Alphonse Bos an Hugo Schuchardt (04-01233)

von Alphonse Bos

an Hugo Schuchardt

Neapel

06. 02. 1883

language Französisch

Schlagwörter: Kreolsprachenlanguage Französisch Indien China Réunion Aden Mauritius Mosambik Madagaskar

Zitiervorschlag: Alphonse Bos an Hugo Schuchardt (04-01233). Neapel, 06. 02. 1883. Hrsg. von Frank-Rutger Hausmann (2021). In: Bernhard Hurch (Hrsg.): Hugo Schuchardt Archiv. Online unter https://gams.uni-graz.at/o:hsa.letter.8377, abgerufen am 18. 04. 2024. Handle: hdl.handle.net/11471/518.10.1.8377.


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Naples, 6 Février 1883

Mon cher Monsieur,

Me voilà déjà en train de recommencer ce long et interminable voyage de 3 mois et demi dans l’ Inde et la Chine. Je vous remercie bien de votre bonne lettre et de l’Art. sur le Créole de la Réunion que j’ai lu avec le plus grand plaisir.1 Il m’a d’autant plus intéressé que je ne connais pas le créole de la Réunion, |2| quoique je sois resté bien long temps sur la ligne d’Aden à la Réunion et à Maurice. Mais nous ne restion de 20 à 25 jours à Maurice, et nous ne restions que quelques heures à La Réunion. Par le petit spécimen que vous donnez de ce créole, il me paraît beaucoup plus avancé que le créole de Maurice. Il connaît le parfait d’avoir: l’a mangé l’a arrivé, l’a sourti, l’a timbé, l’a dit, etc à moins que a ne fasse ici la fonction de l’auxiliaire |3| du passé comme (été) et fine à Maurice.créole de Maurice étant postérieur à celui de la Réunion, aurait-il paru à La Réunion après 1715, époque de la Colonisation de Maurice par La Réunion? Je trouve aussi: „moi l’était pour faire brouille“ à Maurice ce serait: „mo te‘ pour“ il faudroit prier M. Bain ce de traduire cette courte anecdote en Mauricien pour bien voir les différences.

Quant à l’intercolation d’une voyelle entre deux consonnes: couloir (cloir) |4| carabe (crabe), vous avez bien raison de dire qu’elle n’est pas due seulement à l’influence des noirs de Mozambique. La plus grande partie de la population nègre de la Réunion et de Maurice a été fournie dans le temps par Madagascar, et c’est surtout dans le Malgache qu’il faut chercher l’influence sur les modifications s du français devenu créole. Voici ce que je trouve dans une grammaire Malgache par Marrie-de Marin, Paris 18762 p. 9 et suiv.

„Le malgache n’admet pas le redoublement d’une consonne |5| (2) „dépourvue de voyelle, il n’admet pas non plus deux consonnes différentes se suivant sans voyelle interposée, à moins qu’elle ne soient précédées d’une nasale.

„Il y a des exigences euphoniques telles que, non seulement il interdit le redoublement de toute consonne, mais encore rejette la combinaison des liquides l et r avec une autre consonne, combinaison fréquemment admise dans le malay et dans le javanais. C’est pourquoi les mots d’origine française qui ont cours dans le malgache sont |6| adoucis par l’intercalation de voyelles, toutes les fois que deux consonnes se suivent immédiatement.

„Exemples: Kilôsy (cloche), bôrôsy (brosse), birika (brique), mosara (mouchoir), kôrônôsy (corniche) etc.“ C’est là qu’il faut quercher la raison de ce fait, et non pas dans le Mozambique qui n’est qu’une exception fort rare dans le Créole. J’ai déjà dit dans le temps que la prononciation Mozambique n’était que de |7| l’Auvergnat Créole. Le citer, comme font les lettrés Créoles équivaut à donner une conversation en fouchtri, fouchtra comme du français. Ce dont on doit s’étonner, c’est que le phénomène de l’intercalation d’une voyelle, ne soit non plus fréquent, puisque les créateurs du Créole ne savaient pas prononcer autrement. Ils ont dû peu à peu habituer leurs organes à franchir la difficulté de deux consonnes prononcées en même temps. Ce qui m’étonne pourtant, c’est de trouver: „pét-être“, |8| „maître“,“cendre“, „ma rmite“. J’ai toujours entendu prononcer à Maurice „pétaté“. „mét‘“ „cend“ „mâmit‘“. Les nègres de la Réunion sont donc plus avancés dans la prononciation de l’r que ceux de Maurice, ou je crois plutôt que cette maudite orthographe française a influé sur ceux qui transcrivent du Créole. Vous savez que dans le temps j’ai proposé une orthographe phonétique, je n’y tiens nullement, et je suis prêt à |9| (3) accepter tout autre orthographe, pourvu qu’elle représente mieux que la mienne la prononciation du Créole; mais tant qu’on se servira de l’orthographe étymologique française, on ne pourra jamais s’entendre sur les sons tels qu’ils sont prononcés en Créole. Ainsi: „il y en a“ semble être à la Réunion, „ana“ et à Maurice „ena“, c’est presque toujours „ana“. Seulement les uns l’écrivent à la française „ena“, les autres comme il se prononce „ana“.

|10| Il faudrait prier les transcripteurs du Créole de laisser là le souvenir de l’orthographe française pour représenter les sons par une lettre toujours la même. Mais je reconnais que c’est bien difficile. Si cela aide le philologue, le lecteur ordinaire est dérouté.

Je vous demande pardon de vous entretenir de choses que vous savez beaucoup mieux que moi.

|11| Si je puis vous être utile dans mon voyage écrivez-moi à Marseille 79 Rue de Forbin; on me renverra la lettre où je me trouverai.

N’oubliez pas non plus de m’indiquer une grammaire Allemande imprimée en Français, exposant méthodiquement les règles de la langue, si toutefois il en existe une.

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Veuillez agréer, mon cher Monsieur, l’expression de ma vive sympathie et de mon dévouement

A. Bos.


1 Schuchardt, „Sur le créole de la Réunion“, Romania 11, 1882, 589-593.

2 Aristide Marre de Marin, Grammaire Malgache, fondée sur les principes de la grammaire Javanaise; suivie d’exercices et d’un recueil de cent et un proverbes, Paris: Maisonneuve, 1876.

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