Zitiervorschlag: Anonym (Hrsg.): "LVI. Discours", in: Le Spectateur ou le Socrate moderne, Vol.1\056 (1716), S. 364-468, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.1137 [aufgerufen am: ].


Ebene 1►

LVI. Discours

Zitat/Motto► Hic segetes, illic veniunt feliciùs uvæ :
Arbores fœtus alibi ; absque injussa virescunt
Gramina, nonne vides, croceos ut Tmolus odores :
India mittit ebur, molles sua thura Sabæi :
At Chalybes nudi ferrum, virosáque Pontus
Castorea, Eliadum palmas Epirus equarum ?
Continuò has leges, æternáque fœdera certis
Imposuit Natura locis.

Virg. Georg. I. 54, - 61.

C’est-à-dire, Ne voiez-veut pas que le Blé croît mieux ici, & dans un autre endroit la Vigne ; que les Arbres Fruitiers, croissent mieux ailleurs ; que l’Herbe pousse d’elle-même dans les Prairies ; que le Mont Tmolus est couvert de Saffra ; que l’Yvoire nom est envoié des Indes, l’Encens du Païs des Sabéen, le Fer de celui des Chalybes, le Castor du Pont, & que les bonnes Jumens, qui servent à remporter le prix de la Course à Elide, nous viennent de l’Epire ? C’est la Nature qui a établi ces Loix éternelles dans les divers Païs du Monde. ◀Zitat/Motto

Ebene 2► Ebene 3► Allgemeine Erzählung► Fremdportrait► Il n’y a point de Lieu dans la Ville que je fréquente plus volontiers que le Change, ou la Bourse Roïale. Je trouve une satisfaction secrete, en qualité d’Anglois, & [365] ma Vanité se repaît, en quelque maniere, à voir une si nombreuse Assemblée de mes riches Compatriotes & d’Etrangers, qui consultent entre eux des affaires particulieres du Genre Humain, & qui font de cette Metropole une espece de Marché public pour toute la Terre habitable. J’avoue que la Bourse, dans son fort, me paroît être un grand Conseil, où toutes les Nations un peu distinguées ont leurs Représentans. Les Facteurs sont dans le Commerce la même chose que les Ambassadeurs à l’égard de la Politique ; ils négocient des affaires, concluent des Traitez, & maintiennent une bonne correspondance entre ces riches Societez d’Hommes, que les Mers separent les unes des autres, ou qui habitent aux quatre Coins opposez dû même Continent. J’ai pris souvent plaisir à voir terminer un démêlé entre un Habitant du Japon & un Echevin de Londres, ou former une Ligue entre un Sujet du Grand-Mogol & un autre du Czar de Moscovie. C’est une joie incroïable pour moi de me trouver avec tous ces Ministres du Commerce, aussi distinguez par leur Langage, que par les differens Quartiers où ils se placent : Tantôt on me pousse au milieu d’une troupe d’Arminiens : Tantôt je me perds dans une foule de Juifs ; & quelquefois je suis embarrassé dans un Gros de Hollandois. Je suis Danois, Suedois, ou Françoit tour à tour ; ou plutôt je m’imagine être de toutes les Nations, à l’exemple de [366] cet ancien Philosophe, qui, sur la demande qu’on lui fit de quel Païs il étoit, repliqua, Qu’il étoit Citoïen du Monde.

Quoique je visite souvent cette multitude d’Hommes occupez de leurs affaires, je n’y suis connu que de mon Ami le Chevalier Freeport, qui sourit quelquefois de me voir coudoïer dans la foule ; mais qui a la discretion de ne me dire mot. Il y a d’ailleurs un Marchand d’Egypte, qui ne me connoît que de vûë, pour m’avoir remis quelque argent au Grand Caire ; mais je ne suis point du tout versé dans le Coptique moderne ; ainsi nos entrevûës n’aboutissent qu’à nous saluer & à faire une grimace.

Une si vaste Scène d’action & de mouvement me fournit une grande varieté de pensées solides & agréables. Bon Ami de tout le Genre Humain, je me sens si pénetré, à la vûë d’un nombre considerable de Personnes heureuses & florissantes, que, dans plusieurs solemnitez publiques, je ne saurois m’empêcher de pleurer de joie. C’est pour cela que je goûte un plaisir merveilleux à voir cette foule de Négociant qui s’enrichissent eux-mêmes, & qui travaillent à grossir le Capital de la Nation ; ou pour me servir d’autres termes, qui font la fortune de leurs Familles, par l’entrée de tout ce qui nous manque, & la sortie de tout ce qui nous est inutile ou superflu.

Il semble que la Nature ait pris un soin tout particulier de répandre ses saveurs en [367] divers Endroits de ce Monde sublunaire, pur établir ce trafic & cette correspondance mutuelle entre les Hommes, afin qu’ils dépendissent, en quelque sorte, les uns des autres, & qu’ils fussent unis par leur intérêt commun. Il n’y a presque pas un seul Degré qui ne produise quelque chose, qu’on ne trouve pas ailleurs. Le mêts croît dans un païs & la sauce vient dans un autre. Les Fruits du Portugal sont corrigez par ce qu’on recueille aux Barbades : L’infusion d’une Plante de la Chine est adoucie avec la moëlle d’une Canne des Indes. Les Illes Philippines nous envoient de quoi relever le goût de nos Liqueurs en Europe. La seule parure d’une Dame de qualité est souvent le produit d’une centaine de Climats. Le Manchon, de l’Eventail viennent ensemble des differens bouts de la Terre. L’Echarpe est envoïée de la Zone torride, & la Palatine de celle qui est au dessous du Pole. La Jupe de Brocard sort des Mines du Perou, & le Collier de Perles des entrailles de l’Indonstan.

Si nous considerons notre Païs dans son état naturel, sans aucun des avantages du Commerce, quel miserable & sterile morceau de terre n’avons-nous pas eu pour notre Lot ? Les Naturalistes, qui en ont écrit l’histoire, nous disent qu’il n’y avoit d’abord que des baies d’Aubépine et des Gratecû, des Glans & des 1 Noisetttes de [468] Cochon, avec de tels autres Mots exquis : Que notre Climat ne peut produire de lui-même, sans aucun secours de l’Art, que des Prunelles & des Pommes sauvages : Que nos Melons, nos Pêches, nos Figues, nos Abricots, & nos Cerises, sont des Fruits étrangers, qu’on a transplantez, en differens Siecles, dans nos Jardins, & qui ne manqueroient pas de s abatardir si on négligeoit de les cultiver, & si on les abandonnoit à la merci de notre Soleil & de notre terroir. Le Trafic n’a pas plus enrichi la Pepiniere de nos Végétaux, qu’il a embelli toute la face de la Nature chez nous. Nos Vaisseaux reviennent chargez de la recolte de tous les Climats : Nos Tables ne manquent ni d’Epices, ni d’Huiles, ni de Vins : Nos Chambres sont garnies de Pyramides de Porcelaine de la Chine, & ornées de plusieurs Ouvrages du Japon : la Boisson que nous prenons le matin à dejeuner, vient des extrémitez les plus éloignées de la Terre : Nous reparons nos corps avec les drogues de l’Amérique, & nous goutons la douceur du repos sous des Pavillons qui nous viennent des Indes. Mon Ami, le Chevalier Freeport, dit que les Vignes de France sont nos Jardins ; les Isles des Epices nos Couches ; les Persans nos Ouvriers en soie, & les Chinois nos Potiers. Il est vrai que la Nature nous fournit les nécessitez de la vie ; mais le Trafic nous donne un nombre infini de choses utiles, & nous procure d’ailleurs tout ce qui est [369] commode, ou qui sert à l’ornement. Ce n’est pas non plus une des moindres parties de notre Bonheur, de jouïr de tous les Fruits du Septentrion & du Midi, sans être exposez à la violence du froid ou du chaud qui les produisent ; & de pouvoir nous recréer les yeux de la verdure de nos Campagnes, pendant que nos bouches se regalent des Fruits qui croisent entre les deux Tropiques.

C’est pour toutes ces raisons qu’il n’y a pas de Membres plus utiles dans la Societé que les Marchands. Ils unissent les Hommes par un trafic mutuel de bons offices, ils distribuent les Dons de la Nature, ils occupent les Pauvres, augmentent les Biens des Riches, & supléent à la magnificence des Grands. Un Anglois qui négocie convertir l’Etain de son Païs en Or, & change sa Laine pour des Rubis. Les Mahometans s’habillent de nos Draps, & ceux qui demeurent dans la Zone glacée se couvrent de la toison de nos Brebis.

Lorsque j’ai été à la Bourse, je me suis figuré souvent un de nos anciens Rois, placé dans la même Niche, où est aujourd’hui sa Statue, & occupé à regarder cette affluence de riches Citoïens qui s’y rendent tous les jours. Quelle ne seroit pas sa surprise d’entendre parler toutes les Langues de l’Europe dans ce petit Quarté de son ancien Domaine, & de voir un si grand nombre de Particuliers, qui de son tems auroient été les Vassaux de quelque puissant [370] Baron, negocier, pour des Sommes plus considerables qu’il n’y en avoit autrefois dans le Thrésor Roïal ! Le Commerce, sans étendre les bornes de la Grande Bretagne, nous a donné une espèce de nouvel Empire ; Il a multiplié le nombre des Riches, fait hausser de beaucoup le prix de nos terres, & joint à celles-ci d’autres Fonds qui les valent bien. ◀Fremdportrait ◀Allgemeine Erzählung ◀Ebene 3

C. ◀Ebene 2 ◀Ebene 1

1En Anglois, Pig-Nutts, qui sont les Noïaux de forme triangulaire que le Hêtre produit, & dont les Cochons se nourissent.