereuse pour un Marchand, qu’un Testament forgé le peut être à l’égard d’un Gentilhomme, qui risque de se voir privé par là d’un bel Héritage ? Le Domaine reste où il étoit avant qu’on eut produit ce faux Acte ; & le Mérite ne charge pas de nature, de quelque calomnie qu’on le noircisse, outre qu’en tems & lieu tout cela se dévelope ; mais le Négociant, qui n’est soutenu que par son crédit, ne sauroit jamais se garantir contre les Malins & les Envieux qui sement des raports à son préjudice. Le fer & le feu ne détruisent pas si vite, que la Langue d’un [58] Babillard qui attaque la réputation d’un Marchand.

Ebene 3► Allgemeine Erzählung► C’est pour cela même qu’on devroit imiter l’exemple d’un Gentilhomme de ma connoissance. Engagé dans quantité d’affaires, il parloit assez librement & avec chaleur contre des Gentilshommes, qu’il croyoit en avoir mal usé à son égard ; mais il ne vouloit pas souffrir qu’on dit rien contre un Marchand, avec qui il avoit quelque démêlé, à moins que ce ne fût dans une Cour de Justice. Parler mal d’un Marchand, ajoutoit-t-il, c’est lui faire son procès, ou plutôt le condamner, sans l’entendre. En un mot, on peut dire là-dessus que le mérite du Négociant surpasse celui de tous les autres Sujets, en ce que son Billet, pendant qu’il a du Crédit, est plus commode pour le service du Public que l’argent monnoyé, & que sa Parole vaut l’Or d’Ophir dans le Païs où il réside. ◀Allgemeine Erzählung ◀Ebene 3

T. ◀Ebene 2 ◀Ebene 1

1C’est une des Portes de la Ville de Londres.