Victor Henry an Hugo Schuchardt (19-04582)
von Victor Henry
an Hugo Schuchardt
03. 07. 1889
Französisch
Zitiervorschlag: Victor Henry an Hugo Schuchardt (19-04582). Paris, 03. 07. 1889. Hrsg. von Frank-Rutger Hausmann (2019). In: Bernhard Hurch (Hrsg.): Hugo Schuchardt Archiv. Online unter https://gams.uni-graz.at/o:hsa.letter.6855, abgerufen am 07. 10. 2024. Handle: hdl.handle.net/11471/518.10.1.6855.
Paris, 3 juillet 1889.
(Rue Notre-Dame-des-Champs, 105.)
Bien cher ami et très honoré collègue,
Votre lettre est si bonne et si charmante, elle m’a causé un si vif plaisir dans le „désert d’hommes“ où je vis maintenant, que je ne veux pas tarder un jour à y répondre. Tous les Parisiens, vous le verrez, ne sont pas inexacts, et notre correspondance m’est trop précieuse pour que je néglige de l’entretenir. Mais Parisien … je le suis si peu! Depuis mon emménagement je n’ai quitté ma table de travail que pour faire mes cours et passer deux demi-journées à l’Exposition.1 A ce régime absurde je deviens de plus en plus misanthrope et pessimiste, |2| je le sens, je le déplore, mais je ne puis réagir. A Douai, à Lille, j’avais quelques vieux amis; mais je ne suis plus à l’âge où l’on en fait de nouveaux. J’avais bien prévu tout cela quand j’ai posé ma candidature; mais je n’avais pas le choix, je remplissais un devoir envers la mémoire de mon cher Bergaigne qui n’eût pas voulu d’autre successeur que moi, et d’ailleurs, par suite de circonstances qu’il serait trop long de vous expliquer, je n’avais en perspective aucun avenir linguistique à la Faculté de Lille. Puis donc que j’avais tout prévu, je ne suis pas déçu, et je ne me plains pas, je constate seulement. Que ne peut-on faire de la linguistique à la lisière d’une forêt, pas loin de la mer, avec deux ou trois amis de son choix à proximité? Vous voyez que je suis bucolique aussi. Mais vous du moins, vous êtes servi à souhait: on |3| dit que Graz est un si délicieux séjour!
C’est pourquoi je n’ose trop vous engager à venir à Paris. Je serais bien heureux de vous voir, et l’Exposition est fort belle; mais, si elle n’était presque à ma porte, je ne me serais pas dérangé pour elle: j’ai l’horreur du mouvement, du bruit, du déplacement, et je juge des autres d’après moi-même. J’ai souvent rêvé le tapis de Mille et une Nuits, le tapis magique qui transporte en un clin d’œil. Quelle bonne visite je vous ferais! J’irais aussi à Stockholm,2 dont je me priverai. Je ne sais s’il y aura des Parisiens pour y aller: heureusement tous ne me ressemblent pas. Je ne connais pas MM. Paul Meyer3 et Morel-Fatio4 et n’ai presque aucune occasion de rencontrer M. Vinson; 5quant à vos autres amis, je vous rappellerai certainement à leur souvenir quand |4| je les verrai. Mais quand … ? Je vous dis, l’isolement parisien dépasse tout ce qu’on peut imaginer. Si même vous désirez les voir, hâtez-vous, hâtez-vous: je serais bien étonné que la plupart ne fussent déjà partis pour la campagne. Moi, je suis attaché ici jusqu’au 15 août. Venez donc, si le voyage ne vous fait pas trop peur: vous trouverez encore à qui parler et avec qui vous entendre, puisque vous préférerez les ombrages du Luxembourg à la troisième plateforme de la tour Eiffel.
Ce que vous me dites de la R. de L. 6 me paraît fort juste. Mais je n’ai et ne puis avoir aucune influence sur ce recueil. Mes relations avec lui se bornent à lui envoyer de loin en loin un article et à rédiger fidèlement le compte-rendu des ouvrages que M. Vinson me fait parvenir lorsqu’ils ont quelque valeur scientifique. Au reste votre cas n’est pas l’unique: mon ami Heinrich Winkler de Breslau 7|5| m’a, voilà déjà trois ans, écrit un fait analogue, et vous avez pu voir que, de mon côté, je n’ai jamais été l’objet d’aucune recension de la R. de L., bien que j’aie envoyé presque tous mes ouvrages à la direction.
Je vous félicite de tout cœur de votre réception à l’Académie de Hongrie 8 et me promets un grand plaisir de la lecture de votre étude romano-magyare 9. Je voudrais seulement être plus capable de l’apprécier. A mesure que j’avance je vois le cercle de mon activité se resserrer de plus en plus, et je ne puis plus qu’admirer de loin le savoir universel de certains de mes amis. J’ai passé cette année à écrire un long Manuel de la langue védique (grammaire, chrestomathie et lexique) 10 qui, dans la pensée de Bergaigne, devait compléter son Manuel Sanscrit pour les débutants en sanscritisme. Me voilà bien loin, comme vous |6| voyez, des langes anâryennes, quas olim deserui, invitus ego, sed forsan non invitas.
Voulez-vous me permettre de présenter, par votre entremise, mes sympathiques et respectueux hommages à Madame votre mère, et de vous dire combien je suis heureux pour vous de la réunion que vous me faites connaître. Ce sont là les vraies joies de la vie. Jouissez-en pleinement et longtemps.
Moi aussi, je souhaite fort que le noble exilé nous laisse tranquilles 11 et que nous restions en paix; mais pensez-vous que ce soit le vœu de M. Crispi? 12Il y aurait fort à dire là-dessus. Dans mes heures d’abattement et d’inquiétude (et elles sont nombreuses), je me répète souvent „delicta maiorum immeritus lues“.13 C’est vrai, mais ce n’est pas une consolation.
A vous de cœur, cher collègue et excellent ami
V. Henry
1 „Die Pariser Weltausstellung 1889 war die zehnte Weltausstellung überhaupt. Sie fand vom 6. Mai bis zum 31. Oktober 1889 aus Anlass des hundertjährigen Jubiläums der Französischen Revolution statt und war aus diesem Grund im mehrheitlich monarchisch organisierten Europa politisch umstritten“ (Wikipedia).
2 Huitième Congrès International des Orientalistes; tenu en 1889 à Stockholm et à Christiania (7. - 10. Sept. 1889).
3 Paul Meyer (1840-1917), einflussreicher franz. Romanist.
4 Alfred Morel-Fatio (1850-1924), franz. Romanist.
5 Julien Vinson (1843-1926), franz. Baskologe.
6 Revue de Linguistique et de Philologie comparée. Recueil trimestriel de documents pour servir à la science positive des langues, à l’ethnologie, à la mythologie et à l’histoire. Die Zeitschrift wurde von Honoré Chavée begründet und von Abel Hovelacque und Julien Girard de Rialle fortgeführt, bis Julien Vinson sie 1892 übernahm. Vinson scheint aber schon vorher für den Rezensionsteil verantwortlich gewesen zu sein. Was Henry (und demnach auch Schuchardt) an der Zeitschrift kritisieren (unterbliebene Rezensionen eigener Schriften?), ist nicht klar. Schuchardt hat 1895 und 1902 selber für die Revue de Linguistique rezensiert.
7 Heinrich Winkler (1848-1930), Finnougrist.
8 Magyar Tudományos Akadémia (Aufnahme Schuchardts 1889).
9 Schuchardt, „A magyar nyelv román elemeihez“, Magyar Nyelvőr 18, 1889, 385-396, 433-442.
10 Henry, Manuel pour étudier le sanscrit védique: précis de grammaire, chrestomathie, lexique, commencé en collaboration avec Abel Bergaigne, Paris: E. Bouillon, 1890.
11 Möglicherweise Philippe d’Orléans, Comte de Paris (1838-1894), seit 1886 wieder im englischen Exil, ohne seine französischen Thronansprüche aufzugeben.
12 Francesco Crispi (1819-1901), ital. Politiker, zu diesem Zeitpunkt Ministerpräsident.
13 Horaz, Oden III, 6 („Obwohl du unschuldig bist, wirst du die Vergehen der Vorfahren sühnen“).