Victor Henry an Hugo Schuchardt (23-04586)

von Victor Henry

an Hugo Schuchardt

Paris

05. 12. 1891

language Französisch

Schlagwörter: Phonetik Passy, Paul (1890) Schuchardt, Hugo (1891)

Zitiervorschlag: Victor Henry an Hugo Schuchardt (23-04586). Paris, 05. 12. 1891. Hrsg. von Frank-Rutger Hausmann (2019). In: Bernhard Hurch (Hrsg.): Hugo Schuchardt Archiv. Online unter https://gams.uni-graz.at/o:hsa.letter.6859, abgerufen am 09. 12. 2024. Handle: hdl.handle.net/11471/518.10.1.6859.


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Paris, 5 décembre 1891.

Cher collègue et ami,

J’ai été très heureux de recevoir de vos nouvelles, bien que je les eusse souhaitées meilleures. Plus je vous lis, plus je me persuade que nous devons avoir à peu près le même tempérament. Tous ceux qui me parlent de vous, vous dépeignent jeune, gai et bien portant; et, quand vous m’écrivez, vous m’entretenez de mélancolie et de nervosisme. Moi, qui sais ce que c’est que ces souffrances sans cause appréciable, qui échappent aux yeux d’autrui, et que ce sont les plus douloureuses, je vous assure que toute ma sympathie vous est acquise.

Votre élève est un très aimable jeune homme, et c’est plaisir que de l’obliger. Je regrette qu’il ne m‘ait pas dit plus tôt qu’il désirait entrer dans une famille française: je l’ai mis en rapports avec un professeur de l’Ecole Alsacienne dont il n’a qu‘à se louer. L’autre jour, je l’ai conduit à la Soc. de Ling., où il s’est rencontré |2| avec un capitaine d’infanterie de marine retour de la Réunion: c’est de quoi parler créole, s’il lui plaît de fréquenter nos petites séances. Mais malheureusement tout cela touche à sa fin: au moment où l’activité de Paris se réveille, où les cours se rouvrent, le voilà obligé de partir pour une ville de province, où il aura fort peu de ressources intellectuelles et la peine de se créer de nouvelles relations. Il avait espéré qu’on lui laisserait passer ses six mois, ou tout au moins plus de trois, à Paris, et il était consterné l’autre jour en m’apportant la réponse du ministère autrichien qui lui intimait l’ordre de quitter dès le 23 décembre. Je n’ai pu que l’engager à utiliser le mieux possible les quatre semaines qui lui restaient; mais, en somme, il aura bien peu profité de Paris, sans que ce soit sa faute. Je ne comprends pas, je l’avoue, un règlement administratif qui envoie les jeunes professeurs dans la capitale au moment où toutes les écoles sont encore fermées, et les force à s’en aller quand elles commencent |3| à fonctionner. Il vaudrait beaucoup mieux les laisser libres de choisir leur résidence: nulle part, ni comme haute culture intellectuelle, ni comme pratique de la langue française, M. D.1 ne retrouvera l’équivalent de ce qu’il quitte ici.

Il serait donc bien tard aujourd’hui pour le mettre en relations avec notre école phonétique, dont d’ailleurs les deux plus distingués représentants, MM. l’abbé Rousselot2 et Paul Passy, 3 habitent Neuilly. Je suis heureux que l’ouvrage de ce dernier vous ait plu. C’est moi qui l’ai lu en manuscrit, qui en fait le rapport à la suite duquel il a été reçu en discussion, et qui ai argumenté contre lui (je n’ai soufflé mot de la question de l’ausnahmslosigkeit) à la soutenance qui lui a valu le titre de docteur. A présent il va ouvrir un cours libre de phonétique descriptive et historique à la Faculté des lettres. La première fois que je le rencontrerai (mais quand? vous savez qu’on ne se rencontre guère à Paris), je ne manquerai pas de lui faire part de votre approbation.

|4| Le renseignement que vous a donné M. G. Meyer4 est exact en ce qui concerne les ouvrages que je publie: la mort de Bergaigne5 a laissé en France, dans les études védiques, un vide que je m’efforce de combler. (Entre parenthèses croiriez-vous que, depuis trois ans que nous l’avons perdu, et après tous les travaux que j’ai produit en sanscrit et en grammaire comparée, je ne puis arriver à me faire nommer professeur? Si je n’étais directement intéressé dans la question, j’oserais dire que c’est un scandal public. Si cela ne dépendait que de l’Université de Paris, ce serait fait depuis longtemps: elle a émis un vote en ma faveur à la quasi-unanimité.) Mais, pour ce qui concerne mes études et mes lectures, elles s’étendent toujours sur la linguistique indo-européenne, occasionnellement même sur le romanisme et les langes anâryennes, ainsi que vous pouvez vous en assurer par mes articles de la Revue critique, s’il vous arrive par hasard d’y jeter les yeux. C’est vous dire le plaisir avec lequel je lirais votre nouvelle étude créole,6 comme tout ce qui sort |5| de votre plume à la fois si agréable et savante.

J’aurais grande joie aussi à lire l’essai politique dont vous caressez le projet.7 La conviction où vous êtes, j’y suis arrivé aussi de mon côté, il y a trois ou quatre ans, il serait trop long de vous dire à quelle occasion; mais je note ici une conformité de plus entre vous et moi. Oui, le sentiment de la justice est étranger aux relations des nations entre elles. Et comment en serait-il autrement? Ne serait-il pas étranger aussi aux relations des individus, si la force sociale ne le leur imposait? A défaut d’un pouvoir supérieur qui le maintienne dans de justes limites, il est naturel que le peuple vainqueur se fasse oppresseur, sachant bien que c’est le seul moyen de ne point devenir opprimé. Il en résulte que chacun est tour à tour opprimé ou oppresseur, presque sans le vouloir, par une fatalité inéluctable, et que bien rarement, dans le cours des siècles, l’équité vraie a pu présider aux destinées des nations. Mais ce n’est pas une raison, bien entendu, pour désespérer qu’il ne puisse être ainsi dans l’avenir, au |6| moins entre les nations civilisées. Je vais plus loin: en présence de la richesse accumulée dans les Etats-Unis d’Amérique et de la ruine que les armements causent à l’Europe, je pense qu’il faut que, d’ici à cinquante ans, on ait formé les États Unis d’Europe, ou que l’Europe n’existe plus, suicidée par sa folie … Mais nous causerons de cela, et de bien des choses, au jour prochain où j’aurai le plaisir de causer avec vous, et, quelque soit notre patriotisme respectif, je suis sûr que nous tomberons d’accord, comme gens qui savent le prix de la vie d’une nation ou de la vie d’un seul homme, et qui ne souhaiteraient rien tant tous deux que de voir la justice immanente dominer les appétits égoïstes et les ambitions sanguinaires.

Je ne connais pas, même par le titre ni le nom d’auteur, l’ouvrage auquel vous faites allusions. Mais il faut dire que, en dehors de la linguistique, je connais si peu de chose.

Présentez, je vous prie, mes plus respectueux hommages à Madame votre mère, et croyez-moi tojours, cher collègue.
Votre tout dévoué
V. Henry


1 Es handelt sich um Adolf („Adolphe“) Dietrich (*1867 Graz-?), der im Februar 1890 in Graz mit einer kreolistischen Arbeit promoviert wurde (Gutachter Schuchardt, Gustav Meyer und Anton Schönbach). Vgl. Graz, UA urn:nbn:at:at-ubg:x2-105 (Doktoratsakte 26.6.1890); HSA, Briefe 02307 (transkribiert von Philipp Krämer; Henry wird darin erwähnt); 09021 (Brief von Josef Priebsch vom 11.5.1892, der seinen Freund Dietrich noch in Paris trifft). Dietrich unterrichtete später an der steiermärkischständischen Landes-Oberrealschule in Graz. Seine Dissertation „Die kreolischen Mundarten der beiden Inseln Mauricius und Réunion“ sind nicht im Druck nachweisbar.

2 Jean-Pierre Rousselot (1846-1924), franz. Geistlicher, bedeutender Sprachwissenschaftler, der als einer der Gründerväter der Phonetik gilt; Korrespondenz mit Schuchardt ist nicht überliefert.

3 Paul Passy (1859-1940), franz. Linguist und Phonetiker; hier geht es um seine Arbeit Étude sur les changements phonétiques et leurs caratères généraux, Paris: Firmin-Didot, 1890.

4 Gustav Meyer (1850-1900), Indogermanist und allg. Sprachwissenschaftler, Grazer Kollege Schuchardts, mit dem auch Henry in brieflichem Kontakt stand. Henry hat mehrere von Meyers Arbeiten rezensiert.

5 Vgl. Brief 05-04568.

6 Schuchardt, „Beiträge zur Kenntnis des englischen Kreolisch III. Das Indo-englische“, Englische Studien. Organ für englische Philologie unter Mitberücksichtigung des englischen Unterrichtes auf höheren Schulen 15, 1891, 286-305.

7 Nicht identifiziert. Die von Henry mitgeteilte „Inhaltsangabe“ klingt vielversprechend!

Faksimiles: Universitätsbibliothek Graz Abteilung für Sondersammlungen, Creative commons CC BY-NC https://creativecommons.org/licenses/by-nc/4.0/ (Sig. 04586)