Louis Couturat an Hugo Schuchardt (39-01997)
von Louis Couturat
an Hugo Schuchardt
01. 12. 1906
Französisch
Schlagwörter: Österreichische Akademie der Wissenschaften (Wien) Internationale Verständigungssprache Esperanto
Panroman (Universal) Ostwald, Wilhelm Molenaar, Heinrich Paris München
Zitiervorschlag: Louis Couturat an Hugo Schuchardt (39-01997). Paris, 01. 12. 1906. Hrsg. von Frank-Rutger Hausmann (2018). In: Bernhard Hurch (Hrsg.): Hugo Schuchardt Archiv. Online unter https://gams.uni-graz.at/o:hsa.letter.7037, abgerufen am 02. 10. 2023. Handle: hdl.handle.net/11471/518.10.1.7037.
DÉLÉGATION POUR L’ADOPTION D’UNE LANGUE AUXILIAIRE INTERNATIONALE
SECRÉTAIRE : M. L. LEAU TÉSORIER : M. L.COUTURAT
6, Rue Vavin 7, Rue Nicole
PARIS (6
e) PARIS (5e)
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Paris, le 1. Décembre 1906.
Monsieur et honoré Collègue,
Je vous remercie sincèrement de votre réponse si loyale; et je tiens à y répondre tout de suite, avec la même franchise. Nous ne sommes pas Espérantistes, en ce sens que, s’il apparaissait demain une langue qui nous parût meilleure, nous nous rallierions immédiatement à celle-ci; et j’ajoute que beaucoup d’adeptes de l’Esperanto sont dans la même disposition d’esprit. Mais nous sommes bien obligés de tenir compte, dans notre œuvre pratique, de l’opinion et des vœux de la majorité de nos adhérants; or il est certain que la grande majorité est favorable à l’Esperanto, au moins en principe, c’est-à-dire sauf corrections. Pour nous, qui n’avons pas le génie (ou la témérité) nécessaire pour inventer une langue nouvelle, ou même pour imaginer une langue meilleure sur d’autres principes, nous nous rallerions à l’Esperanto corrigé et perfectionné dans la mesure que comportent ses principes. Et je dois vous dire, à titre d’information, qu’un certain nombre des principaux Espérantistes sont d’avis qu’une réforme plus ou moins étendue est nécessaire: non seulement de nombreux projets de réformes ont été élaborés à l’insu du public, mais le Dr Zamenhof lui-même, cédant aux instances des réformistes, vient de proposer au Lingva Komitato (comme qui dirait: l’Académie de l’Esperanto) quelques corrections sous le nom de néologismes. Ces faits prouvent, que ni les Espérantistes ni leur chef ne sont intransigeants, et qu’ils admettent qu’on perfectionne leur langue. Le Dr Zamenhof a toujours déclaré, et il déclare encore, que si une Académie ou quelque autre autorité interna- |2| tionale et compétente voulait réformer, même profondément, l’Esperanto, il accepterait cette réforme, comme condition d’une adoption officielle dans les principaux pays d’Europe. Si donc les Académies veulent, elles sont encore maîtresses de la situation; et le „moment psychologique“ est arrivé, que vous prévoyiez dans votre conclusion: mais il sera trop tard dans un an, à fortiori dans trois. Si l’Académie de Vienne prend en considération notre demande, et met la question à l’étude, non seulement la Délégation s’inclinera devant sa décision, mais je crois que tous les Espérantistes, bon gré mal gré, feront de même, dans l’intérêt de l’idée et de l’unité de la L. I. – Si au contraire les Académies se désintéressent de la question, il est à prévoir que le Comité de la Délégation adoptera l’Esperanto plus ou moins corrigé (dans ces questions d’ordre pratique; c’est l’opinion moyenne qui prévaut toujours, alors qu’elle ne serait pas la meilleure, dans l’intérêt de l’entente et de l’union) et la Délégation jointe aux Espérantistes donnera une nouvelle et décisive impulsion à la propagation de la langue en s’efforçant de lui gagner des sanctions officielles (déjà en fait des cours d’Esp. dans certaines écoles de Paris et de Londres). Or, comme vous l’avez prédit vous-même avec clairvoyance, elle finira par s’imposer ainsi aux relations scientifiques: à la suite du Congrès de Genève, tenu cette année,1 s’est fondé à Genève un Bureau international scientifique qui se propose de propager l’Esp. dans les milieux scientifiques, dans les revues, dans les Congrès, etc. et d’élaborer les vocabulaires techniques, dont plusieurs sont déjà préparés par des initiatives privées (vocabulaire anatomique, vocabulaire maritime, etc.). Il se peut donc que, dans quelques années, les Académies se trouvent en face du fait accompli, parce qu’elles auront laissé passer le moment favorable. Et elles n’auront pas le droit de se plaindre, si la L. I. ne répond pas à tous les desiderata scientifiques: elles n’avaient qu’à prendre à son élaboration et à son adoption la part que nous leur offrons de prendre |3| aujourd’hui, et très sincèrement: car il vaudrait évidemment beaucoup mieux que la L. I. s’imposât au monde par l’autorité des Académies que d’avoir à lutter des années encore contre l’inertie du public.
Telle est notre attitude d’esprit et notre tactique; nous sommes encore absolument neutres, mais une fois la L. I. adoptée et l’union faite, nous la défendrons envers et contre tous, quelle que soit notre opinion personnelle sur elle, lors même qu’on viendrait nous offrir une langue meilleure. L’essentiel n’est pas d’avoir une L. I. parfaite (si tant est que cela ne soit pas une chimère comme l’homme moyen de Quételet),2 mais d’en avoir UNE, qui satisfasse suffisamment aux besoins de la pratique; et à cet égard, l’Esp. a sur tous ses concurrents actuels ou possibles l’avantage immense d’avoir fait ses preuves de toutes les manières. Quels que puissent être ses défauts, petits ou grands, nous sommes bien obligés de tenir compte, au point de vue pratique, de ce fait qu’il incarne aujourd’hui l’idée de la L. I. aux yeux du public, et que presque tous ceux qui sont partisans d’une L. I. s’y rallient. Un fait bien significatif à cet égard est l’appui que M. Ostwald lui a apporté, sans être aucunement influencé par nous.3 Encore une fois, ces adhésions ne portent souvent que sur le principe, et n’excluent nullement des réformes plus ou moins graves; mais elles donnet à l’Esp. une situation acquise qu’il est impossible de négliger et de tenir pour nulle. Je ne parle pas des innombrables manuels, dictionnaires et traductions qui paraissent chaque jour, et qui constituent un capital intellectuel et commercial dont il faut tenir compte, ainsi qu’un instrument de propagande dont aucun projet rival ne peut disposer avant |4| longtemps. En un mot, l’Esp. incarne en fait, aujourd’hui, l’idée de la L. I. aux yeux des masses (quelques efforts que nous ayons faits pour maintenir la distinction et notre indépendance), de sorte qu’elle ne peut plus triompher ou échouer qu’avec lui et par lui.
Cela m’amène à répondre brièvement aux critiques que vous lui adressez. La principale, je crois, vise l’emploi des mots internationaux. Je vous ferai remarquer que le „principe d’internationalité“ ne caractérise pas l’Esp., il lui est commun avec la plupart des projets, dont les adeptes lui reprochent même parfois de ne pas avoir observé ce principe (notamment en créant à priori le tableau des particules, si ingénieux et si logique, p. 309 de notre Histoire). Dans une lettre antérieure, vous sembliez dire que l’internationalité des mots (ou des radicaux) n’a aucun intérêt, puisque la L. I. n’est pas faite pour les polyglottes. Assurément; mais, en ne considérant que des gens qui ne savent chacun que sa langue maternelle, ne voyez-vous pas que la L. I. sera d’autant plus facile à apprendre pour chacun d’eux, qu’elle contiendra plus de mots (ou radicaux) qu’il connaît déjà par sa propre langue, et par suite, qu’elle contiendra plus de mots communs au plus grand nombre possible de langues (européennes)? On peut discuter sur la manière d’appliquer ce principe, et sur la manière plus ou moins juste dont l’Esp. l’applique en fait:, mais je ne crois pas que l’on puisse écarter ce principe lui-même comme fondement pratique d’une L. I., de la L. I. future, quelle qu’elle soit. Par exemple, on peut reprocher (comme vous l’avez fait un jour) à l’Esp. de ne pas pousser toujours assez loin l’analyse étymologique, et d’admettre comme radicaux de simples dérivés (comme cirkonstanco). C’est là une critique de détail, fort juste et fort utile, et pour laquelle nous aurions grand besoin des lumières de la philologie. Mais cela n’entache en rien le principe d’internationalité; c’est une question d’application.
|4|Si vous étiez disposé à assumer le rôle de critique bienveillant à l’égard de l’Esperanto, votre concours nous serait très précieux, et rien ne nous empêcherait de le solliciter. Mais je crois qu’on ne peut faire œuvre utile, et, au point de vue pratique, aboutir à une entente, que si l’on accepte le principe d’internationalité, qui, je le répète et j’y insiste, n’impose pas plus l’Esp. qu’une autre langue à posteriori. C’est au nom de ce principe que l’ Idiom neutral4 prétend être plus facile et plus international que l’Esp.; que le Panroman5 et même le Latino sine flexione6 se présentent comme la solution la plus simple et la plus scientifique du problème. Vous savez que le premier projet a pour auteur un Allemand, le Dr Molenaar, de München;7 et que le second est l’œuvre d’un mathématicien de grande valeur et d’un logicien de premier ordre, le Prof. Peano de Turin.8 Celui-ci s’est livré à un travail très intéressant en comparant les vocabulaires de six langues européennes principales et du latin; et il arriva à cette conclusion, que presque tous les radicaux internationaux viennent du latin. Par comparaison avec ces projets, l’Esp. apparaît comme une langue mixte (les puristes le lui reprochent assez!) où une large part est faite à l’élément germanique. Permettez-moi au surplus, de vous renvoyer à l’article que j’ai écrit en réponse à M. Diels, et dont je vous envoyé une copie en français. Il doit paraître en allemand dans la Deutsche Revue;9 il vous fera connaître en même temps les principales objections de M. Diels dans leur texte même.
En résumé, vous avez deux moyens de faire valoir votre opinion sur la question: le premier serait de décider l’Académie de Vienne à prendre en considération notre démarche, car évidemment votre opinion aurait |5| beaucoup d’influence sur le Comité qui serait chargé d’étudier la question, et je vous ai dit pour quelles raisons sa décision aurait le plus grand poids auprès des intéressés, Espérantistes et autres. Le second serait de faire partie du Comité que la Délégation se propose d’élire, à défaut des Académies, pour choisir et corriger, s’il y a lieu, la L. I.; je ne vous ai pas dissimulé que l’influence de ce Comité serait moins grande, et par suite ne pourrait pas imposer à l’Esp. une réforme aussi radicale que celle que les Académies pourraient décréter. Néanmoins, votre autorité serait encore très appréciée dans ce Comité, que nous voulons composer de savants aussi autorisés et aussi impartiaux que possible. Nous ne vous demanderions, dans un cas comme dans l’autre, aucun „sacrificium intellectus“. Seulement, il ne faut pas oublier qu’il s’agit ici, non d’une question de doctrine (comme de théologie) où la conscience est engagée, mais d’une question pratique où l’on est obligé de tenir compte des circonstances contingentes, et d’accepter souvent à titre de transaction une solution qui ne satisfait complètement personne. Sans renoncer à son opinion, on peut et on doit sacrifier quelques-unes de ses préférences dans l’intérêt de l’œuvre commune et de l’union ou de l’entente pratique. A vrai dire, je crains, d’après vos déclarations antérieures, que ce rôle ne vous convienne pas; mais il est de mon devoir vous le proposer, et je crois que c’est dans cet esprit de conciliation pratique qu’il faut l’envisager. Ne vaut-il pas la peine de sacrifier quelque chose de son idéal pour contribuer à le réaliser? C’est le sort de tout idéal de déchoir en se réalisant; c’est une loi générale à laquelle le sage doit se résigner, ou autrement on ne ferait jamais rien, aucun bien, aucun progrès.
Veuillez agréer, Monsieur et honoré Collègue, l’expression de nos sentiments respectueux et dévoués.
Louis Couturat
1 27.8. bis 5.9.1906; vgl. den kurzen Bericht von H. Fehr, L’Enseignement mathématique 8, 1906, 402-403.
2 Der belgische Astronom Adolphe Quételet (1896-1874) gilt als einer der Begründer der Anthropometrie, vgl. vor allem sein in mehrere Sprachen übersetztes Werk Sur l'homme et le développement de ses facultés, ou essai de physique sociale, Paris 1835, 2 Bde.
3 Vgl. Robert Smail Jack / Fritz Scholz, „The World Language“, in: Jack / Scholz, Wilhelm Ostwald. The Biography, Cham: Springer International Publishing, 2017, 457-475.
4 Vgl. HSA Brief 01994.
5 Vgl. Brief 01975.
6 Vgl. Brief 01995.
7 Molenaar (1870-1965); vgl. HSA 07433-07437; dazu ist interessant sein NL in der ÖNB Wien.
8 Giuseppe Peano (1858-1932), vgl. HSA 08691 sowie Hubert C. Kennedy, Life and works of Giuseppe Peano, Dordrecht, Boston, London: D. Reidel, 1980 . S. auch seine Korrespondenz mit Couturat.
9 Louis Couturat, „Eine Weltsprache oder drei? Antwort an Herrn Professor Diels“, Deutsche Revue 32, Januar-März 1907, 218-227 u. 360-.367. Die wichtige Zusammenfassung (S. 366-367) lautet: „Prof. Diels hat in beredter Weise den internationalen Charakter der modernen Wissenschaft und Kultur hervorgehoben; die Weltsprache ist wirklich nur das notwendige Organ und der Träger der internationalen Ideen. Der ganze Vortrag des Professors Diel ist vom wärmsten Patriotismus erfüllt und zeigt, wie gut die Internationalität der Wissenschaft sich mit der stärksten, ja stürmischsten Vaterlandsliebe vereinigen läßt, denn der Grundgedanke seiner Rede ist: es besteht ein nationales Interesse, daß die Kultur international wird. Hierin werden die einsichtigen Patrioten aller Länder übereinstimmen. Es sollte daher ebenso leicht sein, sich über die Mittel zu verständigen, nachdem man sich über das Ziel verständigt hat. Das von Professor Diels vorgeschlagene Mittel ist sachlich unzulänglich und praktisch unausführbar. Somit bleibt gar nichts übrig als die Annahme einer neutralen Weltsprache, die den Patriotismus ebenso wenig beunruhigen kann wie die internationale Beschaffenheit der Wissenschaft selbst. Es ist eine historische Tatsache, daß wir heute unter dem Zeichen der Internationalität stehen; wir müssen uns unter allen Umständen damit abfinden. Das Bedürfnis schafft ein Organ, wie die Physiologie lehrt; das Auftreten der Weltsprache ist somit eine geschichtliche Notwendigkeit. Nun wissen wir: fata volentem ducunt, nolentem trahunt; den Gelehrten ist es nun auferlegt, entweder die Bedürfnisse der Zeit zu erkennen und ihre Entwicklung zu leiten oder sich in unfruchbarer Betrachtung des Vergangenen zu verlieren, um schließlich von den Ereignissen überrannt zu werden. Professor Diels zählt zweifellos zu den ersteren und bezeugt dies durch seine schöne Teilnahme an der Zukunft der europäischen Kultur; dies ist das gemeinsame Gebiet, auf dem wir uns zurzeit getrennt finden, während wir gerade hier vereinigt sein sollten. Jedenfalls hat er die Notwendigkeit einer allgemeinen Sprache meisterhaft nachgewiesen, denn auf diesen Punkt führt der ganze Inhalt seiner Rede hin. Wenn er auch noch vor dieser unausweichlichen Konsequenz seiner Betrachtungen zurückgescheut ist, so müssen wir ihm doch dankbar sein, daß er, ohne es zu wollen, in überzeugendster Weise für die internationale Hilfssprache eingetreten ist“.