Hugo Schuchardt an Gaston Paris (60-24457)
von Hugo Schuchardt
an Gaston Paris
02. 03. 1886
Französisch
Schlagwörter: Revue critique d'histoire et de littérature Académie des inscriptions et belles-lettres Lautgesetze Prix Volney D'Ovidio, Francesco Paul, Hermann Zarncke, Friedrich Henry, Victor Osthoff, Hermann Bréal, Michel Meyer, Paul Schmidt, Johannes Neumann, Fritz Picot, Émile Mussafia, Adolf Paris, Marie Paris Banat Timisoara Erlau Lüttich Havet, Julien (1886) Schuchardt, Hugo (1885) Ovidio, Francesco d' (1886) Vennemann, Theo/Wilbur, Terence (1972) Wilbur, Terence (Hrsg.) (1977) Covino, Sandra (2020) Paul, Hermann (1886) Schuchardt, Hugo (1886) Mücke, Johannes (2015) Storost, Jürgen (1991) [o. A.] (1886) Henry, Victor (1886) Schuchardt, Hugo (1884) Schuchardt, Hugo (1866) Schmidt, Johannes (1872) Meyer, Paul (1875) Meyer, Paul (1876) Mussafia, Adolf (1870) Storost, Jürgen (2008) Székely, György (1964)
Zitiervorschlag: Hugo Schuchardt an Gaston Paris (60-24457). Graz, 02. 03. 1886. Hrsg. von Ursula Bähler, Bernhard Hurch und Nicolas Morel (2023). In: Bernhard Hurch (Hrsg.): Hugo Schuchardt Archiv. Online unter https://gams.uni-graz.at/o:hsa.letter.11767, abgerufen am 20. 09. 2024. Handle: hdl.handle.net/11471/518.10.1.11767.
Graz, 2.3.86.
Mon cher ami,
Il n’y a que quelques jours que j’ai lu dans la Revue critique la notice sur la séance de l’Académie d. I. et B. l.1, par où je crois voir – il n’est pas dit – que vous ne partagez point mon opinion sur l’inexorabilité (comme dit M. d’Ovidio) des lois phonétiques2. Les arguments qu’on m’a opposés jusqu’á présent, ne sont pas concluants; j’ai répondu d’une manière détaillée et comme j’espère satisfaisante, à la critique de M. Paul3 qui a renoncé à continuer la polémique. Avec moins de peine encore je serais à même de réfuter les assertions de M. Zarncke4; mais il avoue lui-même que, sur beaucoup de points, j’ai raison – seulement il ne saurait accepter mes conclusions. Et cette manière de voir – permettez-moi de la nommer dogmatique5 – je la retrouve dans toutes les manifestations accidentelles qui me sont venues de la part des néogrammairiens. |2| Vous autres vous craignez la terreur (rouge, s’entend); vous croyez que nous prêchons l’améthodie. Voilà ce qui est une erreur; j’y insiste, n’ayant pas du reste l’ambition de vous convertir. Je ne crois pas avoir traité cavalièrement les lois phonétiques; si j’ai commis à cet égard des péchés ou des peccadilles cela a été sans mon intention et j’en saurais me consoler en société des néogrammairiens les plus enragés. Mais qu’on me montre comment l’infaillibilité des lois phonétiques est applicable a des cas si nombreux comme fome = fame6, Usted = vuestra merced7, idolatria = idololatria8, je ne demande pas mieux. Est-ce que c’est plus méthodique de dire que dans le dialecte qui a produit fome on a dû dire une fois aussi fova, moma, boba etc. des formes que puis on a écarté par je ne sais quels procédés, ou de dire que dans fome nous avons un ἅπαξ λεγόμενον, l’effet de plusieurs agents favorables? |3|
M. Victor Henry parlera dans la Revue critique de ma brochure 9, amicalement, oui, mais en défendant les vues de Osthoff etc. Il aimerait bien que je lui répondisse dans le même lieu; est-ce que la rédaction me le permettrait? Alors ce serait à vous que j’enverrais ma réplique10.
À la suite de l’échange d’opinions que vous avez eu avec M. Bréal11 à l’occasion des néogrammairiens vous vous êtes accordés à rappeler qu’il faut rendre à M. Paul Meyer, l’honneur d’avoir formulé le premier une théorie qui s’est accréditée en Allemagne sous le nom de M. Johannes Schmidt12! En touchant la question des dialectes dans mon livre Sl.-d. und Sl.-it. p. 6. j’ai rangé M. P. Meyer après M. J. Schmidt. Est-ce que celui-là a établi sa thèse avant 1872? Comme j’ai dit au passage cité, j’ai cru entrevoir cette vérité dès 1867 (dans mon Voc. d. Vulg.) en parlant de la modification géographique des dialectes. J’ai dit par exemple que selon que nous choi |4| sissons les marques distinctives des dialectes nous arrivons à des classifications se trouvant en conflit entre elles, mais également bien fondées13. Cependant je conviens de bon cœur que je suis encore loin, très loin de la netteté et explicité avec laquelle M. Paul Meyer a exposé ses vues14.
L’honneur que l’ Académie m’a fait en me décernant le prix Volney, a retenti même dans des cercles qui en général ne portent pas beaucoup d’intérêt à ces choses là. Je viens de lire la lettre d’une jeune fille à sa mère (c’est celle-ci qui me l’a envoyée), où elle s’extasie au sujet de ces lauriers que je ne dois qu’à votre amitié. Mais je vous demande pardon, comment se fait-il que je n’en aie pas encore la communication officielle?
M. Fritz Neumann est maintenant à Paris, bon garçon et néogrammairien très-fervent14; j’espère que ce ne sont pas de manuscrits d’ancien francais qui l’ont tiré là.
Dans ces jours-ci j’ai commencé à faire des recherches sur le français qui se parle dans quelques colonies du Banat15 (lorraines, du siècle passé). Mais peut-être M. Picot16 qui fût si longtemps à Temesvar, a-t-il visité ces colonies, et en sait-il quelquechose. Près d’Éger (en allem. Erlau) il y avait une colonie venue des environs de Liège au 11ème siècle; au 16ème siècle on y parlait encore «linguam Gallicam», c’est-à-dire probablement un wallon très-curieux17.
En votre qualité de père de famille vous serez encore moins disposé qu’auparavant à venir nous voir, ce pauvre Mussafia et moi; mais Madame Paris ne voudrait-elle pas vous y persuader, pour voir elle-même nos Alpes?
Bien à vous.
H. Schuchardt
1 Le compte rendu de la séance de l’AIBL du 29 janvier (1886), publié dans le numéro du 8 février de la Revue critique et signé Havet, résume des remarques de Bréal et de G. Paris portant sur l’école des néo-grammairiens beaucoup plus que sur le livre de Schuchardt, Über die Lautgesetze: Gegen die Junggrammatiker (Schuchardt 1885). La supposition de Schuchardt s’y lit donc, si jamais, ex negativo.
2 La notion d’«Ausnahmslosigkeit» des lois phonétiques, qui est au cœur de la théorie néogrammairienne et de sa réfutation par Schuchardt (Schuchardt 1885), se voit traduite, par d’Ovidio (1886, 413), par le terme d’«inesorabilità». Sur la polémique autour des lois phonétiques, voir notamment Vennemann et Wilbur (1972), Wilbur ( 1977), ainsi que Covino (2020 et 2022).
3 Hermann Paul (1846-1921), passé par les séminaires de Schuchardt, habilité comme lui à Leipzig (en 1872) et professeur ordinaire de langue et littérature allemandes à l’université de Fribourg en Brisgau depuis 1877. Attaché à l’école néo-grammairienne, son nom est l’un des plus cités dans le pamphlet de Schuchardt ( Schuchardt 1885), qui, malgré leurs différends scientifiques, le tenait en haute estime. Paul est l’un des premiers à réagir à Über die Lautgesetze, dans un compte rendu paru en tête du premier numéro du Literaturblatt de l’année 1886 (Paul 1886). Schuchardt publie une «Erwiderung» dès le second numéro ( Schuchardt 1886a), qui est suivie d’une réponse de Paul (Paul 1886) (voir aussi Mücke 2015 et Storost 1991).
4 Friedrich Zarncke (1825-1891), fondateur du Literarisches Zentralblatt für Deutschland, professeur de langue et littérature allemandes à Leipzig, est parmi les instigateurs du mouvement néogrammairien. Schuchardt évoque ici le compte rendu publié anonymement (mais sans doute par Zarncke), dans le Literarisches Zentralblatt de 1886 ( [Zarncke] 1886c).
5 Écho à la conclusion sans appel formulée par Schuchardt dans son ouvrage: «Die Lehre von der Ausnahmslosigkeit der Lautgesetze lässt sich nach dem Gesagten ebensowenig auf deductivem wie auf inductivem Wege beweisen; wer ihr anhängt, muss sich zu ihr als einem Dogma bekennen» ( Schuchardt 1885, 29).
6 Exemple de changement sporadique qui contredit l’idée même d’une loi phonétique qui serait infaillible: «Betontes a ist im heutigen Schriftportugiesisch nur einmal zu o geworden, in fame=fome» (Schuchardt 1885, 21).
7 Expression qui, au même titre que plusieurs formules de salutation, s’émancipe aussi des lois phonétiques, par le fait qu’elle est prononcée couramment, rapidement et sans accentuation (Schuchardt 1885, 25).
8 Cet exemple ne figure pas dans le livre de Schuchardt.
9 Dans son compte rendu, Victor Henry (1850-1909), hellénisant autodidacte, docteur en droit et professeur d’économie à Lille depuis 1872, défend en effet le caractère absolu des lois phonétiques (Henry 1886).
10 Voir l. du 2 mars 1886 (HS 60-24457), de 1886 (GP 61-08588), du 15 mars 1886 (HS 62-24457), du 20 mars 1886 (GP 63-08589), du 27 mars 1886 (HS 64-24457), et du 29 mars 1886 (HS 65-24457).
11 Référence au compte rendu de la séance de l’AIBL par Havet ( 1886).
12 Johannes Schmidt (1843-1901), dans Havet (1886) on lit en effet Johann Schmidt.
13 Schuchardt tente ici de consolider la primauté de Johannes Schmidt ( 1872) sur P. Meyer (1875, 1876) dans cette question, primauté qu’il avait déjà exposée dans le volume en l’honneur de Miklosich ( Schuchardt 1884, 6); il ne peut s’empêcher de signaler qu’il avait lui-même, dès sa thèse (Schuchardt 1868, 32, 34 et passim) souligné l’importance des «ondes» dans l’espace géographique. Dans sa leçon inaugurale à Leipzig, en 1870 (Schuchardt 1900), cette discussion occupe également une place centrale. L’actualité qu’elle a gardée tout au long des années est certainement l’une des raisons décisives qui ont poussé Schuchardt à publier cette leçon 30 ans après l’avoir prononcée, sans aucune modification. Pour une mise au point de cette discussion, voir Storost ( 2008).
14 C’est notamment dans les comptes rendus qu’il fait de l’Archivio glottologico italiano d’ Ascoli que Meyer présente ses vues sur la formation des dialectes (P. Meyer 1875, 1876).
14 Fritz Neumann (1854-1934). Par rapport à son engagement en faveur des néogrammairiens, voir une lettre à Schuchardt du 12 janvier 1886 (HSA 10-07768).
15 Partie de l’actuelle Roumanie autour de la ville de Timisoara (Temesvar) où habitait une minorité germanophone. Le Banat appartenait, à l’époque où écrit Schuchardt, à l’Empire austro-hongrois.
16 Picot avait occupé le poste de vice-consul de France en Roumanie, à Timisoara, entre 1868 et 1872.
17 Schuchardt ne poussera pas plus loin son investigation. Toutefois, la présence de Wallons dans le Banat est avérée. Voir p. ex. l’article «Wallons et Italiens en Europe centrale aux XIe-XVIe siècles» ( Székely 1964).
Faksimiles: gallica.bnf.fr/Bibliothèque nationale de France (Sig. BnF, NAF 24457, fol. 19-20)