Gaston Paris an Hugo Schuchardt (61-08588)

von Gaston Paris

an Hugo Schuchardt

Paris

1886

language Französisch

Schlagwörter: Revue critique d'histoire et de littérature Académie des inscriptions et belles-lettres Archivio glottologico italiano Romania (Zeitschrift) Collège de France Furnival, Frederick James Henry, Victor Bréal, Michel Meyer, Paul Schmidt, Johannes Ascoli, Graziadio Isaia Neumann, Fritz Meyer-Lübke, Wilhelm Urbana Erlau Paris Belgrad Schuchardt, Hugo (1886) Desmet, Piet/Swiggers, Pierre (2004) Schuchardt, Hugo (1866) Schuchardt, Hugo (1885) Henry, Victor (1886) Havet, Julien (1886) Meyer, Paul (1875) Ascoli, Graziadio Isaia (1876) Frýba-Reber, Anne-Marguerite (2004) Wunderli, Peter (2009) Paris, Gaston (1887) Paris, Gaston (1886)

Zitiervorschlag: Gaston Paris an Hugo Schuchardt (61-08588). Paris, 1886. Hrsg. von Ursula Bähler, Bernhard Hurch und Nicolas Morel (2023). In: Bernhard Hurch (Hrsg.): Hugo Schuchardt Archiv. Online unter https://gams.uni-graz.at/o:hsa.letter.11768, abgerufen am 16. 09. 2024. Handle: hdl.handle.net/11471/518.10.1.11768.


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110, rue du Bac

Mon cher ami, j’ai eu la sottise de vous envoyer une lettre à Furnivall, et de lui envoyer la vôtre, qu’il me retourne, et que voilà. Mille excuses et amitiés GPS

Mon cher ami,

Je n’avais pas encore eu le temps de lire votre lettre quand j’ai reçu votre carte1. Assurément, la Revue Critique sera enchantée d’insérer votre réponse à l’article de V. Henry, et vous me ferez grand plaisir de me l’envoyer2. Quant à la discussion à l’Académie, elle n’a pas été bien sérieuse. Je vous avoue que le temps m’a manqué pour réfléchir, avec la maturité qu’elles demandent, aux questions graves que vous posez. Je ne voudrais en parler publiquement qu’après avoir bien considéré le problème sous toutes ses faces, et cela demande un recueillement d’esprit qui n’est pas trop à ma disposition, sans parler de connaissances linguistiques |2| que je ne possède pas. Je me suis borné à dire qu’au fond personne ne contestait moins les lois phonétiques que vous, qui aviez, dans votre Vocalisme, posé les bases de la phonétique historique néo-latine. Chez nous, où la linguistique est encore un peu en formation, il est bon, dans l’intérêt de l’enseignement, d’insister sur la rigueur des lois phonétiques et la nécessité où se trouve l’étymologiste, s’il s’écarte des lois phonétiques ordinaires, de donner une indication sur les causes qui peuvent faire admettre cet écart. Maintenant, pour aller au cœur même de la question, je ne vois pas très nettement ce que vous voulez, bien que j’aie lu votre mémoire avec grand plaisir. Il est certain qu’il y a des phénomènes (fome en sera un, si vous voulez, quoiqu’il y ait p. ê. une explication phonétique) que nous n’expliquons pas, mais ils sont en dehors de la science3. Il en est de la linguistique comme du cosmos lui-même: ex |3| pliquer un phénomène, c’est le faire rentrer dans la mécanique; il ne s’en suit pas que nous puissions tout faire rentrer dans la mécanique4; mais ce qui n’y rentre pas est inexpliqué. En linguistique il y a deux mécaniques, l’une physiologique, l’autre psychologique; vous avez parfaitement montré qu’elles ne diffèrent pas tant qu’on l’a dit, et elles se confondent naturellement au fond…5 Mais, je le répète, je n’ai pas assez pesé tous ces problèmes pour pouvoir en parler avec quelque intérêt pour vous.

En ce qui concerne la question des dialectes, c’est Bréal qui a revendiqué la priorité pour Meyer sur Schmidt6; je n’étais pas au courant. Pour moi, c’est la discussion de Meyer avec Ascoli qui m’a amené à me faire sur ce point des idées nettes7; mais j’avais déjà été frappé de ce que vous disiez dans le Vocalisme, – mine si loin d’être exploitée, où on trouve tout ce qu’on croit découvrir ailleurs, |4| et surtout d’une note, parue je ne sais plus où, où vous dites que les langues romanes ne se laissent pas diviser et grouper comme on le fait d’habitude8.

J’aimerais beaucoup voir vos recherches sur le français de Banat et surtout sur le liégeois d'Erlau9, dont j’entends parler pour la première fois. Ne pourriez-vous envoyer à ce sujet au moins une note succincte à la Romania10? Je ne savais pas que Neumann fût à Paris; j’aurais plaisir à faire sa connaissance, comme j’ai été charmé de faire celle de W. Meyer11, qui est un très aimable jeune homme, et très plein d’admiration pour vous. Je suis assez loin pour le moment de la linguistique; je fais un très long travail pour l’Hist. litt. sur les romans en vers de la Table Ronde12, et un cours sur la poésie du XVe siècle13, qu’il m’a fallu absolument apprendre.

Ma femme est très sensible à votre invitation, et je voudrais bien faire un voyage par chez vous. J’irai jusqu’à Belgrade, voir mon neveu, qui y est ministre de France14. Mais cela paraît bien difficile. Amitiés sincères

G. Paris

Portez-vous mieux! Eh bien! Cette jeune fille qui vous félicite, n’a-t-elle pas envie de partager votre gloire?


1 Cette carte de Schuchardt n’a manifestement pas été conservée.

2 La réponse de Schuchardt au compte rendu de Victor Henry (voir GP 58-08585) paraît le 12 avril 1886 (Schuchardt 1886d). V. Henry prendra la plume pour répondre à nouveau à Schuchardt, le 17 avril 1886 (HSA 07-04570). Sur l’analyse de cette querelle, voir Desmet & Swiggers, 2004.

3 Voir Schuchardt (1885, 20): «Betontes a ist im heutigen Schriftportugiesisch nur einmal zu o geworden, in fame = fome».

4 Les expressions «cosmos» et «mécanique» figurent aussi dans le compte rendu de Henry (1886, 222; 224). Dans Über die Lautgesetze, Schuchardt (1885, 35) s’était récrié, quant à lui, contre le «Mechanisiren der Methoden», et dans sa réponse à Henry il dénoncera, en réaction, semble-t-il, à cette lettre même de G. Paris, «l’alternative du cosmos des néogrammairiens et du chaos des autres» qu’on ferait dériver de ses propos (Schuchardt 1886d, 296-97).

5 Voir Schuchardt (1885, 4-7).

6 Voir l. de [1885] (GP 58-08585) et J. Havet (1886).

7 Cette discussion a été publiée dans les nos 4/14 et 5/20 de la Romania, où P. Meyer (1875 et 1876) rend compte du travail d’Ascoli et dans l’Archivio glottologico italiano, qui contient les réponses d’Ascoli (1876).

8 Cette note n’a pas pu être identifiée.

9 Voir l. du 2 mars 1886 (HS 60-24457).

10 Rien n’a été publié à ce sujet dans la Romania. Schuchardt ne paraît pas avoir poursuivi cette recherche.

11 Wilhelm Meyer (-Lübke) (1861-1936) a effectivement passé l’année 1885 à Paris, où il n’a pas seulement suivi l’enseignement de G. Paris à l’Ecole Pratique des Hautes Etudes, mais a aussi remplacé son maître dès le mois de janvier 1885 pour le cours de latin vulgaire du lundi soir (Fryba-Reber 2004, 230‑34; Wunderli 2009).

12 G. Paris (1887b).

13 La leçon d’ouverture de ce cours au Collège de France a été prononcée le 9 décembre 1885 (Paris 1886a).

14 Nous n’avons pas connaissance d’un voyage de G. Paris dans les Balkans. C’est René Philippe Millet (1849-1919), époux de Louise-Pauline Urbain (1858- ?), la fille de Louise-Charlotte Urbain, née Paris (1836-1909), sœur de G. Paris, qui occupe la fonction de Ministre plénipotentiaire et envoyé extraordinaire à Belgrade entre 1885 et 1888.

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