Hor. A. P. v. 361
C’est-à-dire, La Poësie & la Peinture ont beaucoup de rapport.
Comme le principal & l’unique but que je me propose est de bannir le Vice & l’Ignorance de tout le territoire de la Grande Bretagne, je ne plaindrai pas mes efforts pour y établir le bon goût & la politesse dans les Ouvrages d’esprit. C’est dans cette vûë que j’ai relevé déja plusieurs défauts à l’égard de l’Opera & de la Tragedie ; & que je publierai à l’avenir mes idées sur la Comédie, & les moïens qu’il y aurait de la perfectionner. Je vois même, par ce que mon Libraire m’a dit de ces Discours de Critique, Voïez Discours XXVII. P. 170 . &c. & de celui que j’ai donné sur la vivacité d’Esprit & l’Enjouement, qu’ils ont eu plus de succès que je n’en pouvois attendre de sujets de cette nat-
Dans ce Discours & les deux suivans, je parcourrai l’histoire de l’Esprit de mauvais aloi, & j’en marquerai les différentes especes à mesure qu’elles ont prévalu dans le Monde. Ceci me paroît d’autant plus nècessaire, qu’on fit, l’hiver dernier, des tentatives pour rappeller quelques-unes de ces antiques sortes d’Esprit qui ont été bannies depuis long tems de la République des Lettres. On fit courir plusieurs Satires & Panegyriques en Vers acrostiches ; ce qui donna l’occasion à quelques-uns de nos plus miserables Genies d’entretenir des pensées ambitieuses, & de s’ériger en Auteurs polis. Ainsi je décrirai un peu au long tous ces artifices de l’Esprit de mauvais aloi qui font plutôt paroître l’application d’un Ecrivain que la beauté de son genie.
La première espece que je trouve de cet Esprit est fort venérable par son antiquité, puisqu’elle a produit divers Ouvrages qui ont vêcu presque aussi long-tems que l’Iliade même : je veux dire ces Poëmes en mignature qu’on a imprimez avec les petits Poëtes Grecs, & qui ressemblent à un Oeuf, à une paire d’Aîles, à une Hache, à un Autel & au Chalumeau d’un Berger.
A l’égard du premier, c’est un petit Poëme ovale, qu’on pourroit appeller, avec quelque ration, l’Oeuf d’un jeune Ecolier. Anglois, si l’explication ne m’en paroissoit trop difficile, puisque l’Auteur paroît avoir été plus attentif à la figure de son Poëme, qu’à y mettre du sens.
La paire d’Ailes est formée de douze vers, ou plutôt de douze plumes, dont la longueur diminue peu à peu, suivant la place où chacun se trouve. Le sujet de ce Poëme, aussi bien que de tous les autres de cette espece, a quelque rapport éloigné avec sa Figure ; car il nous décrit un Cupidon, qu’on représente toujours ailé.
La Hache aurait pû servir, à ce que je croi, de bonne figure pour un Libelle, si les parties les plus satiriques de la Piece en avoient composé le tranchant ; mais telle qu’on la voit dans son origine, il semble que ce n’étoit autre chose que la Devise de la Hache consacrée à Minerve, & qu’on croïoit être la même que celle dont Epeus s’étoit servi à la structure du Cheval de Troïe. C’est un soupçon du moins qui m’est venu dans l’esprit, & que j’abandonne à l’examen des Critiques. Je m’imagine d’ailleurs que la Devise étoit autrefois gravée sur la Hache, comme celles que nos Ouvriers mettent aujourd’hui sur les Couteaux qu’ils font ; & qu’ainsi la Devise retient encore son ancienne figure, quoique la Hache soit perdue.
Troilus fils d’Hecube ; ce qui, pour le dire en passant, m’engage à soupçonner que ces prétendues Pieces d’Esprit sont plus anciennes que les Auteurs ausquels on les attribue d’ordinaire ; du moins je ne me persuaderai jamais, qu’un Ecrivain aussi délicat que Théocrite puisse avoir donné le jour à un Poëme si ridicule.
Il étoit presque impossible qu’un Homme réussît dans cette sorte d’Ouvrages, s’il ne savoit un peu peindre, ou du moins dessiner. Il faloit qu’il traçât d’abord le contour du sujet sur lequel il prétendoit écrire, & qu’il y ajustât ensuite sa Composition ; c’est-à-dire, qu’il devoit alonger ou acourcir ses Vers, les étendre ou les estropier, suivant la figure du Moule, où il les jettoit : à peu près comme le Tyran Procrustes en aggissoit avec ces Malheureux qu’il faisoit mettre dans son Lit de fer ; s’ils étoient trop longs, il leur coupoit les jambes ; & s’ils étoient trop courts, il les appliquoit à la torture, jusqu’à ce qu’ils fussent d’une longueur proportionnée à celle de son Lit.
Mr. Dryden fait allusion à cette sorte Dryden donne au Poëte Shadwel, contre lequel il a écrit cette Satire.Mac Fleckno ; mais un Anglois auroit de la peine à les entendre, s’il ne savoit qu’il y a de ces petits Poëmes,
Quelque paisible Coin du Domaine Acrostiche ;
C’est-là que tu pourrois, malgré tous les Mortels,
Voler à tire d’Aile, ou dresser des Autels,
Et mettre un pauvre Mot cent sois à la torture,
En dépit du bon Sens, & contre la Nature. »
Herbert, & si je ne me trompe, dans la Traduction de Du Bartas. Je ne sâche point au reste qu’il y ait aucun Ouvrage entre les Modernes., qui ressemble mieux à ces Pieces d’esprit, que la fameuse Estampe du Roi Charles I, qui a tout le Pfeautier écrit dans les traits du Oxford, je lûs un des côtez de la Moustache, & j’avois entamé l’autre, lorsque l’impatience de quelques Amis, avec qui je voïageois, & qui s’empressoient tous de voir cette Curiosité, m’empêcha de passer outre. J’ai ouï dire depuis que nous avons un célèbre Ecrivain en Ville, qui a rangé tout le Vieux Testament sous la forme d’une Perruque longue ; & qui promet d’y joindre tous les Apocryphes, par l’addition de deux ou trois nouvelles tresses, en cas que les grosses Perruques, qui étoient en vogue il y a peu d’années, reviennent à la mode. Il avoit destiné, celle-ci pour le Roi Guillaume, & dispose les deux Livres des Rois aux deux côtes du devant ; mais il ne l’avoit pas encore achevée lorique ce glorieux Prince mourut ; il y reste ainsi le vuide qu’il saut pour placer le visage de toute Personne qui voudra en païer la façon.
Mais pour revenir à nos anciens Poëmes en mignature, j’aurois quelque envie de proposer à nos petits Versificateurs modernes, qu’ils voulussent imiter les Anciens, leurs Confreres, dans ces Inventions ingenieuses. J’ai communiqué cette pensée à un jeune Amoureux de ma connoissance, qui se mêle de versifier, & qui a resolu de présenter à sa Maîtresse un Poëme sous la figure d’un Eventail, dont il a déjà fini les trois premiers bâtons, à ce qu’il dit. Il a même dessein d’avoir la mesure Anglois qui se disent les Imitateurs de Pindare, c’est qu’ils devroient s’attacher incessamment à publier de ces Pieces galantes & spirituelles, puisqu’ils sont mieux pourvûs qu’aucun des autres Poëtes, de Vers de toutes les tailles & de tous les ordres.
C.