Hugo Schuchardt an Gaston Paris (88-24457)
von Hugo Schuchardt
an Gaston Paris
10. 11. 1889
Französisch
Schlagwörter: Diezstiftung Revue des Patois Gallo-Romans Stengel, Edmund Tobler, Adolf Mussafia, Adolf Böhmer, Eduard Poquelin, Jean-Baptiste (Molière) Dietrich, Adolphe Saint-Denis/La Réunion Gröber, Gustav (Hrsg.) (1888) Paris, Gaston (Hrsg.) (1889) Chabaneau, Camille (1870) Tobler, Adolf (1886–1912) Dietrich, Adolphe (1891)
Zitiervorschlag: Hugo Schuchardt an Gaston Paris (88-24457). Graz, 10. 11. 1889. Hrsg. von Ursula Bähler, Bernhard Hurch und Nicolas Morel (2023). In: Bernhard Hurch (Hrsg.): Hugo Schuchardt Archiv. Online unter https://gams.uni-graz.at/o:hsa.letter.11795, abgerufen am 09. 12. 2024. Handle: hdl.handle.net/11471/518.10.1.11795.
Graz 10 nov. 89
Cher ami
Voilà ce qui nous faut! de petits livres faits par de grands hommes!*) Des baleines telles que le Grundriss1 semblent effaroucher les jeunes yeux qui se veulent embarquer dans la romanistique. Merci donc de votre charmant Orlandino2!
Vous parlez un peu dédaigneusement de votre ancien français. Vous autres anciens francaisistes, vous formez une hiérarchie bien établie, une véritable échelle de Jacob; avec quel désir ardent ceux d’en bas, «les bons élèves de Stengel» regardent-ils en haut, vers les Paris, les Tobler, les Mussafia! Cela me donne presque des regrets de ne m’être jamais enfoncé dans l’ancien français (en conséquence d’un défi qu’on m’avait fait de devenir professeur sans |2| une publication en ancien français); je me trouverais parmi les médiocrités, mais j’aurais toujours quelqu’un au dessous de moi. Au lieu de cela je travaille comme Robinson Crusoe dans quelque île fabuleuse, et je finirais par dire des bêtises ou d’inventer quelque idiome fantastique pour éveiller la critique des connaisseurs si je n’avais pas acquis la persuasion qu’on ne travaille que pour soi-même, que la science n’est que le sport le plus noble. Chacun fait ce qu’il peut – mais surtout ce qu’il veut; ici il n’y a pas d’impératif catégorique comme dans le domaine de la morale. Aussi, quand je souffrais l’hiver passé d’une aversion maladive contre la science ou du moins contre la philologie et la linguistique |3| je cherchais en vain quelqu’un qui m’eût consolé et encouragé.
Si j’avais su que M. Tobler était chez vous, je vous aurais prié de me réconcilier avec lui3. Je suis très enclin à la polémique, mais mal disposé à la rancune; j’aime le feu, mais non pas la fumée. M. Boehmer m’avait mis une fois dans un rapport très mystérieux mais à coup sûr nullement flatteur avec le Tartuffe de Molière; néanmoins je me suis rapproché de lui en lui envoyant quelques brochures qui manquaient à sa bibliothèque rétoromane4. Je ferais des avances aussi à M. Tobler; c’est depuis longtemps que j’y pense, mais comme je me le représente, peut-être à tort, ni très impulsif ni très impulsible et pas du tout homme du monde, je ne sais pas trop comment m’y |4| prendre. Ce n’est pas que je veuille me recroire; je ne pense pas avoir eu tort dans l’affaire de la fondation Diez, seulement j’ai été, dans ma correspondance avec vous, un peu plus véhément qu’il ne fallait. Je suis le premier à rendre justice aux hauts mérites de M. Tobler; c’est avec raison qu’on l’a qualifié d’impeccable romaniste5; la seule chose peut être qui lui manque c’est l’entrain. Ce ne sont que ses études syntactiques remplies de tant d’observations fines6 qui – en dehors de ce qui est du métier – ont de l’attrait pour moi. Je vous dis tout cela pour une autre occasion!
Je voudrais vous entretenir d’une autre affaire encore. Un de mes élèves, M. Dietrich7, vient |5| de terminer un travail sur le créole de la Réunion; il le présentera comme thèse de doctorat mais il voudrait le faire imprimer d’abord et si cela était possible, dans une de vos revues pour animer les braves créoles – par l’esprit de contradiction – à s’occuper eux-mêmes de leur idiome. Comme ce travail sera soumis officiellement à mon jugement, je ne peux pas m’en occuper auparavant et, par conséquent, ne pas m’en porter garant. Je crois pourtant qu’il n’est pas trop mal fait; du reste le directeur de la revue verra. Mais quelle revue nous conseillerez-vous? Probablement le français de M. D. aura besoin d’être retouché un peu. (Le travail aura 30 à 40 pages dans le format de la R. des patois gallo-romans)8
Totus vester
H. Schuchardt.
* Je n’avais pas vu la première édition.
1 Le Grundriss der romanischen Philologie édité par Gustav Gröber (1888).
2 En septembre 1889 paraît en effet la 2e édition (la première est de 1887) des Extraits de la chanson de Roland, et de la vie de saint Louis par Jean de Joinville, édités par G. Paris (1889a).
3 Après les échanges houleux autour de la fondation de la Diezstiftung en 1877, Tobler et Schuchardt ne se sont plus écrit. Le 28 avril 1890, Tobler envoie à Schuchardt une lettre de réconciliation (HSA 08-11713) en réponse à une missive perdue de Schuchardt qui avait apparemment fait allusion à d’éventuels bons offices de G. Paris.
4 Voir l. du 3 août 1875 (GP 26-08569). C’est en mars 1884 qu’a lieu la réconciliation entre Eduard Böhmer et Schuchardt, si on en croit une lettre du premier au second (HSA 01-01187).
5 Qualificatif donné à Tobler par Chabaneau (1889).
6 Schuchardt fait notamment référence aux Vermischte Beiträge zur Grammatik des Französischen (Tobler 1886).
7 On sait peu de choses sur Adolphe Dietrich, hormis qu’il a suivi l’enseignement de Schuchardt à Graz (un dossier à son nom figure dans les archives de l’université de Graz). L’article «Les parlers créoles des Mascareignes» (Dietrich 1891), correspond à sa thèse, évaluée par Schuchardt et G. Meyer.
8 L’article de Dietrich ne sera pas publié dans La Revue des patois gallo-romans, fondée en 1887 par Jules Gilléron (1854-1926), mais dans la Romania 20/78 (Dietrich 1891).
Faksimiles: gallica.bnf.fr/Bibliothèque nationale de France (Sig. BnF, NAF 24457, fol. 38-40)