Gaston Paris an Hugo Schuchardt (11-08565)

von Gaston Paris

an Hugo Schuchardt

Paris

24. 05. 1873

language Französisch

Schlagwörter: Revue critique d'histoire et de littérature La Patrie Romania (Zeitschrift) Poquelin, Jean-Baptiste (Molière) Lindau, Paul Soulié, Eudore Fournier, Édouard Jacob, Zacharie Bähler, Ursula (2004) Paris, Gaston (1863–1864) Schuchardt, Hugo (1873) Laun, Adolf (1873) Soulié, Eudore (1863) Fournier, Édouard (1863) Fournier, Édouard (1863) Bourqui, Claude/Forestier, Georges (2013) Schuchardt, Hugo (1866) Versammlung Deutscher Philologen und Schulmänner, (1873) Schuchardt, Hugo (1874)

Zitiervorschlag: Gaston Paris an Hugo Schuchardt (11-08565). Paris, 24. 05. 1873. Hrsg. von Ursula Bähler, Bernhard Hurch und Nicolas Morel (2023). In: Bernhard Hurch (Hrsg.): Hugo Schuchardt Archiv. Online unter https://gams.uni-graz.at/o:hsa.letter.9566, abgerufen am 15. 09. 2024. Handle: hdl.handle.net/11471/518.10.1.9566.


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Paris, ce mardi 24 mai

Mon cher ami,

Je suis bien coupable envers vous, et ce qu’il y a de plus triste, c’est que cette lettre que je vous écris, au lieu de me justifier, ne fera qu’aggraver mes fautes. En effet j’ai perdu la lettre que vous m’avez écrite il y a une quinzaine1, et où vous m’adressiez diverses questions que j’ai à peu près toutes oubliées. J’ai fait jadis en effet trois articles sur Molière2, dont le second est assez intéressant, parce que j’y ai réfuté l’hypothèse que Lindau a reprise et que vous avez parfaitement détruite, dans l’excellent article que vous m’avez envoyé3. Je ne comprends pas du tout comment Lindau a fait avec le livre de Soulié; il le cite, et il ne paraît pas l’avoir compris4. Il maintient le roman de Fournier , qui est tellement absurde que |2|Fournier lui-même, après la publication de Soulié, l’a abandonné (dans un article de la Patrie) et en a bâti un autre, aussi extravagant d’ailleurs. 5 Tout cela sans aucune espèce de raison, uniquement pour arriver à dire que Molière avait fait dans son contrat de mariage un faux en écriture publique: car notez que c’est là qu’on en n'est. Je vais plus loin, et je dis que si Molière a altéré l’état civil de sa femme d’une manière aussi grave (criminelle d’après les lois de tous les pays), il y a grande apparence que Montfleury avait raison dans ses accusations6. Vous avez jugé tout cela avec le coup d’œil critique que vous avez montré ailleurs. Je suis heureux de vous voir vous occuper de littérature, et notamment de Molière. Le livre de Lindau est agréable, mais sans profondeur ; vous y relevez très-justement cette manie d’allusion enragée qui a passé de nos critiques français à l’écrivain allemand7. Rien n’est plus lourd que de vouloir ainsi présenter |3| des nuances qui ont pu exister à l’état flottant, qu’on peut indiquer dans la caractéristique générale du poète et de son œuvre, mais qui auraient détruit, si elles avaient pris la proportion qu’on leur prête, toute valeur artistique et toute liberté de composition chez Molière. – Mes articles sont je ne sais où, je n’en possède pas d’exemplaires moi-même.

Je crois me rappeler que vous me demandiez un avis pour la traduction du Vocalisme. Je ne puis vous répondre qu’une chose: faites absolument comme vous voudrez, tout sera bien8.

Vous m’aviez demandé d’autres choses que je m’excuse profondément d’avoir oubliées. Si vous me les rappelez, je vous récrirai immédiatement.

Que devient votre article pour la Romania9? J’espère que vous ne nous oubliez pas.

Bien à vous
G. Paris


1 Nous n'avons pas retrouvé cette lettre.

2 Molière est, avec Rabelais, Régnier et Musset, l’un des auteurs préférés du jeune G. Paris (Bähler 2004a, 82). Ce dernier a publié, tout au long de sa carrière, une dizaine d’articles et comptes rendus d’ouvrages (principalement dans la Revue critique) consacrés au dramaturge classique. Ceux auxquels il fait référence ici sont sans doute les deux (et non trois) articles intitulés «Les derniers travaux sur Molière», publiés dans la Revue de l’instruction publique, en 1863 et 1864 (G. Paris 1863-1864).

3 Tout comme G. Paris (1863-1864.- 764), Schuchardt (1873d) réfute la thèse, soutenue par Laun (1873), selon laquelle Armande Béjart aurait été la fille et non la sœur de Madeleine Béjart.

4 Eudore Soulié (1817-1876) avait en effet affirmé en 1863, dans son ouvrage biographique sur Molière – ouvrage couvert d’éloges par G. Paris (1863-1864) –, fondé sur des archives notariales inédites, qu’«Armande Béjart est […] née au commencement de 1643 ou à la fin de l’année 1642, et elle était bien sœur et non fille de Madeleine Béjart» (Soulié 1863, 34).

5 Édouard Fournier (1818-1880), auteur, en 1863 également, d’un ouvrage intitulé Le Roman de Molière, suivi de Fragments sur sa vie privée d’après des documents nouveaux, dans lequel il affirme qu’Armande avait été la seconde fille de Madeleine Béjart, et dont celle-ci aurait tenté de cacher la naissance en la présentant comme sa sœur (Fournier 1863a). Dans le feuilleton de La Patrie du 13 juillet 1863, il donne un compte rendu détaillé de Soulié dans lequel il convient que «tous les livres sur Molière vont en être bouleversés» y compris le sien (Fournier 1863b, 1).

6 Zacharie Jacob, dit Montfleury (1608-1667), aurait adressé à Louis XIV, en novembre 1663, «une requête dans laquelle il accus[a] Molière d’avoir épousé sa propre fille» (G. Paris 1863-1864, 762). En réalité, comme le précise Forestier (Forestier & Bourqui 2013, 1), Monfleury accusa Molière d’avoir épousé la fille de Madeleine Béjart, et d’avoir «‘autrefois couché avec la mère’». L’accusation ne portait donc pas sur un prétendu inceste, comme le croit G. Paris, ce qui aurait constitué un délit grave, mais sur le fait «d’avoir contrevenu à une disposition du droit ecclésiastique qui interdit d’épouser un conjoint avec le parent duquel on a entretenu une relation de fiançailles, de mariage ou des rapports sexuels consommés» (Forestier & Bourqui 2013, 25, n. 27).

7 Schuchard (1873d, 2284) conclut son article par une mise en garde contre les excès de toute lecture autobiographique des œuvres de Molière, en citant Louis Moland (1824-1899): «Die beste Kritik von Lindau’s Molière hat Moland im Jahre 1863 […] gegeben (Œuvres complètes de Molière 1, p. CXL. sq): ‘Il ne faudrait pas chercher des applications trop précises. Les écrivains qui entreprennent de distinguer et de démêler ce que Molière a mis dans ses ouvrages, de sa vie et de son cœur, font merveille, pourvu qu’ils n’abusent pas de ce point de vue et des effets romanesques qu’il est facile d’y trouver. Les esprits à la suite, ces grands corrupteurs de meilleures idées, sont sujets à tomber dans ce dernier travers s’ils veulent à tout prix identifier Molière avec quelques-uns des personnages qu’il a créés.’»

8 Voir l. du 17 février 1873 (GP 08-08564) et l. du 18 mars 1873 (HS 10-24456).

9 «Phonétique comparée», article tiré de la conférence donnée en 1872 à Leipzig (Versammlung Deutscher Philologen und Schulmänner 1872 1873), traduit par G. Paris et publié en tête du numéro 9 de la Romania (Schuchardt 1874b).

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