Louis Couturat an Hugo Schuchardt (44-02002)
von Louis Couturat
an Hugo Schuchardt
09. 03. 1907
Französisch
Schlagwörter: Internationale Verständigungssprache Österreichische Akademie der Wissenschaften (Wien) Esperanto
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Tschechisch Pfaundler, Leopold von Couturat, Louis/Leau, Léopold (1903)
Zitiervorschlag: Louis Couturat an Hugo Schuchardt (44-02002). Bois-le-Roi, 09. 03. 1907. Hrsg. von Frank-Rutger Hausmann (2018). In: Bernhard Hurch (Hrsg.): Hugo Schuchardt Archiv. Online unter https://gams.uni-graz.at/o:hsa.letter.7042, abgerufen am 23. 09. 2023. Handle: hdl.handle.net/11471/518.10.1.7042.
DÉLÉGATION POUR L’ADOPTION D’UNE LANGUE AUXILIAIRE INTERNATIONALE
SECRÉTAIRE : M. L. LEAU TÉSORIER : M. L.COUTURAT
6, Rue Vavin 7, Rue Nicole
PARIS (6
e) PARIS (5e)
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Bois le Roi (Paris), le 9 mars 1907.
Monsieur et honoré Collègue,
Nous sommes heureux de recevoir de vos nouvelles, et de vous savoir disposé à étudier à fonds la question de la L. I. Nous avons reçu les nouvelles les plus détaillées de M Pfaundler,1 sur ce qui s’est passé à l’Académie de Vienne, et sur les dispositions de ses membres. Nous voyons que la décision prise n’est qu’un hommage platonique rendu à la grande idée (probablement par égard pour vous et ses autres champions); c’est déjà beaucoup qu’on ait eu la |2| „pudeur“ de ne pas éliminer simplement la question, et qu’on ait cru devoir la prendre en considération, ne fût-ce que par respect humain. – Nous nous préparons donc à agir indépendamment des Académiens, et à „élire notre Comité“, où nous espérons toujours vous voir figurer.2
D’autre part nous nous livrons à une étude approfondie de l’Esperanto, tant pour notre édification personnelle que pour être à même de renseigner les membres du Comité. D’ailleurs, il ne manquera pas d’Espérantistes compétents pour exposer et discuter devant lui les divers éléments de la langue. Je corresponds avec la plupart des chef-Espérantistes des divers pays, et connais leurs opinions et leurs dispositions.
Depuis que j’ai reçu votre lettre, j’ai cherché quel manuel d’Esp. je pourrais vous recommander. Parmi les manuels allemands, celui de Borel,3 le plus pratique, |3| est peu fait pour l’étude théorique; il existe une Vollständige methodische Grammatik de L E Meier (1e éd 1891, 2e éd 1903, München, Lindauer)4 dont le plan vous conviendrait bien; mais elle est pleine de fautes et d’erreurs au point de vue du purisme Espo, et je ne puis vous la recommander. Il vient de paraître un Methodischer Lehrbuch de J Schröder (Wien u. Leipzig, Hartleben)5 que je ne connais pas, mais que M Th Cart (très compétent) critique sur quelques points de détail.6 Je crois néanmoins que ce serait le meilleur des manuels allemands. Mais je vous engage beaucoup (que vous en consultiez ou non un autre) à étudier Grammaire et Exercices Esperanto de M. de Beaufront (chez Hachette et chez Möller et Borel, Prinzenstr. 95 Berlin S),7 car (outre que l’auteur est l’Espérantiste le plus compétent, le Vaugelas de l’Esperanto), ce manuel contient la Grammaire originale de Zamenhof et son Ekzercaro (avec quelques petites retouches), et par conséquent |4| fait connaître l’Esp.oauthentique et pur. Le manuel de Schröder contient un double lexique assez complet. Le manuel Beaufront contient le vocabulaire nécessaire à le Ekzercaro et des commentaires très précieux touchant la dérivation. – On vient de publier (Möller et Borel) deux dictionnaires Esp.-Deutsch et Deutsch-Esp. plus complets que tous les autres, et rédigés sous la direction et avec l’approbation de Zamenhof;8 je viens d’en faire une étude approfondie au point de vue des dérivations, et ma conclusion est que, loin de perfectionner sa langue, Zamenhof ne fait que la gâter à présent. Cette opinion est celle de plusieurs Espérantistes compétents, et de M de Beaufront lui-même, qui, après s’être efforcé de corriger les imperfections de l’Espo, voit tout son travail ruiné par Zamenhof, qui revient (sans mauvaise volonté) à ces anciens errements. Il a eu une idée de génie; mais il est incapable de la développer et de la mener à bonne fin. Les principes sont excellents; l’application qu’il en fait est souvent déplorable. Mon opinion |5| (partagée par certains Espérantistes) est qu’il faut corriger et perfectionner l’Esposans Zamenhof, et au besoin contre lui. Son Lingva Komitato, trop nombreux (95 membres) et dispersé, est incapable d’un travail suivi, et ne peut pas contrecarrer Zamenhof.9 Il ne peut d’ailleurs pas corriger la langue d’une façon régulière, car il est lié au Fundamento, proclamé intangible au Congrès de Boulogne (le Fundamento reproduit simplement le 1er manuel de l’Espo, avec les trop fameuses 16 règles, l’Ekzercaro, et l’Universala Vortaro, en 5 langues: fr. all. angl. polonais et russe, remarquez l’absence de l’italien et de l’espagnol). – Seule une autorité extérieure à l’Espo peut le délivrer de cette contrainte funeste (car certaines erreurs sont en germe dans l’Ekzercaro) et rectifier la langue d’une manière systématique. – Un fait qui vous éclairera sur l’esprit de Zamenhof, quand M de Beaufront entreprit son Commentaire sur la Grammaire|6|Esperanto, Zamenhof lui dit, pour tout encouragement: „Moins il y aura de règles, mieux cela vaudra“. C’est pourquoi les 16 règles sont absolument insuffisantes, et les auteurs des manuels sont obligés de composer la Grammaire que Z. n’a pas voulu, n’a pas pu rédiger; et cela, au risque d’y introduire des divergences et des idiotismes. – Outre le Commentaire de M. de Beaufront, il y a, comme manuels supérieurs, l’Esperanta Sintakso de P. Fruictier,10 en Espo, d’après l’usage des „meilleurs auteurs“, et le Grammar and Commentary du maj.-gen. Cox (en anglais);11 ce dernier ouvrage est trop long et trop diffus, il est une compilation des 2 précédents. – Il est amusant de voir faire des „grammaires d’usage“ pour une langue qui n’existe que depuis 20 ans. Mais cela vient justement de ce que Zamenhof s’en est rapporté à l’usage pour parachever sa langue. J’ajoute que, les premiers auteurs espérantistes étant des Russes et des Allemands, cet „usage“ est |7| imprégné d’idiotismes germaniques et slaves, comme celui que j’ai cité dans ma réponse à M Diels (construction de kies = dessen), et comme l’emploi de l’adverbe au lieu de l’adjectif (comme attribut d’une proposition). – Personne, ni Z. ni ses apôtres, n’a jamais formulé de règles de dérivation; il ne suffit pas de dire: o désigne le substantif, a l’adjectif etc.; il faut dire ce que signifieront ce substantif, cet adjectif etc. comme dérivés de telle ou telle racine. C’est sur ce point qu’ont surtout porté mes récentes études ( (1) Nous avons déjà traité cette question dans notre Critique de l’Esperanto [Histoire de la Langue Universelle]). Il se dégage de l’observation des dérivations actuelles (j’en ai dressé de longues listes) quelques principes généraux qui semblent excellents.12 Malheureusement, le Dr Zamenhof (avec son empirisme habituel) ne s’y est pas tenu (parce qu’il ne les a peu formulés et n’en a pas pris nettement conscience) et a formé une foule de dérivés contraires à ces principes; il y a ainsi des „antinomies“ de dérivations, des applications (inconscientes) de principes contraires. Mai je crois qu’on peut rectifier |8| cela en appliquant plus rigoureusement les bons principes latents.
Je prépare ce travail en vue de le soumettre au Comité futur;13 mais si vous le désirez, je pourrais vous le soumettre quand vous le voudrez. J’en ai communiqué des extraits à quelques Espérantistes experts, et ils ont déclaré que personne n’avait étudié l’Esperanto comme moi. Je ne dis pas cela pour me vanter, mais pour vous donner l’opinion de gens compétents en cette matière spéciale, de vous montrer que vous pouvez vous rapporter à moi en fait d’Esperanto. Je puis vous dire: Ceci est, ou ne l’est pas, du bon Esperanto (j’entends: de l’Esp.o classique et orthodoxe), comme un latiniste peut dire: Ceci est ou n’est pas du latin, alors même qu’il n’y a pas de règle de grammaire violée. – Bien entendu, le bon Espo ne me paraît pas toujours bon au point de vue logique.
Je suis toujours à votre disposition pour vous fournir les renseignements utiles; je serai bien aise de connaître (en toute confidence) vos opinions sur tels ou tels points, et vous prie d’agréer, Monsieur et honoré Collègue, mes compliments respectueux
Louis Couturat
2 Couturats Skepsis ist, wie die folgenden Briefe lehren, nur allzu begründet!
3 Jean Borel, Vollständiges Lehrbuch der Esperanto-Sprache. Mit Übungen, Syntax u. Proben aus Poesie u. Prosa, Berlin: Möller & Borel, 71907 (=Kolekto Esperanta).
4 Ludwig Emil Meier, La Lingvo Internacia Esperanto. Vollständige Methodische Grammatik Formenlehre und Syntax der Internationalen Sprache Esperanto. Mit Übungsaufgaben, 2 Wörterbüchern und einem Anhang: Gedichte, München: J. Lindauersche Buchhandlung (Schöpping), 1903.
5 Johann Schröder, Methodisches Lehrbuch der internationalen Hilfssprache Esperanto, Wien & Leipzig: A. Hartleben, [1906] (Die Kunst der Polyglottie; T. 88 ; [A. Hartlebens] Bibliothek der Sprachenkunde).
6 Théophile Cart (1855-1931), bedeutender franz. Esperantist.
7 Louis de Beaufront, Grammaire et exercices de la langue internationale Esperanto , Paris: Hachette, 1903 (5. éd. rev.; Kolekto Esperanta; 1).
8 Vermutlich ist gemeint L. L. Zamenhof (Hrsg.), Taschenwörterbuch Deutsch-Esperanto und Esperanto-Deutsch , Berlin: Möller & Borel, 1907.
9 Zu Einzelheiten vgl. Roberto Garvia, Esperanto and its rivals: the struggle for an international language, Philadelphia: Univ. of Pennsylvania Press, 2015.
10 Esperanta Sintakso; Laŭ verkoj de S-ro D-ro Zamenhof [u. a.] En Esperanto verkita de Paŭlo Fruictier. Kun prezenta letero de Th. Cart, Paris: Lingvo intemacia, 1903.
11 George Cox, A grammar and commentary on the international language Esperanto , London: British Esperanto Association, 1908; XIX, 359 p.
12 Couturat, Pour la langue internationale , Coulommiers: Paul Brodard, 1906 (auch dt., engl., tschechisch, ital. usw.).
13 Couturat, Les vrais principes de la langue auxiliaire: etude pratique dédiée à tous, mais surtout aux espérantistes , Paris: Chaix, 1908.