Victor Henry an Hugo Schuchardt (33-04596)

von Victor Henry

an Hugo Schuchardt

Sceaux (Seine)

24. 01. 1900

language Französisch

Schlagwörter: Stammbaumtheorielanguage Lesgische Sprachen Schuchardt, Hugo (1897) Thomsen, Vilhelm (1899)

Zitiervorschlag: Victor Henry an Hugo Schuchardt (33-04596). Sceaux (Seine), 24. 01. 1900. Hrsg. von Frank-Rutger Hausmann (2019). In: Bernhard Hurch (Hrsg.): Hugo Schuchardt Archiv. Online unter https://gams.uni-graz.at/o:hsa.letter.6869, abgerufen am 18. 04. 2024. Handle: hdl.handle.net/11471/518.10.1.6869.


|1|

Sceaux, 24 janvier 1900.

Cher collègue et ami,

Ma carte postale était partie avant l’arrivée de votre lettre. Vous me demandez de vous écrire longuement. Eh bien, vous serez servi à souhait. Puissiez-vous ne pas vous repentir de votre vœu imprudent!

Que de fois j’ai éprouvé l’impression agaçante que vous me décrivez! Que de fois j’ai laissé tomber ma plume avec découragement et dépit, en m’écriant: „Oh! écrire! écrire! et ne jamais vaincre l’indifférence des confrères à toute pensée qui n’est pas leur propre pensée!“

J’ai publié un opuscule, Antinomies linguistiques,1 dont vous avez bien voulu, vous seul presque, vous occuper avec attention! J’y traçais, pour les débutants, une méthodologie linguistique, qui cataloguait une à une toutes les erreurs à éviter; et, surtout, j‘insistais sur le principe qui me semble le premier de tous, celui qui domine toutes les recherches de notre science, l’inconscience des procédés du langage chez le sujet parlant.

M. X. – le n° 1 de votre propre lettre – m’en fit beaucoup d’éloges, et voulut bien ajouter qu’il y reviendrait pour le louer et le discuter publiquement quelque |2| jour. Il y a de cela trois ans, et le livre est aussi parfaitement enterré qu’un saumon de plomb au fond d’une mare.

M. Y. – le n° 2 de votre lettre – a cité quelque part, accessoirement, un passage tout à fait accessoire de l’ouvrage, pour constater que „j’étais de son avis“. Depuis, il a publié un grand livre, où, presque à chaque page, est supposée la conscience du procédé linguistique, sans que même la plus faible allusion soit fait nulle part à ma thèse principale de l’inconscience. Enfin, je sais qu’il a dit à quelqu‘un qui lui annonçait l’intention de consacrer quelques pages à l’examen de mes idées: „Vous avez donc réussi à comprendre quelque chose à ce que voulait dire M. H.?“

Il y a ici une société select de 40 personnes, dite „Académie des inscriptions“, où jadis on faisait bon accueil aux linguistes. Je n’ai pas une folle envie d’y entrer; mais enfin, je crois que je n’y serais pas tout à fait déplacé, après vingt-cinq an de travaux dont je puis dire: nullus annus sine libro (aut libellis aliquot). Ni ces deux messieurs, |3| ni jamais aucun de leurs confrères, ne m’a fait entendre que ma candidature y pourrait être la bien venue, alors qu’on a reçu, dans ces dernier temps, plusieurs savants sensiblement plus jeunes que moi.

Or, ceci se passe dans mon pays. Vous étonnez-vous, dès lors, d’être peu compris dans un pays qui n’est pas le vôtre? Il y en a trois excellentes raisons, sans compter les autres.

1° Vous imaginez-vous qu’on lise? J’ai perdu depuis longtemps cette illusion. Le Parisien, le vrai Parisien, qui l’hiver dîne en ville presque tous les soirs et passe l’été à la campagne, n’a pas le temps de lire: il feuillette, se fait une idée sommaire, non du livre, mais des quelques alinéas  qui lui ont tiré l’œil, et retourne à son encrier, pour écrire à son tour un article que ses confrères liront de même. Moi, qui passe toutes mes soirées chez moi et vis en hibou, je lis à peu près tout ce qu’on m’envoie; mais je ne suis pas un Parisien; je suis un provincial égaré dans Paris, qui s’en est échappé le plus tôt qu’il a pu, pour vivre et travailler tranquille.

2° Votre méthode est admirable, la seule sûre certainement, la seule |4| qui soit en mesure de substituer en étymologie la réalité du fait à la subjectivité plus ou moins ingénieuse; mais convenez que, jusqu’à présent, elle n’est à la disposition que de vous seul. Il y faut une étendue de savoir linguistique, promené à travers les domaines les plus divers, et une vaillance de recherche explorative, qui n’appartiennent vraiment qu’à vous. Donc, dire et publier que votre méthode est la seule féconde, c’est ce condamner à l’employer soi-même, et, pour m apart, moi tout le premier, je confesse que je ne m’en sentirais ni la force ni le courage ni l’universelle compétence.

3° Enfin … Mais votre langue dit cela en trois mots, beaucoup mieux que la mienne. Denken ist schwer … C’est un effort auquel on se dérobe volontiers: à plus forte raison, celui de penser la pensée d’autrui.

Et maintenant, si, à mon tour, je me suis épanché plus que de raison, n’allez pas croire que ce soit pour me plaindre, mais pour répondre à votre amicale confiance, |5| et, peut-être, pour vous réconforter. All dies ist ja blosse Vorstellung, und dem ewigen Werden ist es eben gleichgültig, wie wir es uns gefallen lassen, die Zeit zu vergeigen oder zu verbüchern.

Je dois comprendre, d’après votre lettre, que vous prenez votre retraite pour raison de santé. Je le regrette pour l’Autriche et pour vous; car mon amitié eût été doublement touchée de vous voir occuper la chaire de Fr. Müller,2 que j’ai aussi beaucoup aimé. Mais surtout je n’arrive pas à concilier la faiblesse de votre santé avec le prodigieux travail et l’information scientifique que vous déployez en tous sens. Je n’en veux pas dire davantage; mais vous savez que ceci sous ma plume n’est point éloge banal.

Si voux retournez aux langues du Caucase, vous y aurez une belle découverte à faire. Vous avez vu, sans doute, le charmant opuscule de Thomsen,3 qui indique si discrètement que la clef du |6| problème étrusque est peut-être dans les langues lesghiennes.4 Il s’agirait maintenant de reconstruire un urlesghisch, et de voir ensuite s’il permettrait de traduire les inscriptions étrusques. Le Schleicher5 de cette famille sera en même temps un Champollion.6 Vous pouvez l’être, si vous le voulez.

Si nous avions une demi-heure de conversation – à propos, pourquoi n’êtes-vous pas venu au Congrès des Orientalistes de Rome?7 – je vous expliquerais les conditions de l’enseignement en France, et vous comprendriez pourquoi on n’y achète guère d’ouvrages de linguistique allemands: c’est qu’on n’y achète pas même de livres de linguistique française. Notre science, en France, ne peut pas vivre son honneur.

Et maintenant, cher collègue et ami, pardon de tout ce radotage, – c’est vous qui l’avez voulu, – et n’en retenez que la bien vive expression de mon cordial dévouement.

V. Henry


1 Henry, Antinomies linguistiques, Paris: Alcan, 1896 (Bibliothèque de la Faculté des lettres de Paris.; 2). Schuchardts Rez. erschien in Literaturblatt für germanische und romanische Philologie 18, 1897, 238-247.

2 Friedrich Müller (1834-1898), Indogermanist u. Sprachwissenschaftler in Wien. Sein Nachfolger wurde Paul Kretschmer (1866-1956), vgl. auch HSA 05824-05832.

3 Vilhelm Thomsen, Remarques sur la parenté de la langue étrusque, København: Dreyer, 1899 [Oversigt over det Kongelige Danske Videnskabernes selskabs forhandlinger Nr.4.(1899), 374-398, 23-28].

4 Das Lesgische ist eine nordost-kaukasische (nachisch-dagestanische) Sprache.

5 August Schleicher (1821-1868), Sprachwissenschaflter, Begründer der Stammbaumtheorie in der vergleichenden Sprachwissenschaft.

6 Jean-François Champollion (1790-1832), franz. Sprachwissenschaflter, Erstentzifferer der Hieroglyphen (Stein von Rosette).

7 Vgl. Actes du Douzième Congrès International des Orientalistes. Rome, 1899.

Faksimiles: Universitätsbibliothek Graz Abteilung für Sondersammlungen, Creative commons CC BY-NC https://creativecommons.org/licenses/by-nc/4.0/ (Sig. 04596)