Louis Couturat an Hugo Schuchardt (17-01975)

von Louis Couturat

an Hugo Schuchardt

Paris

14. 12. 1903

language Französisch

Schlagwörter: Internationale Verständigungssprachelanguage Esperantolanguage Volapük Gomperz, Theodor Lott, Julius Paris, Gaston Wien Frankreich England Paris Schuchardt, Hugo (1904) Schuchardt, Hugo (1901)

Zitiervorschlag: Louis Couturat an Hugo Schuchardt (17-01975). Paris, 14. 12. 1903. Hrsg. von Frank-Rutger Hausmann (2018). In: Bernhard Hurch (Hrsg.): Hugo Schuchardt Archiv. Online unter https://gams.uni-graz.at/o:hsa.letter.6985, abgerufen am 28. 03. 2024. Handle: hdl.handle.net/11471/518.10.1.6985.


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DÉLÉGATION POUR L’ADOPTION D’UNE LANGUE AUXILIAIRE INTERNATIONALE  
SECRÉTAIRE : M. L. LEAU                                                TÉSORIER : M. L.COUTURAT
6, Rue Vavin                                                                         7, Rue Nicole
PARIS (6 e)                                                                            PARIS (5e)
    ----                                                                                       ---                                                                       
                                                                                                       Paris, le 14 décembre 1903.

Monsieur et honoré Collègue,

Je m’empresse de vous remercier de votre intéressante lettre, et de vous dire que nous sommes heureux d’apprendre le dépôt de la prochaine lecture de votre rapport.1 Je regrette qu’il vous ait donné autant de mal, moins évidemment à cause de la matière, qui vous est familière, qu’à cause de la forme académique et diplomatique que vous avez dû lui donner. Mais cette peine même m’assure qu’il sera parfait, et me fait espérer qu’il aura tout son effet.

Vous ne me dites pas si vous irez le lire vous-même à Vienne, ou s‘il sera lu par un de vos collègues. Le premier cas serait évidemment préférable: mais je crains que, |2| en raison de votre état de santé, ce ne soit le second qui ait lieu. Il serait désirable, en tout cas, que quelques-uns de vos collègues pussent soutenir vos idées. Savez-vous si M. Gomperz2 est devenu favorable à notre entreprise? Ce serait un grand point. Vous m’aviez communiqué une phrase de lui qui prouve que tout au moins il s’y intéresse. – Vous ne dites pas si votre rapport conclut à une décision pratique de l’Académie, ni si l’Académie aura à prendre une telle décision à la suite de votre rapport. Vous savez que c’est cela qui importe surtout, pour le succès de notre œuvre. Il serait désirable que l’Académie manifestât du moins son opinion (favorable, bien entendu!) d’une manière ou d’une autre; car cela nous permettrait d’avancer nos affaires auprès des autres Académies. Comme je crois vous l’avoir déjà expliqué, nous n’espérons pas que les unes marchent sans les autres.

J’ai envoyé à M. le Secrétaire de l’Académie 50 exemplaires de ma brochure, et 50 exemplaires de l’Etat de la Délégation et de la Liste des signatures, en me recommandant |3| de vous et en le priant de les distribuer à M. M. les membres de l’Académie. J’espère que, demandée en votre nom, la chose sera faite en temps et lieu.

Pour la partie théorique de votre lettre, je ne puis que vous remercier des renseignements et des rectifications qu’elle nous apporte. Il est certain que les mots de la langue usuelle sont beaucoup moins internationaux que les termes scientifiques et techniques. Il est certain aussi que les mots internationaux sont en grande majorité latins ou romans. Ce sont là des faits historiques dont la L. I. devra tenir compte, et qui diminueront sa facilité d’acquisition pour les Germains et les Slaves. Toutefois, je crois qu’une langue romano-germanique comme l’Esperanto leur offrirait toujours beaucoup plus de facilité qu’une langue romane (naturelle ou artificielle). Voici la statistique de M. de Beaufront, à laquelle nous faison allusion p. 344, note 2,3 et que nous n’avons pas publiée, parce que nous ne pouvions pas la vérifier, et que certains Espérantistes la trouvent inexacte, pour les raison indiquées ibid.

|4| Sur les 2642 racines de l’Universala Vortaro,4

un Polonais en connaît déjà703
un Russe704
un Suédois735
un Allemand840
un Anglais870
un Hollandais887
un Portugais953
un Espagnol1121
un Italien1576

(manque le Français: un de nos amis a fait le compte, et évalué à 1000 environ le nombre des racines qu’il connaît d’avance). Il faut remarquer que l’Universala Vortaro ne contient que des racines usuelles, et aucun mot complètement international (comme télégraphe) Vous voyez donc que, si les peuples latins sont avantagés, les peuples germaniques et slaves ne sont pas sacrifiés. M. le recteur Boirac5 m’a cité un jour une phrase qu’il avait composée à plaisir en employant que des racines germaniques: „Nur unu vorto por danki vin pri la sendo de via verko …“6 Je crois même que le Dr Zamenhof a adopté plus de racines germaniques que ne l’exige le principe de l’internationalité, pour rétablir un peu la balance |5| (et il a bien fait, au point de vue pratique et politique). Ce qui le prouve, c’est que l’Idiom neutral, élaboré par une „Académie“ internationale qui ne comprend pas un Français, est beaucoup plus roman que l’Esperanto par son vocabulaire (v. notre Histoire, p. 346). D’ailleurs, beaucoup d’auteurs allemands de langue artificielle sont partisans d’un néo-roman (ex.: Julius Lott,7et Molenaar, Panroman,8 dont je vous envoie un prospectus.) Cela nous fait espérer que les Allemands ne refuseront pas d’adopter un idiome mixte romano-germanique, pourvu que le „chauvinisme“ ne s’en mêle pas (vous m’assurez qu’il n’est pas à craindre; j’en suis très heureux, mais j’ai eu des preuves frappantes de ce chauvinisme chez quelques personnes isolées). Enfin vous arguez du succès de l’Esperanto en France et en Angleterre; et cela est vrai à présent (voir la carte de l’Europe espérantiste que je vous envoie, à titre de document) (1 avec la liste des cours d’Esperanto faits à Paris cet hiver). Mais l’Esperanto s’est répandu d’abord en Russie et en Suède, pays non-latins. Et si son caractère roman est pour quelque chose dans son succès en France, permettez-moi d’y ajouter ce facteur spécial, la capacité d’enthousiasme du peuple français: |5| car il a fait le même succès (pour le moins) au Volapük, d’origine vaguement anglo-germanique, où tout était fait pour le dépayser et le rebuter. Je ne crois pas que le Volapük ait jamais offert aux Germains la facilité que l’Esperanto offre aux Romans, et je crois qu’il était plus difficile pour les Romans que l’Esperanto ne peut l’être pour les Germains et les Slaves. Je souhaite donc que ceux-ci n’apportent pas au choix de la L. I. plus de préjugés nationaux que les Français de 1887 n’en avaient en se passionnant pour le Volapük (uniquement au fond, à cause de l’idée qu’il incarnait alors.) – Si l’on peut faire aux éléments germaniques une place plus grande que ne la fait l’Esperanto, sans rendre la L. I. plus difficile pour tous, il faudra le faire. Mais on ne peut pas raisonnablement satisfaire les chauvins allemands qui, sous prétexte de neutralité, voudraient rendre la L. I. également difficile et étrangère pour tous.

Au surplus, sur cette question la parole est aux philologues; et vous feriez bien, dans tous les cas, d’exposer vos idées à ce sujet, comme vous en avez l’intention. Mais le mieux serait que les Académies, en chargeant un Comité (dont vous feriez partie) du choix de la L. I., vous donnassent l’occasion de les appliquer.

C’est le vœu que je fais, en vous priant d’agréer, Monsieur et honoré Collègue, mes plus respectueuses salutations.
Louis Couturat

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P. S. J’ai retrouvé dans mes papiers la mention de votre article (Beilage zur All. Zeitung 7. oct. 1901).9 Je me souviens maintenant que c’est M. Bréal10 qui me l’avait prêté. Avec cette indication exacte, il me serait possible, je crois, de me le procurer par une agence de coupures de journaux.

- Le tableau synoptique de M. Molenaar est intéressant, quoique incomplet (il y manque par ex. l’Esperanto). J’en avais dressé un semblable pour toutes les langues a posteriori; nous avons renoncé à le publier. La concordance des noms des nombres et des pronoms (sous leur forme romane) est très remarquable. Déjà Heintzeler (Universala)11 avait dressé un tableau semblable, mais en y mêlant des systèmes mixtes (comme le Volapük) ce qui détruisait la concordance. C’est ce tableau comparatif qui a inspiré notre Conclusion (p. 550 sqq.).

P.S. Je n’ai pas eu de réponse au sujet de Gaston Paris. Je vous remercie d’avance pour votre article de l’Allg. Zeitung, pourvu que cela ne vous donne pas de peine.12


1 Vgl. Schuchardt, „Bericht über die auf Schaffung einer künstlichen internationalen Hilfssprache gerichtete Bewegung“, Almanach der Kaiserlichen Akademie der Wissenschaften (Wien) 54, 1904, 281-296.

2 Vgl. Brief 01966.

3 Louis de Beaufront, in: Espérantiste , 44-45 (Sept. 1901).

4 L. L. Zamenhof, Universala vortaro de la lingvo internacia esperanto , Varsovio: J. Kelter, 1900 (immer wieder aufgelegt). – Vgl. auch Doktoro Zamenhof e la Delegitaro: Dro Zamenhof reformisto: kolekto di dokumenti needitita ed autentika, publikigita e komentita da L. Couturat, Paris: Chaix, 1914.

5 Emile Boirac (1851-1917), franz. Philosoph, Parapsychologe und Anhänger der Esperanto-Bewegung, Inhaber mehrere Hochschulämer, ab 1905 Leiter der Esperanto-Akademie.

6 „Nur ein Wort, um sich für die Zusendung (den Versand) Ihrer Arbeit zu bedanken“.

7 Vgl. z.B. Julius Lott, Die Kunst die internationale Verkehrssprache "Volapük" schnell zu erlernen; kurzgefaßte theoret.-prakt. Anleitung, Schleyer's Volapük in kürzester Zeit durch Selbstunterricht sich anzueignen. Mit zahlreichen prakt. Uebungs-Aufgaben, Dialogen , Leipzig: Hartleben, 1890 (u. a. Titel).

8 Heinrich Molenaar, Esperanto oder Panroman?; das Weltspracheproblem und seine einfachste Lösung, München, 1907.

9 Schuchardt, „Die Wahl einer Gemeinsprache“, Beilage zur Allgemeinen Zeitung (Augsburg, München), 230 (7. Oktober 1901), 1-5.

10 Michel Bréal (1832-1915), franz. Sprachwissenschaftler; vgl. HSA 01321-01344,

11 Eugen Heintzeler, Universala: Weltsprache auf Grund der romanischen Sprachen & des Lateins, Stuttgart: Roth, 1893.

12 P.S. am oberen linken Rand der ersten Seite.

Faksimiles: Universitätsbibliothek Graz Abteilung für Sondersammlungen, Creative commons CC BY-NC https://creativecommons.org/licenses/by-nc/4.0/ (Sig. 01975)