Hugo Schuchardt Archiv

22 Rue Servandoni
Paris 29 Nov. 1895.

Très honoré Monsieur,

Dans ma petite brochure Les Roumains de Hongrie, je n’ai point passé sous silence les roumains de Bessarabie. Je les ai mis sur le même rang que ceux de Hongrie (p. 4 de l’édition franç. p. 6 de l’édition roumaine);¹ mais je n’avais pas à en dire davantage, puisque je parlais de la Hongrie.

Je vous donne maintenant quelques renseignements sur les choses d’Alsace.

1^o Nouveaux noms imposés aux localités de la zone de langue française.

Comparez, par exemple, les cartes anciennes aux cartes nouvelles; - prenez les répertoires géographiques publiés par l’administration allemande des Postes en Alsace Lorraine, un, entre autres, publié quelques années après l’annexion, et donnant la synonymie complète. etc. J’ai écrit là-dessus, il y a plus de 20 ans, un article² (polémique, je le reconnais) que j’ai peut-être encore quelque part.– Depuis, cette mesure a été étendue à quelques petites localités (lieux-dits, etc) oubliées alors.

|2| 2^oPrénoms: C’est en 1888 déjà qu’il a été prescrit de n’inscrire à l’Etat-Civil que la forme allemande (sauf pour les localités de langue française exclusives.

Le Temps n^o du 20 Janvier 1888³ (d’après la Kreuz Zeitung⁴)

3^o Noms de Famille germanisés: p.ex. Guerba changé en Gerber, Vagner changé en Wagner etc.

C’est d’après une „Instruction pour les officiers de l’Etat-Civil“ entrée en vigueur le 1^er Janvier 1894.

Si je demandais un exemplaire de cette circulaire, on me le refuserait certainement. Avec vous, c’est autre chose: faites-moi donc le plaisir d’en demander deux exemplaires et de m’en réserver un.

|3| Si vous voulez traiter ces questions d’une façon générale pour l’Allemagne, il vous faudra aussi faire une enquête dans l’Est. En effet, depuis une vingtaine d’années, la langue polonaise est traitée à peu près de la même façon dans les provinces polonaises de la Prusse.

Vous ne direz peut-être que la Russie en fait maintenant autant dans les Provinces Baltiques, qu’elle a transformé Dorpat en Jurjew⁵ etc. Pour moi, je blâme également ces procédés, mais je vous citerai à ce propos ce mot d’un fonctionnaire ou d’un journaliste russe: «nous traiterons la langue allemande (dans les provinces baltiques) comme les Allemands traitent la langue française en Alsace-Lorraine»⁶

Je vous dis cela sans acrimonie, car je sais que vous êtes un libéral et que vous réprouvez comme moi l’oppression lin|4|guistique. Mais vous arguez qu’elle est le plus aigue depuis l’invention du “principe des nationalités” et dans les Etats (Allemagne et Hongrie) qui ont invoqué ces principes dans leur rétablissement.

Je me permets de vous envoyer le Temps d’aujourd’hui qui a une lettre intéressante⁷ sur les affaires universitaires et nationales à Strasbourg, mais croyez bien que ce n’est pas pour vous offenser. Je pense seulement que cela peut vous intéresser et que vos journaux ne racontent peut-être pas cet incident.

Je saisis cette occasion de vous donner des nouvelles (et mauvaises) de notre ami Michael Jones, ⁸ à Bala. Savez-vous qu’il y a deux ans il a été frappé d’une attaque? Il se traine péniblement depuis ce temps, et voici ce que m’écrivait il y a quelques jours un ami commun:

«Dal yn wael wael y mae Mr. Michael D. Jones; y mae yn codi bob dyδ ac yn myned allan ychydig weithiau, ond byδai yn syn genych ei weled, y dyn cydnerth wedi myned yn fychan fychan, ac ychydig wna ymδiδan â neb ond â rhai o’i hên gyfeillion penaf.»⁹¹⁰

Bien à vous

HGaidoz