Suavior, ut Chio nota si commista Falerni est.
Hor. L. I. Sat. X. 23. 24.
C’est-à-dire, Mais un discours composé des deux Langues a plus de grace ; de même que le Vin de Chio est plus délicieux, quand il est mêlé avec celui de Falerne.
Anglois, que la Récitation Italienne la premiere fois qu’on l’admit sur le Théatre. Tout le monde fut d’une surprise extrême d’entendre des Genéraux commander en Musique, & des Dames donner des messages en chantant. On ne pouvoit s’empêcher de rire toutes les fois qu’on entendoit un Amant chanter un Billet doux d’un bout à l’autre, & fredonner même le dessus d’une Lettre. La fameuse bévûë d’une de nos anciennes Comédies, où l’on avertissoit les Lecteurs, qu’un Roi, accompagné de deux Violans, entroit seul, n’étoit plus une chose absurde ; puisqu’il étoit impossible de nos jours qu’un Heros dans un Désert, ou qu’une Princesse dans son Cabinet dissent le moindre mot sans qu’il fût soutenu d’instrumens de Musique.
Mais quelque étrange que parut d’abord cette maniere de réciter à l’Italienne, Purcell.
La seule faute que je trouve dans l’usage moderne, vient de ce que la Récitation Italienne est jointe avec des mots Anglois.
D’ailleurs, pour mieux approfondir cette matiere, je remarquerai que l’Accent de chaque Nation lui est si particulier, qu’il differe de celui de toutes les autres ; comme on peut le voir par les Gallois & les Ecossois, quoiqu’ils soient si près de nous. D’un autre coté, l’Accent dont il s’agit, n’est pas la prononciation de chaque mot à part, mais le son de tout le discours. De là vient qu’il est si ordinaire à un Anglois, qui entend jouer une Tragedie en François, de se plaindre que tous les Acteurs prononcent sur le même ton ; & c’est pour cela qu’il préfère sagement ses Compatriotes, sans penser qu’un François, où un Etranger se plaint aussi de la monotonie des Acteurs Anglois.
Cela posé, la Récitation musicale dans chaque Langue devroit être aussi differente que leur Accent naturel ; puisqu’à moins de cela, ce qui exprimeroit bien une Passion dans une Langue, la représenteroit fort mal dans une autre. Tous Italie savent très-bien, que la cadence que les Italiens observent dans le récit de leurs Pieces n’a qu’un rapport éloigné avec le ton de leur voix dans la Conversation ordinaire, ou pour s’énoncer plus juste, n’est que l’accent de leur Langue rendu plus musical & plus sonore.
C’est ainsi que les marques d’Interrogation, ou d’Admiration, dans la Musique Italienne, si l’on peut les nommer de même, qui ressemblent aux accens de leur discours en pareil cas, ont quelque rapport avec les tons naturels d’une voix Angloise quand nous sommes en colere ; jusques-là que j’ai vû souvent nos Auditeurs fort trompez à l’égard de ce qui se passoit sur le Théatre, & s’attendre à voir le Heros casser la tête à son Domestique, lorsqu’il lui faisoit une simple Question, ou s’imaginer qu’il se querelloit avec son Ami, lorsqu’il lui souhaitoit le bon jour.
C’est pour cela même que les Artistes Italiens ne sauroient jamais admirer avec nos Musiciens Anglois, les Compositions de Purcell, ni croire que ses Tons s’accordent admirablement bien avec ses paroles ; parce que les deux Nations n’expriment pas toujours les mêmes Passions par les mêmes tons de voix.
Il me semble donc, s’il m’est permis de le dire, qu’un Musicien Anglois qui compose ne doit pas suivre trop servilement la Récitation Italienne, mais qu’il doit s’en écarter peu chutes mouvantes, pour me servir de l’expression de Shakespear, sans oublier qu’il doit s’accommoder à un Auditoire Anglois, & s’il donne quelque licence au ton de sa voix dans la Conversation ordinaire, il doit avoir le même égard pour l’accent de sa Langue, que ceux qu’il imite ont pour la leur. On observe, que plusieurs de nos Oiseaux qui chantent apprennent à adoucir la rudesse naturelle de leur ramage, par la fréquentation de ceux qui viennent de Climats plus chauds que le nôtre. Je voudrois tout de même que l’Opera Italien prêtât à notre Musique Angloise de quoi l’enjoliver & l’adoucir ; mais je ne voudrois jamais qu’il l’engloutît entierement. Que l’infusion soit aussi forte qu’il vous plaira, mais que l’Angloise en soit toûjours la base & le capital.
Tout ce que je viens de dire à l’égard de nos Opera, se peut appliquer à toute nos Chansons & à tous nos airs en genéral.
Baptiste Lully se conduisit là-dessus en Homme de bon sens, il trouva la Musique Françoise très-défectueuse, & souvent même barbare : Avec tout cela, instruit de l’humeur de la Nation, du genie de leur Langue, & des mauvais tons ausquels leurs oreilles étoient accoutumées, il ne prétendit pas extirper la Musique Françoise & mettre l’Italienne à sa place ; mais il s’attacha uniquement à la cultiver, à la polir & à l’orner d’un nombre infini de graces & de modulations qu’il emprunta de la derniere. Françoise est devenue ainsi parfaite en son genre ; & lorsque vous dites qu’elle n’est pas si bonne que l’Italienne, cela ne signifie autre chose si ce n’est qu’elle ne vous plaît pas tant ; car à peine y a-t-il un seul François qui ne s’étonnât de vous entendre préferer celle-ci à l’autre. Il est certain que la Musique des François s’accorde fort juste avec leur prononciation & leur Accent. On peut dire même que leurs <sic> Opera favorise beaucoup l’humeur enjoüée & badine de cette Nation. Le Chœur, qui revient à diverses reprises sur la Scène, donne de fréquentes occasions au Parterre de joindre leurs voix avec celles du Théâtre. Cette envie de chanter de concert avec les Acteurs est si dominante en France, que dans une Chanson connue, j’ai vu quelquefois le Musicien de la Scène jouer à peu près le même personnage que le Chantre d’une de nos Patoisses, qui ne sert qu’à entonner le Pseau-Alphée, au lieu d’avoir la tête couverte de Joncs, conter fleurettes avec une belle Perruque blonde, & un Plumet sur l’oreille, mais chanter d’ailleurs d’une voix si tremblante, si pleine de fredons & de roulemens, que j’aurois mieux aimé entendre le murmure d’un petit Ruisseau.
Enlevement de Proferpine, où Pluton, pour se rendre plus agréable, s’équipe à la Françoise, & amene Ascalaphus avec lui, en qualité de son Valet de Chambre. C’est ce que nous appellerions une Folie & une Impertinence, & que le François regardent comme enjoué & polï.
Je n’ajoûterai pas autre chose à ce que je viens de dire, si ce n’est que la Musique, l’Architecture & la Peinture, de même que la Poesie & l’Eloquence, doivent tirer leurs Loix du sens commun & du Goût général, & non pas des Principes mêmes de ces Arts ; ou pour me servir d’autres termes, le Goût ne doit pas se
C.