Charles Bonnier an Hugo Schuchardt (02-01220)

von Charles Bonnier

an Hugo Schuchardt

Oxford

18. 01. 1890

language Französisch

Schlagwörter: Sprachen auf St. Martin Kriegsgefangenenkorrespondenz Lettres de soldatlanguage Nordostkaukasische Sprachen (nacho-dagestanische Sprachen) Schuchardt, Hugo (1884) Paul, Hermann (1880)

Zitiervorschlag: Charles Bonnier an Hugo Schuchardt (02-01220). Oxford, 18. 01. 1890. Hrsg. von Frank-Rutger Hausmann (2017). In: Bernhard Hurch (Hrsg.): Hugo Schuchardt Archiv. Online unter https://gams.uni-graz.at/o:hsa.letter.5247, abgerufen am 02. 10. 2023. Handle: hdl.handle.net/11471/518.10.1.5247.


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28. Wellington Square Oxford.
18 janvier 90.

Monsieur.

Vous m’avez répondu si aimablement la première fois que je vous ai écrit, que je m’enhardis à répéter cette première tentative, avec d’autant plus de raison qu’il s’agit d’une question scientifique, sur laquelle je désirerais avoir votre opinion.

Je me suis engagé dans l’étude de la „Sprachmischung“,1 après la lecture de votre livre „Slawo-Deutsches“.2 Mais, plus j’avance, plus je me sens gêné par une question qui vous paraîtra peut-être naive, mais qui me semble à moi capitale. Dans le passage de Max Müller, dans l’article de Whitney, dans le chapitre d‘ H. Paul,3 il n’est question que du phénomène linguistique: Y’a-t-il ou n’y-a-t’il pas mélange?

Mais, qu’est-ce qu’un mélange?

Vous dites, dans votre livre: „Der Zutritt von Homogenem“ caractérise d’ordinaire le mélange –. Je n’ai malheureusement pu |2| me procurer l’article où vous refusiez ce qu’a écrit M. Psichari4 dans la revue des Patois. Ce dernier avait eu recours à la Chimie pour résoudre la question, mais, selon moi, il avait voulu appliquer trop exactement les règles d’une science, où tout se pèse à une étude comparée d’éléments dont nous n’avons pu jusqu’ici qu’analyser imparfaitement les caractères superficiels.

Quoi qu’il en soit, M. Psichari avait raison en un point de consulter la chimie, parce que c’est la science qui s’est occupée des mélanges et des combinaisons. Ne pourrait-on pas se demander si ce qu’on appelle „la Sprachmischung“ ne serait plutôt une combinaison, c à d une opération où les propriétés des deux corps combinés sont et restes altérées, ou un „mélange“ où les éléments conservent leurs propriétés –.

Cette question, si elle ne peut être résolue en Linguistique par la méthode expérimentale comme en Chimie, où on retire les corps à volonté au moyen de l’aimant, ou d’autres corps chimiques –, cette question mérite, ne vous semble-t-il pas, d’être examinée. Est-ce que, dans la vie de |3| la langue on ne pourrait pas trouver des mots qui ont fait partie d’une combinaison et l’ont quitté altérés? Faudrait-il admettre, ou bien, une simple juxtaposition, où les éléments resteraient inaltérés. Je crois que vous êtes plutôt d’avis qu’aucun déplacement, qu’aucune operation imposée à un élément d’une langue ne peut le laisser inaltéré.

Est-ce qu’il ne serait pas possible, dans un patois, d‘observer un mot resté pur, dans certains endroits et ce même mot combiné (ou mélangé?) avec un autre élément. Cette opération ne communique-t-elle pas au mot resté pur, dans certains endroits et ce même mot combiné (ou mélangé?) avec un autre élément. Cette opération ne communique-t-elle pas au mot resté pur et au mot entré en contact (un seul et même mot, divisé en deux parties dans l’espace, car l’espace existe en linguistique) un ébranlement, pour ainsi dire. Ce phénomène (si nous considérons que le mot pur et le mot mélangé ne forment que des parties d’un tout homogène), ne s’observera-t-il pas mieux sur le mot isolé que sur le mot resté en conctact? Le mot isolé en éprouvera une diminution.

Le fait qu’on a dit Leutnants, Achs, Neins,5 a imprimé aux mots identiques, restés purs de la terminaison s, un choc initial, qui se traduira peu-à-peu par un amoindrissement (d’espace). |4| Ceci, naturellement est une hypothèse, mais cette lettre a justement pour but de vous soumettre les idées que votre livre a fait naître en moi.

Après cette question:  s’agit-il d’un mélange ou d’une combinaison, en vient une autre: n’est-ce pas à ramener le tout à une question psychologique d’assimilation et d’excrétion, comme dans le corps humain?

Le plus grand penseur de la médecine, Bichat,6 nous dit que „les fonctions de l’animal forment deux classes très-distinctes – Les unes se composent d’une succession habituelle d’assimilation et d’excrétion; par elles il transforme sans cesse en sa propre substance les éléments des corps voisins, et rejette ensuite ces molécules, lorsqu’elles lui sont devenues hétérogènes. Il ne vit qu’en lui par cette classe de fonctions; par l’autre, il existe hors de lui, il est l’habitant du monde, etc. (Sur la vie et la mort (p. 1-2).

A la première classe pourraient se référer les phénomènes de combinaison ou de mélange. Le langage, étant chose vivante, peut bien plus, je crois, se référer aux sciences de la vie, à la physiologie, qu’à |5| la chimie, qui étudie les corps inorganiques (au moins en sa plus grande partie.).

La troisième question, une fois le mélange établi comme définition, serait de trouver sa loi biologique. Je me permets de vous signaler une loi dont on ne parle en Biologie que depuis très peu de temps, et qui, si elle provient du professeur de Liège, M Delbœuf,7 a surtout été développée par le professeur Giard8 à la Sorbonne:

„Quand une modification se produit chez un très petit nombre d’individus, cette modification fut-elle avantageuse, il semble que l’hérédité doit la faire disparaître, les individus avantagés devant s’unir forcément avec des individus non transformés. Il n’en est rien, cependant. Quelque grand que soit le nombre des êtres semblables à lui, et si petit que soit le nombre des êtres dissemblables que met au monde un individu isolé, on peut toujours, en admettant que les diverses générations se propagent suivant les mêmes rapports, trouver un nombre de générations, au bout desquelles la totalité des individus variés dépassera celle |6| des individus inaltérés“ (Revue Scientifique. 23. Novembre 89.)9

Et, dans le „Bulletin scientifique du Nord“ (tome 22) une étude d’un professeur de l’Ecole d’Alfort arrive aux mêmes conclusions pour les croisement ethniques:

„Un type ethnique, dit-il, qui vient d’engloutir par croisement continu un autre type ethnique, n’est pas exactement après ce qu’il était auparavant“.10

Je me permets de vous envoyer ces deux citations d’un intérêt très grand pour la Linguistique, pour me faire pardonner mes hypothèses sans base jusqu’ici du commencement. Si vous aviez l’obligeance de me répondre sur les unes et sur les autres, je considérerais cela comme le plus grand bénéfice que je pourrais retirer de mes études sur la „Sprachmischung“.

Je suis et reste, Monsieur,

votre très dévoué élève.

Dr. Charles Bonnier.


1 Diese Frage hatte ihn bereits in seiner Dissertation (s.o.) umgetrieben. Am 16.12.1889 schreibt er aus Paris an Hermann Suchier: „J’ai depuis peu eu l’idée de me consacrer pendant d’une dizaine d’années rien qu’à l’étude de la Sprachmischung. L’Étude qui paraît en ce moment dans la Z f r P., et pour la publication de laquelle je vous suis si redevable touchait déjà un peu la matière. Mais comme heureusement ou non je suis obligé toujours de faire autrement que les autres, je me suis demandé un jour si ceux qui soutiennent que le mélange n’existait pas de même que ceux qui prétendaient le contraire, s’étaient donné la peine de nous définir le mot mélange. Or, mélange signifie en Chimie une opération où les différents corps ne se modifient pas et peuvent être retirés inaltérés. Combinaison signifie au contraire qu’il y a altération profonde dans les éléments fusionnés“ (SBB PK, NL Suchier).

2 Hugo Schuchardt, Dem Herrn Franz von Miklosich zum 20. November 1883. Slawo-deutsches und Slawo-italienisches, Graz 1884.

3 Friedrich Max Müller, Vorlesungen über die Wissenschaft der Sprache , 2 Bde., Leipzig 1863/66; Hermann Paul, Prinzipien der Sprachgeschichte, Halle a.S. 1880, § 274; William Dwight Whitney, Language and its study , New York 1867 (dt. 1874).

4 Jean Psichari (1854-1929), französischer Linguist und Schriftsteller griechischen Ursprungs, Schwiegersohn von Ernest Renan, Direktor der École pratique des hautes études, Professor der Sorbonne; vgl. seine Briefe an Schuchardt (HSA, Lfd.Nr. 09049-09051) und Schuchardts Rez. von „Psichari, Quelques observations sur la phonétique des patois et leur influence sur les langues communes“, Literaturblatt für germanische und romanische Philologie 9, 1988, 481–490.

5 Bonnier hat sich intensiv mit der Soldatensprache beschäftigt, vgl. sein Buch Lettres de soldat , Halle 1891.

6 Xavier Bichat (1771-1802), franz. Anatom und Physiologe, hier: Recherches physiologiques sur la vie et la mort , Paris 1800, 3 [möglich, dass Bonnier eine andere Ausg. benutzt oder sich in der Seitenangabe geirrt hat].

7 Joseph Remi Léopold Delbœuf (1831-1896); von Hause aus Gräzist, bildete er sich im Selbststudium zum Insektenforscher und Kleintierzoologen.

8 Alfred Mathieu Giard (1846-1908), französischer Biologe in Lille; Bonniers Bruder Jules (1859-1908) war ein enger Mitarbeiter Giards (Spezialist für Ringelwürmer und Schalentiere), der Stellvertretender Direktor der Meeresstation Wimereux-Ambleteuse war.

9 Giard, „Les facteurs de l’évolution“, Revue Scientifique Sér. 3, A26, tome 18, 1889, 646 (Giard zit. Delbœuf).

10 Gemeint ist das ebenfalls von Giard hrsg. Bulletin scientifique du département du Nord et des pays voisins , das ab Bd. 19 den Titel Bulletin scientifique de la France et de la Belgique führte; vgl. hier Bd. 22, 1890, 131 (der Vf. ist R. Baron [Professeur à l’École vétérinaire d’Alfort], „La loi de Delbœuf“, 123 f.).

Faksimiles: Universitätsbibliothek Graz Abteilung für Sondersammlungen, Creative commons CC BY-NC https://creativecommons.org/licenses/by-nc/4.0/ (Sig. 01220)