Émile Trouette an Hugo Schuchardt (06-11850)

von Émile Trouette

an Hugo Schuchardt

Paris

06. 11. 1882

language Französisch

Zitiervorschlag: Émile Trouette an Hugo Schuchardt (06-11850). Paris, 06. 11. 1882. Hrsg. von Martina Pelz (2016). In: Bernhard Hurch (Hrsg.): Hugo Schuchardt Archiv. Online unter https://gams.uni-graz.at/o:hsa.letter.3624, abgerufen am 28. 03. 2024. Handle: hdl.handle.net/11471/518.10.1.3624.


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Paris, le 6 novembre 1882

Monsieur, j’ai reçu votre lettre du 1er de ce mois. J’y réponds dans l’ordre où se trouvent posées les questions pour n’en oublier aucune.

            Vous pourrez trouver des renseignements sur l’ethnographie de la Réunion dans les Notes de L. Maillard, chez Dentu libraire éditeur, Palais Royal, Galerie d’Orléans 13. M. Maillard1, l’un de mes amis, était un parfait honnête homme ; Ses Notes sont avant tout recommandables pour leur sincérité irréprochable. En voici les matières.

 1ère partie, chronologie, topographie, hydrographie, météorologie, géologie, volcan, sources thermales, botanique, ethnographie, immigration et esclavage, agriculture, industrie sucrière, commerce, gouvernement, législation, finances, instruction publique, |2| culte, travaux publics, statistique, biographies, langage, chants, musique, beaux arts, courses.

2ème partie : Oiseaux, coquilles, poissons, insectes, papillons, cartes, etc. C’est un volume grand en 8°, de 600 pages. Si j’en avais un à moi, il vous serait tout de suite expédié !

Dans quelques jours, lorsque j’aurai terminé une correspondance pour la Réunion, je vous copierai un travail intéressant que j’ai sous la main sur l’ethnographie de notre île. - Ce travail est du docteur Herland.2

Pour ce qui est de mon volume, il n’est pas possible qu’il paraisse avant un an, au plus tôt. Je n’ai pas encore tous les renseignements dont j’ai besoin. J’ai quitté la Réunion si précipitamment pour arriver à Paris avant le départ de l’un de mes fils qui se rendait en Cochimchine, que je serai peut-être dans la nécessité de faire un voyage pour avoir ce qui personne ne saurait m’envoyer.

Je n’ai encore rien dit à mon cousin |3| Julien Vinson, par la raison qu’il est allé prendre ses vacances au bout de la France du côté de Bayonne.

Je n’ai passé que deux heures aux îles Seychelles, sans avoir pu m’apercevoir de l’existence d’un créole de ces îles.

Mon petit-fils aura 16 mois dans cinq jours ; il est donc, vous le voyez, à l’extrême limite antérieure de la période bonbonné-vore, come vous l’appelez si bien.

Je ne vois pas quelle nuance M. Duclos veut indiquer par l’orthographe seil au lieu de sel.3 Prononcez li tout sel semi-ouvert comme dans seigneur ; prononcez de’, pe’, die’ en les marquants d’un bel accent aigu, comme dans bonté.4

Entre moi et moua, je ne vois d’autre différence que quelque chose de plus lourd dans moūā, qui devra se trouver plutôt dans la bouche des vieux les plus arriérés. - Les deux sont créoles ; mais bien évidemment |4|moin et moué le sont encore plus profondément.

Oui, moin5 comme régime toujours et comme sujet devant une consonne, mais aussi comme sujet moin y dit.

Oui, moin dit, moué y dit, moú y dit, mi dit, mais moin dit pas, moin dit à vous, c’est à dire quelque chose après moins dit6 et non pas moin dit tout court. Mi dit, plutôt dans la bouche d’un enfant ou d’une femme, jamais dans celle d’un gros cafre.

            Tout à peu près est possible dans le créole, qui n’a d’autre guide qu’un instinct presque toujours peu délicat, je veux dire peu intelligent, peu logique, peu préoccupé de la nécessité de certaines règles ; il est donc possible que quelques-uns disent moué a dit pour un futur ; mais je n’en ai aucun souvenir , c’est au moins bien rare. Moú a dit, m’a dit, (Duclos) pour le futur, oui, très souvent.

            Quand vous dites que moi y appelle |5| y contredit souverainement, vous êtes parfaitement logique ; moi y appelle n’en est pas moins un de ces faits qui s’inquiètent peu de la logique.

            On dit moui attéle même, j’attèle, c’est cela même que je fais ; li qui tèle ça, c’est lui qui est chargé d’atteler cette bête ; talhère moi téler, ce qui peut s’écrire talhère moua téler, 7ou talhère moú altéler, pour dire tout à l’heurej’attellerai ; moi fini téler, j’ai attelé. A cause vou télépas ça milet là, à cause vou y télé pas ça milet là et encore à cause vou atélé pas ça milet la ?

            On dit mouícroce8 ; je ne dis pas qu’aucun n’ait dit : Moui acoroce, moin y acoroce, moin y acouroce.

            Ajouter n’est plus du pur créole ; il veut déjà le français pur.

            Certainement, très certainement : Appéle Jan, appéle à li don M. Duclos dit très bien. Vi zire, voui vé.

C’est parfaitement exact. Au futur |6| il peut écrire comme il veut puisqu’il n’y a pas d’orthographe ; je ne vois pas quel motif il peut avoir.

            Li va canter, zaut’ va canter, oui

Je rebute le li l’appelle de M. Héry ; oui ; mais comment l’ai-je fait ? Si j’ai été absolu, j’ai peut-être eu tort ; car tout est possible en créole. Il est donc plus facile de dire ce qui est que ce qui n’est pas.

M. Duclos a raison dire. Vi aime

            Oui, l’ ne s’emploie que devant a et e’, mes souvenirs ne me disent pas autre chose dans le moment du moins. – Une bonne fortune. Je causais hier avec un de mes amis de ma correspondance avec vous, Monsieur, au sujet du patois créole ; il m’enverra aujourd’hui ou demain deux morceaux dont il connaît l’existence dans un recueil qui date d’une trentaine d’années. Aussitôt que je l’aurais, je m’empresserais de vous le copier, s’il présente quelque |7| intérêt.

            4. Moin fini mandgie et moin la mandgie me paraissent être deux formes du même passé indéfini. J’ai mangé, la première affirmant le fait avec plus d’insistance. Disons mieux : il y a là deux passés indéfinis, l’un de finir, l’autre de manger.

            5. Il y a là ce me semble une idée très heureuse.

            6. Il me semble avoir déjà dit que aura et s’ra sont des gallicismes.

            7. Moin-là zenfant misère. Liez inténsement là à moin, comme dans celui-, ci dans celui-ci, avec la même valeur, sans y rien voir du verbe.

8. Èue vont la caze nana zaricot ?Ma point asthère. Mana affirmatif, pour il y a ; na négatif avec pas ou point. Nana qu’nana, nana qu’na point. Il y en a qui en ont, il y en a qui n’en ont point. Mais on dit à l’imparfait : Navait ain vie’|8|bounhomme il y avait un vieux bonhomme ; n’aura miçan temps dimains. Il y aura du mauvais temps demain. Nous la gaigne malhèr ou bien nous na gaigne malhèr nous avons eu du malheur.

9. Quelle est la place de la négation ? Toutes les formes citées sont exactes. A l’impératif Ma pas boudjié très bien, mais boudjié pas plus souvent.

L’accent sur l’é a l’impératif, sur ou au présent de l’indicatif.

J’attends avec impatience les deux morceaux qui m’ont été promis. Je vous prie de croire, Monsieur, j’aurai du plaisir à vous les envoyer, comme j’en ai à vous suivre dans les détails de votre curiosité sur un patois que notre ministre de l’agriculture et moi nous vous surprenons à parler quand nous nous rencontrons ; mon plus complet dévouement vous est acquis.

E L Trouette

|9| 1. M. Duclos veut qu’on écrive9

            seil   au lieu de sel (seul)                    in au lieu de ein (un)

            deix -   -    -     (deux)

            pei  -  -   -       (pese)

            Diei  -  -   -     Dié  (Dieu) etc.

Ei (en seigneur, bey etc.) a le son de l’e demi-ouvert, tandis que é indique la prononciation fermée. Mais l’e de sel est aussi demi-ouvert ; il ne s’agirait donc ici que de marquer la différence de la quantité : sēlsĕl - Quelle nuance de la prononciation pourrait être exprimée par in au lieu de ein ? Est-ce que vin et frein, tin et teint n’ont pas tout-à-fait le même son nasal ?

2. Vous avez certainement raison de supposer une confusion entre les influences malgaches et mozambiques. Pour étudier ce point-là il faudrait bien connaître l’histoire de la colonie. J’acceptais pour l’île Bourbon ce que M. Baissac dit de l’île Mauritius : « Dès la première heure de l’occupation française les esclaves noirs y furent introduits de Madagascar et le patois créole commença. » Par le bourbonnais pur j’entendais le bourbonnais malgache qui plus tard s’est modifié dans la bouche des esclaves mozambiques, de sorte qu’à côté d’un madegasso-créole nous aurions un créole madegasso-mozambique. Je n’admettais donc pas un créole mozambique pur.

3. Je dois vous avouer que moú et moua (est-ce que ce n’est pas presque la même chose ?) me semblent être des gallicismes. La prononciation moué vulgaire aujourd’hui, était encore celle des honnêtes gens du XVIIème siècle. Comme les nègres aiment à nasaliser une voyelle précédée d’un m ou n, ils firent de moué : moin. Moin et moué s’employeraient ; selon moi, dans des cas différents ; moin comme régime |10| toujours, et comme sujet avant une consonne, moué comme sujet avant une voyelle, aimant alors à perdre l’ é et même l’óu. Aussi nous aurions (les formes votées d’un astérisque sont des formes que je suppose ; est-ce qu’elles existent ?) :

Prés.                moindit | moué y dit | *moú y dit  | m’i dit (Duclos).

*(nom se trouve dans le Ch. Botté)

Passé.              moin l’a dit

Fut.                  *moué a dit|                mou’ a dit |                  m’a dit (Duclos).

(Duclos me fait :         (on écrit moi dit)

moin s’embrasse)       

Quant à la forme créole pour appeler je croirais, d’après l’analogie, que ce fût peler ; mais moi y appelle-y contredit souverainement. Je m’explique donc : Moin l’appelle = moin l’a ͡ appelle, moipelle = moú a ͡ appelle. Comment dit on en créole pour j’attèle, j’accroche, j’ajoute- etc. (moi je tèle on moi y attèle) ? Et comment pour : Appelez Jean ! (ou choisissez d’autres cas où appeler n’est pas précédés d’une voyelle) ?

            M. Duclos fait la même contraction de vou avec l’y : vi zire = vou y zire (cependant il a aussi voui vé) : au futur il écrit toujours noua, voua. –Après li et zaut’ c’est toujours la forme va qui s’emploie (p.ex. li va çanter) ?

            Venant aux rôles  de l’y et l’lje dois abandonner mon idée que le dernier se trouve toujours avant une voyelle ; vous rebutez le lil’appelle etc. de M. Hery. M. Duclos écrit v’i aime etc. L’ ne s’emploiera donc qu’avant a (habet) et è ( est) : vou l’a dit, vou l’é content.

4. vous dites, que moin fini mandjié est le passé indéfini ; mais comment diffère-t-il alors de moin l’a mandjïé. |11|

5. Je me trouve maintenant orienté sur l’accentuation des formes du créole des Cafres- ; cependant je crois qu’on devrait marquer l’intonation prosodique dans un parler où l’e muet est substitué par de vraies voyelles. Comme les accents ne peuvent pas remplir deux fonctions en même temps, on aurait à se servir de quelque moyen étranger à un système orthographique du français, p.ex. mandjie’ (mange), mandjié mangé)

6. Les futurs aura, s’ra ne sont pas des gallicismes ?

7. Qu’est-ce que veut dire dans ces phrases ?

            moinlà zenfant misère

            lamour là un petit boug malin

Ne serait-il pas mieux de dire l’è ?

8. Est-ce qu’on dit na au lieu de nassa (il y a) ? N’avait, n’aura (il y a) ?

9. Quelle est la place de la négation ?

            Gr. Ch. botté :

            Zanto dé na pasquérévé

            çatta na pasécouté.

            na pasboudjié (Impératif).

            Leroi napasdits Arien

mais :   mou y dit à li rentiripas

            çatta là malin bougan boudjié * pas

si zanto y ditpas au roi

li ditpas rien

*l’accent sur l’ou ou sur l’é ?


1 Maillard, Louis (1862): Notes sur l‘île de la Réunion (Bourbon) , Paris, Dentu.

2 Herlands Informationen über die Bevölkerungsstruktur der Insel La Réunion können in Brief 11851/1 nachgelesen werden.

3 Hier beginnt Trouette, auf die Fragen Schuchardts zum Lied Li coer n’a pas magazin zu beantworten. Schuchardts Fragen finden sich im Anschluss an diesen Brief ab Seite 9.

4 Hier antwortet Trouette auf Schuchardts 1. Frage in Bezug auf die Aussprache der Vokale. Duclos schlägt eine Änderung der Orthographie vor. Die Aussprache scheint Schuchardt jedoch nicht ganz klar gewesen zu sein. 

5 Die folgenden Absätze beziehen sich auf Schuchardts 3. Frage.

6 plutôt que ist an dieser Stelle durchgestrichen.

7 An dieser Stelle wurde ou talhere moua téler durchgestrichen.

8 Das h in croche wurde hier durchgestrichen.

9 Die folgenden Fragen stammen von Schuchardt. Er bezieht sich hierbei auf die Kommentare Duclos zum Lied Li coer n’a pas magazin. Schuchardt versuchte offenbar, das Mauritiuskreol (vgl. Baissac) und das Réunionkreol (vgl. Duclos) miteinander zu vergleichen und holt sich hier eine zusätzliche Meinung eines kreolischen Muttersprachlers aus La Réunion ein.

Faksimiles: Universitätsbibliothek Graz Abteilung für Sondersammlungen, Creative commons CC BY-NC https://creativecommons.org/licenses/by-nc/4.0/ (Sig. 11850)