Hugo Schuchardt an Gaston Paris (77-24457)
von Hugo Schuchardt
an Gaston Paris
14. 04. 1887
Französisch
Schlagwörter: Revue des Langues Romanes Delaroche-Vernet, Philippe Meyer, Gustav Lieutaud, Viktor Chabaneau, Camille Paris, Marie La Londe-les-Maures Graz Nizza Salies-de-Béarn Baskenland Paris Marseille Tarascon Montpellier
Zitiervorschlag: Hugo Schuchardt an Gaston Paris (77-24457). Hyères, 14. 04. 1887. Hrsg. von Ursula Bähler, Bernhard Hurch und Nicolas Morel (2023). In: Bernhard Hurch (Hrsg.): Hugo Schuchardt Archiv. Online unter https://gams.uni-graz.at/o:hsa.letter.11784, abgerufen am 20. 09. 2024. Handle: hdl.handle.net/11471/518.10.1.11784.
Hyères 14 avril 1887
Mon cher ami,
Je reçois votre lettre ou plutôt vos lettres; merci mille fois! Je suis bien aise d’entendre que notre petit blessé (passez moi l’n, car je ne suis pas bien sûr que ce ne soit pas mon malum astrum qui ait causé tout cela), je dis donc que le temps d’épreuve de notre blessé sera court en comparaison avec celui de mon chagrin de ne pas vous avoir rencontré. Il était impossible qu’une lettre de vous me pût empêcher de voir les six cyprès de La Cheylane, |2| si je m’avais fait suivre mes lettres de Graz, la vôtre serait été arrivée assez tard à Graz pour me la faire suivre non plus à Nice mais à la Cheylane; donc, l’effet aurait été le même. Je ne pouvais prévoir que je tomberais malade à Nice. Ne veuillez donc pas mettre en jeu mon vagabondage anonyme. Est-ce que c’est du vagabondage si le fer va tout droit à l’aimant? Est-ce-que c’est de l’anonymité si je fais dissoudre mon nom dans l’éclat du vôtre? Du reste, je suis bien content d’avoir fait ce voyage à La Cheylane; est-ce que l’attente joyeuse n’est peut-être pas la meilleure partie de notre vie? Il faisait un temps splendide et j’étais très sentimental. |3| Il est vrai, il y eut après le coup de foudre; mais je le supportai courageusement. J’avais l’idée de m’installer à La Londe; car j’étais las des hôtels et des Anglais. On aurait pu me donner une chambre mais pas à manger pendant la fête de Pâques, et comme je ne suis pas membre de la société des Merlatti, Succi, etc. 1; je renonçai à mon projet. Ici j’ai trouvé un hôtel non-anglisé; mais je passe mon temps sans faire rien qui vaille. Je me suis mis à la recherche de personnes qui puissent me donner un peu de renseignements sur la nuance locale du provençal, |4| mais sans effet; pourquoi n’ai-je pas pour des moments les qualités d’un commis voyageur juif. En allant comme cela d’un hôtel à l’autre, je ne ferai que la répétition de mon guide, je ne connaîtrai rien de particulier. Il faudrait par exemple un peu de voc. champêtres pour bien comprendre Mirèio2; mais je vois bien que c’est très difficile. Le mieux que je puisse faire, me paraît donc de forcer ma marche vers le Béarn et le pays basque, mon vrai but, et de m’installer solidement là dans quelque petit endroit.
Je suis jaloux de mon ami M. G. Meyer qui a eu le plaisir de vous voir; pour le reste je ne lui porte |5| pas grande envie, moi, je désire multum, non multa. Il aime les arts beaucoup plus que la nature, ne se dégoûte pas facilement des choses artificielles, est partisan de l’opportunisme; il est très-bien à Paris. Moi je ne soupire qu’après un séjour tranquille, idyllique, où je puisse étudier des choses curieuses, des mœurs, des caractères, des dialectes. Mais non, le destin me doit un dédommagement plus grand; est-ce que pour un Paris parisien une Vénus arlésienne 3 serait trop? Il y en a une douzaine dans la littérature, de sorte qu’il y en doit avoir en réalité au moins trois.
|6|Je crois que j’ai été en correspondance avec M. Lieutaud (sur l’affaire de la lingua franca, si elle existe à Marseille)4. Quant à ces Messieurs de Montpellier, je suis naturellement loin de supposer qu’ils aient des sentiments malveillants à l’égard de quelqu’un qui, peut-être, est le plus ancien abonné de leur Revue5 en Allemagne, mais comme plus tard j’avais écrit à M. Chabaneau en particulier (en lui demandant la permission de me faire adresser des lettres aux soins de la Société) vous comprenez que ce silence m’étonne un peu.
Si vous voulez m’écrire encore ce doit être pour les jours prochains à Tarascon, plus tard à Montpellier poste restante. Mes respects à Madame.
Bien à vous
HS.
1 Stefano Merlatti (1865- ?) et Giovanni Succi (1850-1918), deux célèbres «artistes de la faim». Les compétitions de jeûne faisaient partie des divertissements populaires de l’époque, elles suscitaient l’intérêt des médecins et ont inspiré des artistes, ainsi Franz Kafka, qui en fera le sujet de sa nouvelle Le Hungerkünstler, parue en 1922.
2 Poème épique composé en provençal par Mistral, paru en 1859.
3 Poème en provençal de Théodore Aubanel (1829-1886), daté de 1869.
4 Voir l. du 12 janvier 1882 (HS 39-24457).
5 Nous ne savons pas depuis quand Schuchardt est abonné à la Revue des langues romanes.
Faksimiles: gallica.bnf.fr/Bibliothèque nationale de France (Sig. BnF, NAF 24457, fol. 32-35)