Gaston Paris an Hugo Schuchardt (137-08628)

von Gaston Paris

an Hugo Schuchardt

Paris

13. 11. 1897

language Französisch

Schlagwörter: Dreyfus-Affäre Journal des débats Revue de Paris Bibliothèque de l'Arsenal Monod, Gabriel Paris, Marguerite Österreich Italien Umbrien Bähler, Ursula (1999) Oriol, Philippe (2014) Schuchardt, Hugo (1898) Paris, Gaston (1897)

Zitiervorschlag: Gaston Paris an Hugo Schuchardt (137-08628). Paris, 13. 11. 1897. Hrsg. von Ursula Bähler, Bernhard Hurch und Nicolas Morel (2023). In: Bernhard Hurch (Hrsg.): Hugo Schuchardt Archiv. Online unter https://gams.uni-graz.at/o:hsa.letter.11871, abgerufen am 18. 07. 2025. Handle: hdl.handle.net/11471/518.10.1.11871.


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Collège de France, 13 nov. 97

Mon bien cher ami,

Votre lettre, à laquelle j’aurais voulu répondre tout de suite, – mais j’ai grand peine à trouver des minutes libres, – m’a vivement touché. Vous me faites honneur en m’encourageant à prendre en main une cause généreuse, et cette affaire, depuis l’origine, m’a vivement préoccupé. Mais s’il est beau d’être paladin, il est fâcheux d’être Don Quichotte et de délivrer des forçats justement enchaînés1. Le mystère de ce procès ne s’est pas éclairci pour moi, et je n’ai aucune lumière personnelle à y apporter. Mon ami G. Monod, comme vous l’aurez sans doute vu, a |2| eu plus de décision que moi et a publiquement exprimé sa conviction2. Depuis quelques jours, d’ailleurs l’affaire semble prendre une tournure beaucoup moins favorable au condamné3. C’est un poids qui pèse lourdement sur nos consciences, et je souhaite avec ardeur que la vérité, quelle qu’elle soit, arrive à se faire jour avec évidence4.

Vous avez aussi de bien grosses préoccupations avec cette question des races – ou des langues – qui se pose si violemment en Autriche5. Que sortira-t-il de là? Peut-être de terribles conséquences pour d’autres encore que pour vous.

Je suis désolé d’apprendre que vous êtes toujours peu satisfait de votre santé. Où passerez-vous l’hiver, puisque vous êtes en congé? Sans doute en Italie6. Je vous envierais en ce cas. J’ai fait au mois de juin un petit voyage |3| en Ombrie qui m’a ravi, bien que le but principal, – une visite à la Sibylle de Norcia, – en ait été manqué. Vous pouvez bien lire cela un de ces jours dans la Revue de Paris7.

J’attends de pied ferme l’attaque que vous m’annoncez, prêt à rendre les armes ou à combattre suivant les cas. Pour moi, je n’arrive plus à rien faire, et pourtant il me semble que j’ai encore quelques bonnes idées que je voudrais exprimer.

Griette (du norm. Marguerie – Margueriette – Magriette) va bien, et nous parlons quelques-fois de l’ami Schuchardt et du saint Nicolas (vous savez que le diable a crevé comme il était juste). Tous les matins elle vient me dire bonjour avec une longue phrase allemande, et toute la journée elle chante les |4| chansons allemandes que lui apprend sa bonne, et qui me rappellent ma vie allemande d’autrefois.

La Bibl. de l’Arsenal ne prête pas ses livres même à Paris; je ne crois pas qu’elle consente à les envoyer à l’étranger. Cependant si vous faisiez une demande, je l’appuierais autant que possible.

Bien affectueusement à vous
GParis


1 «Forçats justement enchaînés»: ces mots de G. Paris en réponse à la demande de Schuchardt de prendre publiquement la défense de Dreyfus, feront longtemps l’objet d’une discussion entre les deux correspondants. Schuchardt les reprochera à G. Paris, qui ne se souviendra plus de les avoir utilisés sous cette forme. Ce n’est qu’au début de l’année 1900 qu’ils régleront amicalement le différend (voir notamment l. du [11 septembre 1899] (HS 151-24457), du 23 octobre 1899 (GP 154-08636) et du 3 janvier 1900 (HS 155-24457)).

2 Gabriel Monod (1844-1912) est le premier universitaire à s’afficher en tant que dreyfusard, lorsqu’il affirme avec force son opinion favorable à une révision du procès de Dreyfus, notamment dans une lettre publiée le 6 novembre dans les journaux Le Temps et Journal des Débats. Monod a été incité à exposer son opinion par voie de presse par une provocation d’Alphonse Humbert publiée dans L’Éclair le 1er novembre 1897 (Bähler 1999, 31 et 41).

3 Au mois de novembre 1897, la culpabilité de Ferdinand Esterhazy (1847-1923), véritable auteur du bordereau attribué à Dreyfus, est révélée par Matthieu Dreyfus, frère de l’accusé. Esterhazy se défend avec force, parlant même, dans une lettre au Ministre de la Guerre datée du 3 novembre 1897, d’une «abominable machination de Dreyfus pour se procurer [s]on écriture». Il insiste sur la «canaillerie de Dreyfus» dans une nouvelle lettre envoyée au Président de la République Félix Faure le 5 novembre. Ironie du sort, ce sont ces lettres qui fourniront à la défense de Dreyfus les spécimens prouvant la culpabilité d’Esterhazy ( Oriol 2014, 408‑19).

4 Le même jour, G. Paris écrit à Monod: «Cette affaire ne semble pas pour le moment prendre une tournure favorable à votre conviction, à l’idée que j’étais moi-même, quoique avec beaucoup d’hésitations, disposé à m’en faire. Il reste là un mystère, un problème angoissant, dont il est impossible de se désintéresser puisque tout Français se sent pour sa part responsable de ce qui s’est fait et se fera. Espérons que la vérité quelle qu’elle soit, se fera jour d’une manière irréfragable», cité dans (Bähler 1999, 32).

5 G. Paris évoque ici des tensions politiques entre les différentes nationalités réunies dans l’Empire austro-hongrois, tensions mises au jour dans le «décret des langues» du ministre-président Badeni (Verordnung der Minister des Innern, der Justiz, der Finanzen, des Handels und des Ackerbaues vom 5. April 1897 betreffend die sprachliche Qualifikation der bei den Behörden in Böhmen angestellten Beamten). Ce décret, qui institue le tchèque comme langue officielle dans les Provinces de Bohèmes et de Moravie, aux côtés de l’allemand, est à la base des conflits entre nationalistes tchèques et impérialistes autrichiens. Schuchardt écrit à ce propos: «[…] c’est ainsi que les ordonnances du comte Badeni sur l’emploi des langues sont venues me déranger dans mes travaux. Vous comprendrez que, si je n’ai pas renoncé à l’espoir de voir un jour la paix s’établir entre nos peuples, je ne trouve cependant plus grand plaisir à poursuivre les études en question» (Schuchardt 1898b).

6 Il n’y a pas de trace d'un voyage effectué par Schuchardt durant son congé.

7 Article intitulé «Le paradis de la Reine Sybille» paraîtra un mois plus tard, le 15 décembre (G. Paris 1897).

Faksimiles: Universitätsbibliothek Graz Abteilung für Sondersammlungen, Creative commons CC BY-NC https://creativecommons.org/licenses/by-nc/4.0/ (Sig. 08628)