Louis Couturat an Hugo Schuchardt (15-01973)

von Louis Couturat

an Hugo Schuchardt

Paris

27. 09. 1903

language Französisch

Schlagwörter: Internationale Verständigungssprache Wissenschaftliche Akademien Koninklijke Akademie van Wetenschappen (Amsterdam) Association Internationale des Académies Royal Society (London)language Volapüklanguage Esperantolanguage Deutschlanguage Englischlanguage Latein Leau, Léopold Mach, Ernst Kern, Johan Hendrik Caspar Frankreich England Wien Rom Schuchardt, Hugo (1904) Couturat, Louis/Leau, Léopold (1903)

Zitiervorschlag: Louis Couturat an Hugo Schuchardt (15-01973). Paris, 27. 09. 1903. Hrsg. von Frank-Rutger Hausmann (2018). In: Bernhard Hurch (Hrsg.): Hugo Schuchardt Archiv. Online unter https://gams.uni-graz.at/o:hsa.letter.6983, abgerufen am 28. 09. 2023. Handle: hdl.handle.net/11471/518.10.1.6983.


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DÉLÉGATION POUR L’ADOPTION D’UNE LANGUE AUXILIAIRE INTERNATIONALE  
SECRÉTAIRE : M. L. LEAU                                                TÉSORIER : M. L.COUTURAT
6, Rue Vavin                                                                         7, Rue Nicole
PARIS (6 e)                                                                            PARIS (5e)
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                                                                           Salies de Béarn (Paris), le 27 septembre 1903.

Monsieur,

J’ai été très heureux de recevoir de vos nouvelles; je me proposais de vous écrire bientôt, et je l’aurais fait plus tôt, si vous ne m’aviez pas annoncé, l’an dernier, que vous alliez faire un séjour en Egypte. Je regrette vivement que votre santé n’ait pas mieux profité de ce séjour, et je souhaite qu’elle se rétablisse bientôt.

Je vous remercie de votre intention de préparer un rapport sur la question de la L. I., conformément au vœu de l’Académie;1 nous allions vous prier de le faire, et nous sommes très disposés à vous en fournir les éléments. Au surplus, la prochaine apparition de notre Histoire de la Langue |2|universelle (dont vous recevrez un exemplaire à titre d‘hommage reconnaissant) vous fournira à la fois, j’espère, l’occasion et la matière de ce rapport. Il importe de vous prévenir, toutefois, que ce livre est nullement une publication officielle de la Délégation, mais une œuvre privée de M. Leau et de moi, destinée à servir la cause et à éclairer l’opinion. L’Index vous montrera que nous avons eu en plusieurs endroits l’occasion d’invoquer votre autorité.2 Bien que peu compétents en matière de philologie, la concordance de nos vues personnelles avec vos opinions nous fait espérer que vous approuverez en général nos critiques et notre conclusion. Dans le cas contraire, nous recevrons vos observations avec reconnaissance, et avec la déférence due à votre autorité scientifique.

Au surplus, bien que nous ayons travaillé en conscience et suivant la stricte méthode historique, nous avons moins prétendu faire une œuvre scientifique qu’une œuvre pratique, c. à. d. de propagande. Et, puisque vous voulez bien nous demander dans quel sens votre rapport doit être conçu, je me permettrai d’exprimer le désir |3| qu’il porte moins sur le côté théorique que sur le côté pratique de la question. Vos intentions paraissent d’ailleurs conformes à ce désir; car vous semblez croire peu utile ou peu opportune une revue et une critique détaillée des divers projets. Et en effet, dès qu’on entre dans la discussion de ces projets, on risque de susciter des contradictions et des divisions entre les partisans de l’idée, et par suite sur ceux de la Délégation.3 Le but et le programme de la Délégation vous sont déjà connus, d’abord par sa Déclaration, qui est sa charte constitutive, ensuite par ses circulaires; et la Préface de notre ouvrage est consacrée à les exposer et à les justifier: je vous prierai donc de vous en inspirer pour définir votre entreprise, toute pratique, je le répète, car elle vise uniquement l’entente et l’union internationales nécessaires pour l’adoption d’une L. I. quelconque (la meilleure possible, bien entendu.)

Quant aux progrès et à l’état actuel de la Délégation, nos circulaires (que M Leau |4| va vous envoyer de nouveau) vous en instruiront. D’une part, l’Etat de la Délégation comprend plus de 160 Sociétés de différents pays (parmi les adhésions récentes et importantes, je citerai l’ Incorporated Medical Practitioners‘ Association , de Londres, le Congrès international d’automobilisme (Paris) et l’ Association générale automobile ). D’autre part, notre pétition internationale adressée aux Académies (que vous avez bien voulu signer des premiers)4 continue à recueillir des signatures dans les Universités (elle en compte à présent plus de 400). Tout cela montre la faveur, l’enthousiasme même que l’idée de la L. I. suscite, non seulement en France (où le mouvement actuel a pris naissance), mais dans beaucoup d’autres pays, et même, récemment, en Angleterre. J’ai le regret de constater que, jusqu’ici, les pays de langue allemande sont ceux qui nous ont donné le moins d’adhésions, bien que nous y comptions des protecteurs et partisans d’une haute autorité, comme le Prof. Ostwald et Van’t Hoff,5 en Allemagne, et le Prof. Mach, votre collègue de Vienne. Cela tient sans doute à ce que notre entreprise (faute de capitaux) ne fait |5| aucune réclame dans les journaux, et n’a à compter que sur l’action individuelle de ses adhérents. En outre, il faut une certaine faculté d’abstraction, et un dévouement rare à l’humanité, pour se passionner pour l’idée pure et simple de la L. I. Beaucoup de gens, positifs et concrets, ne peuvent s’intéresser qu’à une L. I.; ils s’enflamment d’un beau zèle pour tel ou tel projet, sans savoir s’il est le meilleur, ils l’apprennent, l’enseignent et le propagent, sans s’inquiéter de savoir si ailleurs on n’en propage pas d’autres qui pourront faire concurrence ou même échec au leur. Toujours est-il qu’on trouve plus de zèle et plus d’argent pour un projet particulier de L. I. que pour la Délégation, qui représente l’idée seule. Je ne m’en plains pas, je constate; et j’admire même ce zèle, qui fait honneur à l’idée.

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A ce propos, je dois vous dire, pour vous renseigner complètement, que de tous les projets actuellement en cours (le Volapük est à peu près mort), c’est l’Esperanto qui a de beaucoup le plus de succès et de partisans, d’abord en France, où il se propage avec rapidité, ensuite en Angleterre, où il s’est implanté pendant l’hiver dernier. L’ Idiom Neutral , récemment lancé (en allemand et en anglais) ne paraît pas avoir jusqu’ici d’autres adeptes que ses auteurs, les membres de l’Académie internationale de langue universelle.6 Le seul projet qui puisse, semble-t-il, faire concurrence à l’ Esperanto dans certains milieux scientifique ou surtout littéraires est le latin, mais la plupart des partisans du latin admettent la nécessité d’une réforme si profonde du latin classique, que ce ne serait plus du latin, mais une sorte d’Esperanto. Il semble donc que l’accord soit près de se faire sur une langue artificielle néo-latine ou romano-germanique, mais avec préponderance de l’élément roman, plus international. Au surplus, vous trouverez tous les détails de fait dans le chapitre final de notre Histoire (Les langues mortes.) Je |7| dois vous dire, à ce sujet, que le Congrès panlatin tenu en avril à Rome (et composé surtout d’Italiens)7 a émis, sur la proposition du Prof Angelo de Gubernatis,8 un vœu pour que le latin devînt la langue internationale des peuples romans, tout au moins et d’abord, et ensuite de tous les peuples civilisés. Quelques lettrés (comme le Prof Valdarnini9 de Bologne) espèrent restaurer par là les études classiques, et remédier à la surcharge des programmes et au conflit de l’enseignement classique et de l’enseignement modernes (écoles réales ou techniques.) V. par ex. la Vox Urbis,10 n° de sept. 1903, que je tiens à votre disposition, ainsi que les autres documents relatifs au Congrès panlatin (1 A propos, je vous informe qu’un décret tout récent a rendu facultative la thèse latine pour le doctorat ès lettres, en France, ce qui équivaut à sa suppression presque totale.)

Bien que les promoteurs de ce Congrès aient refusé d’adhérer à la Délégation et même d’en faire la proposition au Congrès, ils travaillent, comme nous, pour l’ idée de la L. I. et sont une preuve de plus de la nécessité de notre entreprise.

Comme notre plan d’action vise l’Association intnale des Académies, laquelle ne peut être saisie de la question que par une des Académie associées, nous cherchons dans les Académies ce que nous |8| avons trouvé à Paris et à Vienne, à savoir des protecteurs et des avocats de notre cause. Nous en avons trouvé à Amsterdam, en la personne de M M Van der Waals et Kern; l’Académie d’Amsterdam nous a fait savoir officieusement qu’elle était favorable à notre projet, et que ses délégués voteraient pour lui le jour où il viendrait en discussion devant l’Assocon intale des Académies. C’est une première voix acquise. En ce moment nos amis de l’Angleterre font des démarches personnelles auprès des membres de la Royal Society et de la British Academy pour savoir leur opinion sur la question de la L. I. et tâcher de trouver parmi eux des partisans de notre œuvre. – Il est temps que les Académies s’intéressent à l’œuvre et la prennent en main, car nous sommes décidés à nous passer d’elles, si elles mettaient trop de temps à s’émouvoir et à suivre le mouvement de l’opinion publique; et déjà plusieurs de nos délégués se plaignent de leur lenteur et de leur inertie. Pour nous, nous cherchons avant tout à intéresser le public à l’entreprise, sûrs que, lorsque le public s’y intéresse, les Académies seront forcés de s’y intéresser et d’y prendre part.

Veuillez agréer, Monsieur, l’expression de nos sentiments reconnaissants et tout dévoués.
Louis Couturat


1 Schuchardt, „Bericht über die auf Schaffung einer künstlichen internationalen Hilfssprache gerichtete Bewegung“, Almanach der Kaiserlichen Akademie der Wissenschaften 54, 1904, 281-296.

2 Op. cit., S. xv, xxiv u. 564.

3 Vgl. Couturat, „Délégation pour l’adoption d’une langue auxiliaire internationale“, L’Enseignement mathématique 6, 1904, 150-152; Délégation pour l’adoption d’une langue auxiliaire internationale, „Déclaration“, Publications de la Société Linnéenne de Lyon 22, 1902, 10-13. – Markus Krajewski, „Organizing a Global Idiom: Esperanto, Ido and the World Auxiliary Language Movement before the First World War“, in: W. Boyd Rayward, Information Beyond Borders. International Cultural and Intellectual Exchange in the Belle Époque, Farnham, England – Burlington, VT USA, 2014, 97-108.

4 Délégation pour l’adoption d’une langue auxiliaire internationale: Pétition internationale adressée aux Académies. [Signé: L. Couturat / L. Leau] , Paris: impr. de Michels et fils, [1901]. Es gibt noch weitere gedruckte Exemplare aus den Jahren 1903, 1904, 1906 und 1907.

5 Zu Ostwald vgl. Brief 01962; Jacobus Henricus Van’t Hoff (1852-1911), aus Rotterdam stammender, seit 1896 in Berlin lehrender Gelehrter, erster Nobelpreisträger für Chemie (1901).

6 Louis Couturat / Léopold Leau, Histoire de la langue universelle, Paris: Hachette, 1903 zählen in drei Sektionen insgesamt 49 Universalsprachen auf (S. 575-576).

7 Es war der zweite derartige Kongress; der erste hatte 1900 in Madrid stattgefunden. Ein weiterer wurde 1910 in Paris uner der Patronage von Aristide Briand veranstaltet.

8 Angelo de Gubernatis (1840-1913), ital. Sanskritist, Literaturhistoriker und Dramatiker.

9 Angelo Valdarnini di Castiglioni (1847-1930), Prof. der Philosophie in Bologna.

10 Vox urbis: de litteris et bonis artibus commentarius, Romae, 1.1898-16.1913.

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