Zitiervorschlag: Anonym (Hrsg.): "LXV. Discours", in: Le Spectateur ou le Socrate moderne, Vol.1\065 (1716), S. 420-426, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.1144 [aufgerufen am: ].


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LXV. Discours

Zitat/Motto► Caput dominâ venale su hastâ.

Juv. III. 33

C’est-à-dire, C’est un Esclave que l’on expose en vente. ◀Zitat/Motto

Ebene 2► Ebene 3► Allgemeine Erzählung► L’autre jour, en passant sous une des Portes de Londres, qu’on apelle 1 Ludgate, j’entendis un Homme qui demandoit l’aumône à gorge déploiée, & dont il me sembla que la voix ne m’étoit pas inconnue. Lorsque je fus près de la grille, il m’apella par mon Nom, & me suplia de vouloir donner quelque chose aux pauvres Prisonniers. Je lui accordai la demande, & plein de honte pour lui, je mis un demi-Ecu dans le Tronc. Metatextualität► Je ne pus m’empêcher de reflechir d’abord sur l’étrange disposition de quelques Hommes, & la bassesse qu’ils témoignent dans toute sorte d’états. Celui qui me demandoit l’aumône peut avoir cinquante ans, si je ne me trompe ; ◀Metatextualität nous nous étions fort connus jusques à l’âge de vingt-cinq ans, ou environ ; & alors il lui échut un Bien considerable, par la mort d’un de ses Proches. Il [421] n’eut pas plutôt cette bonne fortune, qu’il se plongea dans toute sorte d’excès ; Incivil envers ses Superieurs, & insolent avec ceux qui étoient au-dessous de lui, il se quérelloit souvent avec des Yvrognes, il cassoit la tête des Garçons qui tirent le vin dans les Cabarets, il faisoit le Rodomont, & juroit comme un Chartier. La même bassesse d’esprit, qui l’avoit rendu fier & hautain au milieu de l’abondance, le rendit lâche, aussi bien qu’effronté, dans la misere. Quoi qu’il en soit, ceci m’obligea d’examiner en genéral la situation où se doivent trouver ceux qui sont endettez, quels temperamens sont le plus sujets à tomber dans ce desordre, & le malheur qu’il y a de languir sous le poids d’un tel fardeau. Selbstportrait► Pour moi, qu’une aversion naturelle éloigne de tout commerce de la vie, qui fait du bruit, & que la plupart des Hommes recherchent, je ne suis point exposé à de grosses dépenses ; toutes mes affaire se bornent dans un petit cercle ; j’ai un honête-Homme à la Campagne qui a soin de recevoir mes revenus ; je lui donne de bons Garans afin qu’il me les païe tous les Quartiers, & lorsqu’il m’apporte une Quitance toute dressée, je la signe. D’ailleurs, j’ai an joli assortissement de Chemises, de Cravates, de Mouchoirs & de Bas, tout cela bien numéroté, & je tiens un compte exacte du Linge que je donne une fois la semaine à ma Blanchisseuse, ou que j’en reçois. De sorte que mes affaires, qui [422] ne me causent presque aucune distraction, me laissent tout le loisir qu’il faut pour observer la conduite des autres à l’égard de leurs Equipages & de leur Dépense. ◀Selbstportrait

Lorsque je me proméne, & que je vois la fatigue de ceux qui m’environnent dans les rues de cette grande Ville,

Zitat/Motto► « Où chacun court, avec la même ardeur,

Apres la Bien, l’Eclat & la grandeur ;

Mais où suivant une route diverse,

L’un y parvient, & l’autre s’y renverse : » ◀Zitat/Motto

Lors, dis-je, que je considere ce nombre infini de Personnes & d’inclinations, avec les peines que les uns & les autres le donnent pour arriver à tous ces buts, marquez dans les Vers du Poëte Denham, que je viens de citer, je ne m’étonne pas beaucoup des efforts qu’ils emploient pour s’enrichir ; mais ma surprise est extrême de voir des Hommes qui ne craignent pas de s’endetter. On jugeroit là dessus que celui qui emprunte ignore que, dès le moment qu’il ne païe pas au terme précis, son Créancier a droit, sur son honneur, sa liberté & son Bien, à proportion de la Somme dûë. On croiroit qu’il ne sait pas, que son Créancier peut dire de lui, sans calomnie, qu’il est injuste ; & le faire arrêter, sans être coupable d’une insulte. Malgré tout cela, on voit des Hommes assez ennemis d’eux-mêmes, pour vivre dans ces craintes continuelles, & en augmenter tous les jours [423] la cause. Peut-il y avoir un état plus bas & plus servile, que celui de n’oser envisager un autre Homme ? C’est pourtant la malheureuse situation où se trouve quelquefois un Debiteur à l’égard de plus de vingt Personnes. D’ailleurs, il peut arriver que des Hommes d’un très-bon naturel s’endettent, par une démarche imprudente dans quelque affaire capitale de la vie, soit qu’ils aient cautionné pour un autre, ou fait quelque chose de cette nature ; mais ces Exemples sont si particuliers, qu’ils ne tombent pas sous des reflexions genérales : Pour un seul de ces Cas, il y en a dix, où un Homme, pour soutenir la pompe comique de son train & de sa grandeur, séche & pâlit dans la crainte que ses Créanciers importuns ne viennent fraper à la Porte. Le Debiteur est le Criminel du Creancier, & tous les Juges n’ont de l’autorité que pour prononcer la condamnation. L’intérêt même de la Société le demande, & s’il jouït de sa liberté, il n’en est pas moins redevable à son Creancier, qu’un assassin doit la vie à son Prince qui lui fait grace.

Nos Gentilshommes sont presque tous endettez & il y a plusieurs Familles, où cet Engagement est devenu comme heréditaire, & se perpétue d’une Génération à l’autre. Le Pere hypotheque ses Fonds dès la plus tendre jeunesse de son Fils aîné ; & celui ci se marie d’abord qu’il est Majeur, pour dégager ses terres, & trouver [424] les moïens de païer les Dots de ses Sœurs. Cela n’empêche pas, s’il vous plaît, qu’il ne puisse donner dans la débauche des Femmes, tenir table ouverte, & nourrir une meute de Chiens, en véritable Gentilhomme Anglois, jusqu’à ce qu’il ait engagé la moitié de son Domaine. Il ne laisse au bout du compte à son Heritier que la même Dette, que son Pere avoit déja contractée, & qui passe de l’un à l’autre, jusqu’à ce qu’il s’éleve dans la Famille un Homme plus débordé qu’aucun de ses Prédecesseurs qui abîme tout l’Heritage, ou quelque Homme de bon sens, qui, honteux de le posseder en societé avec des Créanciers, le délivre de leurs mains, par une bonne économie. Fremdportrait► Voilà mon Ami le Chevalier Freeport, qui, depuis bien des années, fait un Commerce d’une vaste étenduë, & qui, malgré tous les embarras qu’on y trouve, & la mauvaise foi qui regne aujourd’hui dans le Monde, n’a jamais été Défendeur dans aucun Procès : Il n’y a pas une seule Peronne qui ait eu le moindre sujet de se plaindre de sa conduite. C’est un Exemple aussi rare, & aussi louable à proportion dans un Citoïen, qu’il le seroit pour un Genéral d’Armée de n’avoir jamais eu le dessous dans aucune Bataille. ◀Fremdportrait

Quelle différence n’y a-t-il pas entre cet honête Chevalier & Janet 2 Truepeny, qui a été son Ami & le mien depuis notre en-[425]fance, mais qui n’a jamais sû profiter de nos bonnes leçons ? Fremdportrait► Janot est d’un naturel si doux, si facile & si adonné aux Femmes, qu’il n’a rien à lui. Son tems, son bien, sa réputation & ses talens sont toûjours au service du premier venu. Lors qu’il étoit à l’Ecole, il avoit le fouet deux ou trois fois la semaine, pour vouloir excuser les bévûës de ses Camarades ; depuis qu’il est entré dans les affaires du Monde, il a été deux ou trois fois dans une année, à la merci des Sergens, pour avoir servi de Caution à d’autres ; & je me souviens que, pour obliger un de ses Amis, attaqué d’un mal honteux, il lui aportoit lui-même tous les remédes, dont il avoit besoin, de chez l’Apoticaire, avec cette inscription, « Bolus ou Electuaire pour Mr. Truepeny. » Ce n’est pas tout, il avoit un Heritage assez considerable, qu’il reduisit à rien, parcequ’il croïoit bonnement tous ceux qui formoient des prétentions sur lui. Cette facilité crédule gâte tout le mérite qu’il a d’ailleurs ; toûjours la victime des autres, il n’a jamais rendu service qu’à des ingrats, sans avoir fait une bonne action.◀Fremdportrait ◀Allgemeine Erzählung ◀Ebene 3

Metatextualität► Je finirai ce Discours par un reproche assez vif, que je lui entendis faire à un de ses Créanciers, après avoir passé une nuit entre les mains des Sergent, qui l’avoient arrêté, à sa poursuite, quoi qu’il eût dû s’attendre à un procedé plus honête de sa part. ◀Metatextualität « Monsieur, lui dit-il, votre ingratitude pour tous les services que je vous [426] ai rendus, ne m’empêchera pas de vous remercier du bon office que vous venez de me rendre, en me convaincant qu’il va un tel Homme que vous au Monde. Je vous suis obligé de la défiance que j’aurai toute ma vie pour les autres, & de la resolution où je suis de ne m’endetter jamais avec qui que ce soit. »

R. ◀Ebene 2 ◀Ebene 1

1Il y a une Prison où l’on met les prisionniers pour Dettes, & ceux qui ne sont pas coupables de Crimes capitaux.

2Ce Nom semble désigner ici un Homme qui est franc comme l’or.