Hor. A. P. v. 153.
C’est-à-dire, Poëtes, qui écrivez des Piéces de Théâtre, voic ce que le Peuple & moi souhaiterions de vous.
Anglois que l’apparition d’un Esprit, sur-tout s’il est couvert d’une chemise ensanglantée. Un Spectre, qui n’a fait que traverser le Théâtre, ou sortir d’une fente, & s’évanouir tout d’un coup, sans dire un seul mot, a bien des fois sauvé l’honneur d’une Piece. Il peut y avoir de certaines occasions, où il est à propos d’exciter ces mouvemens ; & lorsqu’ils ne viennent que pour aider le Poëte, on ne doit pas seulement les excuser, mais y applaudir. C’est ainsi que le son d’une Cloche, dans la Piece qui a pour titre Shakespear.Venise sauvée, fait trembler le cœur de tous les assistans, & qu’il imprime plus de terreur à l’Esprit, que les paroles n’en sauroient causer. L’apparition d’un Fantôme dans la Tragedie intitulée OtwayHamlet, soutenu de toutes les circonstances qui peuvent exciter l’attention ou l’horreur, est un coup de Maître en son genre ! L’Esprit du Lecteur y est merveilleusement bien disposé à le recevoir par tous les discours Hamlet lui adresse en ces termes ?
Le principal ressort que nous mettons en usage, pour exciter la pitié, est un Mouchoir, & j’avoue de bonne foi que dans nos Tragedies communes, nous ne devinerions presque jamais qui sont les Personnes affligées, si de tems en tems elles ne tiroient le Mouchoir pour essuier leurs larmes. Je suis fort éloigné de vouloir bannir du Théâtre cette marque d’affliction ; la Tragedie ne sauroit s’en passer ; mais je souhaiterois qu’on n’en fist pas un mauvais usage, ou plutôt que la Langue de l’Acteur sympatisât avec ses yeux.
François, qui s’imaginent que ces Spectacles nous divertissent, en prennent occasion de nous dépeindre comme un Peuple sanguinaire. Il est à la verité fort étrange de voir le Théâtre Anglois jonché de Cadavres à la fin d’une Tragedie, & de trouver dans la Garderobe de nos Acteurs nombre de Dagues, de Poignards, de Roues, de Tasses pour administrer le Poison, avec quantité d’autres Instrumens de la Mort. Il n’en est pas de même dans les Tragedies Françoises, où les Executions & les Meurtres se font toujours derriere la Tapisserie ; ce qui, en général, s’accorde parfaitement bien avec les mœurs d’une Nation polie & civilisée : Mais comme les François n’admettent aucune exception à cette Régle, ils tombent par-là dans des absurditez presque aussi ridicules que celle qui fait ici le sujet de notre critique. Je me souviens de la fameuse Piece, que Corneille a écrite sur les Horaces & les Curiaces, où le jeune Heros, tout fier d’avoir vaincu les derniers, l’un après l’autre, poignarde sa Sœur, qui, au lieu de le feliciter de sa victoire, lui reprochoit d’avoir tué son
Sophocle a menagé une circonstance aussi délicate dans une de ses Tragedies. Oreste se voïoit réduit au même état que Hamlet, puisque sa Mere, après avoir fait assassiner son Epoux, s’étoit rendue maîtresse du Roïaume, de concert avec son Complice & son Favori. Le jeune Prince, résolu de vanger la mort du défunt sur ses meurtriers, se glisse, par un admirable stratagême, dans l’appartement de sa cruelle Mere, pour lui ôter la vie. Mais comme ce spectacle auroit trop choqué l’Assemblée, l’execution d’un si tragi-Oreste n’a pas plutôt frapé ce coup, qu’il revient & qu’il trouve l’Usurpateur à l’entrée de son Palais. C’est ici que, par une heureuse invention du Poëte, il ne veut pas le tuer devant l’Assemblée ; qu’il lui permet de vivre encore quelque tems, afin de l’exposer à tous les remors de son ame, & qu’il lui ordonne de se retirer au Quartier du Palais où il avoit tué son Pere, dont il vouloit vanger le meurtre dans le même endroit où il avoit été commis. De cette maniere le Poëte observe la bienséance, qui ne souffre pas qu’on commette des parricides, ni des meurtres inhumains devant les Spectateurs : & c’est cela même, dont Arte Poët. V. 185.-188.Horace fit ensuite une Régle, lorsqu’il dit : Médée, par exemple, ne doit pas égorger ses enfans aux yeux du peuple : ce seroit une chose horrible, qu’Atrée fît bouillir sur le Théâtre les entrailles de ses neveux : il seroit ridicule d’y voir Progné changée en hirondèle, & Cadmus en serpent. Dès que vous mettez tout cela devant les yeux, j’en ai horreur, je suis déterminé à ne le pas croire. »
François ont trop encheri sur la maxime d’Horace, qui ne prétendoit pas bannir du Théâtre, toute sorte de suplices ; mais ceux-là seuls qui paroissoient trop horribles, & qui executez derriere la Tapisserie, feroient plus d’impression sur les Auditeurs. Je souhaiterois donc que mes Compatriotes voulussent imiter les anciens Poëtes, qui étoient fort retenus â cet égard, & qui cachoient toûjours ces spectacles tragiques aux yeux de l’Assemblée, s’ils pouvoient en frapper ses oreilles avec le même effet. D’ailleurs quoiqu’on n’executât guéres en public les Personnes de la Tragedie qui étoient condamnées à mourir, ce qui enferme toûjours quelque chose de ridicule en soi, leurs Cadavres étoient souvent exposez à la vûë après leur mort, ce qui a toujours quelque chose de mélancholique & d’affreux ; de sorte que les Anciens paroissent avoir évité le premier, non seulement comme une indécence, mais aussi comme une action peu vrai-semblable.
J’ai parcouru les differentes Inventions Anglois.Bullock avec un Habit court, & Norris avec un long, ne manquent presque jamais de produire cet effet. Dans la plûpart de ces Piéces, un Chapeau à large bord & un qui l’a étroit sont des Caracteres distincts. Quelquefois tout 1’esprit d’une Scène est caché sous un Baudrier, ou dans une paire de Moustaches. Un Amoureux qui court sur le Théâtre, & qui paroît dans une Barrique, d’où il montre le nez, passoit, du tems de Charles II, pour une Plansanterie fort agréable, qu’on devoit à l’invention d’un des plus beaux Esprits de ce siecle-là. Mais parce que la Joie n’est pas si délicate que la Compassion, & que les Objets qui nous font rire sont en beaucoup plus grand nombre que ceux qui nous font pleurer, le champ est infiniment plus vaste pour les artifices comiques que pour les tragiques, & par consequent ils méritent plus d’indulgence.
C.