Auguste Vinson an Hugo Schuchardt (02-12440)

von Auguste Vinson

an Hugo Schuchardt

Saint-Denis/La Réunion

12. 07. 1882

language Französisch

Schlagwörter: Sprachvergleich Orthographie Wissenschaftstheoretische Reflexionlanguage Französischbasierte Kreolsprache (Réunion)language Französischbasierte Kreolsprache (Mauritius) Héry, Louis Emile Cazamian, Firmin Réunion Mauritius Madagaskar Héry, Louis Émile (1849)

Zitiervorschlag: Auguste Vinson an Hugo Schuchardt (02-12440). Saint-Denis/La Réunion, 12. 07. 1882. Hrsg. von Martina Pelz und Silvio Moreira de Sousa (2015). In: Bernhard Hurch (Hrsg.): Hugo Schuchardt Archiv. Online unter https://gams.uni-graz.at/o:hsa.letter.2170, abgerufen am 10. 10. 2024. Handle: hdl.handle.net/11471/518.10.1.2170.


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St. Denis (de la Réunion) le 12 Juillet 1882.
A M. le D.r Hugo Schuchardt à Graz (Autriche)

Monseiur,

Vous m’avez fait l’honneur de m’écrire : il est convenable que je réponde à votre peine.

Permettez-moi franchement, cher monsieur, de m’étonner qu’en Autriche, et peut être en Hongrie, illustre refuge de votre Marie-Thérèse (que j’aime tant) et qui, en perdant la Silésie sauva toutefois le trône impérial de Vienne, devant Frédéric II, ce coquin, insolent et menteur, digne ami de notre Voltaire, permettez-moi, dis-je, de m’étonner qu’en si lointain pays, il soit question de notre patois créole et de moi-même, lorsque je n’ai qu’une fable en créole ! Ce hasard ne peut appartenir qu’à un ami… des dieux ou des autrichiens.

Je regrette de donner au langage créole le nom de patois, qui n’exprime qu’une façon grossière et rude de langage. La langue créole, (celle de l’île Bourbon), - comparée au patois de l’île Maurice et des Antilles , - est la plus douce, la plus enchanteresse, la plus musicale de toutes ces langues hybrides, et celle qui peint le mieux la nature. Le créole, - comme nous appelons ce patois, - est né de la langue des |2| naturels de la grande île de Madagascar. En se réfugiant à l’île de Bourbon au 17e siècle, après le massacre du fort Dauphin, les français, sauvés par des femmes du pays, les menèrent avec eux. Français et Malgaches se marièrent, comme la langue, un peu en dehors des lois. Mais, certaines alliances, poussées par la nature, donnent des résultats exquis ; et le patois qui prit naissance, à l’île de Bourbon, du français et du malgache eût cette saveur d’un fruit naturel.

Quoi ! Le plus joli que cet aveu créole d’une atteinte à la virginité :

« - ça que vou - y - connaît bien, ma ser’, zozo l’a becqué. » -

Traduction presque inutile :

« - ce que vous connaissez bien, ma sœur, un oiseau l’a déjà becqueté. » -

Pour exprimer et nommer une espèce de morille (champignons) qui pul[l]ule à foison sur un même terrain limité, où elles se pressent, se gênent, s’embarassent [sic] en se poussant, ou l’appelle en idiome créole : - « Siquisez- ma ser’ » - Ce qui de la bouche de l’une à l’autre veut dire à sa compagne : -« Excusez-moi, ma sœur, » si je demande comme vous ma place au soleil. - Dans cette langue si affectueuse : « ma cher’ ou ma ser’ » sonne à l’oreille avec une confusion charmante pour « ma chère ou ma sœur. » |3|

Dans une légende, quand la truie en vue du «  méchant temps » va proposer à la caille de se bâtir un gîte en commun, la caille lui répond ce dicton de refus devenu presque proverbial :

« P’tit pié fataq’ l’assez pour moi. »

« -Je n’ai pas besoin d’un grand gîte un seul pied d’herbe suffit à me couvrir »-

Naturellement j’en passe et des meilleures parmi ces citations pour lesquelles il faudrait écrire un dictionnaire.

Depuis sa colonisation le créole se parle à l’île Bourbon et peut-être même est-il né avant-elle sur les plages de Madagascar lors de l’occupation de cette île par les Français. On parlait donc, mais on n’écrivait pas le créole. Le premier qui ait eu l’idée de le mettre en vers et en prose est assurement M.r Louis Emile Héry,1 breton de l’armorique, né à Redon, homme d’esprit, de foi et de lumières et sous lequel j’ai commencé en 1830, à l’age de 9 ans, l’étude du français, du grec et du latin. Mon père, né à Rochefort (Charente) et chirurgien de la marine militaire, avait pour cet homme plein d’honnêteté, une estime profonde dont le souvenir respectueux m’est resté. Il me répétait souvent ces mots de Philippe : il a fait plus que moi que ne t’ai donné que le jour, il t’a donné l’instruction.

M. L. E. Héry a du premier coup atteint l’apogée de ce langage indigène par le bonheur et le succès de ses essais. « Les aventures de Phaëton », « la chûte d’Icare, racontées par lui en vers créoles sont des petits chef-d’œuvres d’invention et de forme. Il a pris quelques fables de J. Lafontaine  : « Le Meunier, son fils et l’âne, La tortue et les 2 canards, - Le loup et la Cigogne ; Le rat de ville et le rat des champs etc. etc. et l’imitateur chaque fois a dépassé l’original. Le récit en prose d’un jugement de M. Dupar est une narration naïve |4| et charmante d’une affaire judiciaire d’homicide involontaire où est peinte la simplicité créole.

Les œuvres de M. Héry, sous le nom d’Esquisses africaines ne se trouvent plus à l’île de la Réunion que par hasard, toute l’édition première, tirée à petit nombre d’exemplaires et non mise en vente, a été épuisée. Un succès incontesté et très mérité a salué cette publication. Cet encouragement nous a valu de nouvelles esquisses du même auteur… Puis l’auteur nous a été ravi par une affection des voies aériennes.

M. Cazamian,2 professeur au Lycée de l’île de la Réunion a donné une appréciation des écrits de M. L. E. Héry et un article dans le moniteur de 1881 sur quelques locutions du patois créole et mauricien (qui en diffère) : à mon avis le patois de l’île Bourbon est naïfettendre ; celui de l’île Maurice est prétentieux et froid. Ce dernier m’irrite les nerfs et cependant j’aime beaucoup les Mauriciens ; et leur appréciation pour moi si bienveillante mérite de ma part cette reconnaissance. Quant au patois des Antilles, où l’on a retranché tous les r, c’est incroyable. On dirait une imitation plus burlesque encore des incroyables de notre directoire sous Bonaparte, encore naissant dans sons auréole. M. Cazamian a publié dans l’album de M. A. Roussin ( album de l’île de la Réunion ) une biographie de M. L. E. Héry, dans laquelle on pourrait puiser de bons renseignements. - Je vous conseille aussi de consulter les notes de M. L. Maillard3 sur l’île de la Réunion. M. L. E. Héry est monté si haut dans son premier essai de l’idiome créole qu’il a je crois découragé les imitateurs. Puis ici on fait défense aux enfants blancs de parler comme les noirs, par ce qu’ils tendent par là à négliger le vrai français. Le créole les acoquine, c’est à dire les entraine, les séduit, les endoctrine. |5| Cette sorte de séduction inconsciente n’a rien que de très légitime. Le charme du patois créole ne doit point surprendre, quand on songe à son origine et qu’on voit qu’il est issu de la langue nationale de France la plus correcte et la plus saine du monde et de la langue malgache, la plus suave et la plus douce qui existe. Ce mélange agréable a fait le patois de notre petite île en lui imprimant un cachet spéciale, un attrait rare et irrésistible. Aussi dans leurs entretiens intimes nos dames les plus distinguées ne daignent point de s’en servir.

Disons un mot de la langue malgache dont nos missionnaires ont fait un dictionnaire et qu’ainsi que nos traitants, ils parlent et apprennent avec une étrange facilité.

Connaissez-vous quelque chose de plus mélodieux que le nom même de la Province et de la capitale de Madagascar ? Imérina (prononcez Emirne), et Tananarivou (dites : Tananarive) la ville des mille villages ? - Mouramanga (prononcez mauramangue[)] (doux bleu), est le nom d’un village malgache qui se profile d’un bleu tendre à l’horizon, au sommet des montagnes de l’Ankove aux limites d’une prairie de 17 kilomètres. Ankaratra est le nom d’un Sinaï chaque jour en  été foudroyé par l’orage. Ce nom imite un coup de tonnerre. Ranon-mami veut dire Eau-douce. Tant est sur ce ton, et chaque mot est une peinture. |6| Pour de plus amples renseignements sur la langue, les mœurs et le pays de Madagascar, Lisez mon voyage à Madagascar 1863 . Rue Hautefeuille. Paris chez le libraire Rozet.

Je comprends l’embarras des libraires de l’île de la Réunion quand vous leur demandez les écrits de M. L. E. Héry. Ils ne les ont jamais eu en vente. Le fils survivant de M. Héry veut les faire rester  à Paris. Je vous envoie ce que j’en ai pu trouver d’incomplet dans mes vieux papiers. Puis une fable de moi, la seule publiée jusqu’ici. J’en ai d’inédites. Je n’écris le créole que comme un exercice intime et ne publie rien dans cette langue. Pour moi, le parler et composer des vers en creole [sic] ne sont rien, mais j’éprouve une serieuse [sic] difficulté à l’écrire, parce que l’orthographe, - objet de convention dans toutes les langues, - n’est pas à mon avis bien établi pour ce patois ; le genre n’existe pas, et mille imperfections semblables, ce qui doit nécessairement exister pour une langue qui n’a pas encore de grammaire qui en règle les conditions ou si vous l’aimez mieux les conventions. Enfin je crois être ici le seul qui ai suivi M. Héry et je dois dire come Virgile non passibus aequis.

Néanmoins, cher Monsieur, je ferais des recherches et me mets dès ici à votre entiere [sic] disposition pour vous être tout à la fois utile et agréable.

Croyez-moi bien, Monsieur, votre bien devoué et empressé |7| serviteur
Auguste Vinson
D. M. T.

P.S. Si vous avez quelques moments à perdre veuillez m’envoyer quelques timbres (autrichiens[)] poste déja [sic] servis. J’en fais collection pour me conformer à la mode qui finit par passionner.


1 Héry, Louis (1808-1856), französischer Fabeldichter aus La Réunion und Lehrer an das Lycée Imperial , der seine Geschichten in der Kreolsprache La Réunions verfasste. Héry korrespondierte auch mit Hugo Schuchardt [Korrespondenzpartnernummer : 807].

2 Cazamian, Firmin, Lehrer am Lycée Imperial .

3 Gemeint ist Maillard (1862) .

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