Volcy Focard an Hugo Schuchardt (03-03086)

von Volcy Focard

an Hugo Schuchardt

Saint-Denis/La Réunion

12. 05. 1885

language Französisch

Schlagwörter: Kreolgenese Sprachverwandtschaft sprachliche Variation Sprachvergleichlanguage Französischbasierte Kreolsprache (Mauritius)language Französischbasierte Kreolsprache (Réunion)language Französischlanguage Französische Dialekte

Zitiervorschlag: Volcy Focard an Hugo Schuchardt (03-03086). Saint-Denis/La Réunion, 12. 05. 1885. Hrsg. von Philipp Krämer (2013). In: Bernhard Hurch (Hrsg.): Hugo Schuchardt Archiv. Online unter https://gams.uni-graz.at/o:hsa.letter.1168, abgerufen am 29. 03. 2024. Handle: hdl.handle.net/11471/518.10.1.1168.

Printedition: Krämer, Philipp (2013): Hugo Schuchardt im Zentrum der frankophonen Kreolistik. Korrespondenzen mit Lucien Adam, Volcy Focard, Alfred Mercier, Alcée Fortier und René de Poyen-Bellisle. In: Grazer Linguistische Studien. Bd. 78., S. 129-156.


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Saint-Denis le 12 Mai 1885

Monsieur.

Je n’ai pas oublié la promesse que je vous ai faite, le mois dernier, au sujet de la différence existant entre le langage populaire de l’île de la Réunion et celui de l’île Maurice.

Voici mon sentiment à cet égard: Le patois de l’île Bourbon, ainsi que je crois l’avoir démontré quelque part, descend dirrectement du français: il ne faut pas aller lui chercher ailleurs une paternité.

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Oui du français; celui des marins et des employés de la Compagnie des Indes, qui nous venaient de Toulon, de Brest, de Lorient et, aussi parfois, de Marseille. Ils n’y avaient guère que ces français là qui voulussent émigrer au XIIe siècle, c’est-à-dire ceux „qui connaissaient la mer“.

Chacun de ces hommes avait nécessairement, leur accent particulier, plus ou moins prononcé. Leurs enfants, l’ignorance avant (à cette époque on ne montrait pas à lire dans les Colonies) héritèrent des intonations des inflexions de voix et aussi des barbarismes commis par |3|ces papas et ces mamans qui ne parlaient pas, pour sûr, la langue de Fénélon ni celle de Made de Sévigné.

Et ces mêmes enfants comme leurs pareils de tous les pays et de tous les temps, ont eu aussi leurs expressions à eux. C’est ainsi qu’ils ont dû, sans en avoir conscience, raccourcir ou allonger les syllabes, tronquer les lettres des mots et grasseyer comme certains de leurs auteurs devaient grasseyer; et alors qu’ils sont devenus grands – ceci est certain – ils forgèrent des substantifs et des adjectifs à l’aide d’un néologisme héréditaire, qu’ils ont dans le sang |4|et dont par cela même, ils tirent vanité aux regards des noirs.

Vous figurez-vous, Monsieur, entendre bégayer ce français „des ports de Mer“, par les premiers gamins nés sur les plages bourbonnaises?

Plus tard les enfants des noirs sont venus se mêler aux enfants des blancs, de ces marins et employés, Les petits créoles d’aujourd’hui – et de concert, il ont créé cette sorte d’idiome qui est notre patois indigène.

Eh! bien, voyez ce phénomène. Il n’y a pas un seul de ces petits créoles à l’île Maurice, – ancienne île de France –.

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On dirait qu’ils ont été mis au monde, ces bourbonnais primitifs, pour demeurer à tout jamais à l’île de la Réunion.

Partant, pas de tradition à l’ancienne Ile de France où l’on rencontrait à la première occupation, un mélange de cafres, de malgaches, d’indiens, d’arabes, d’Anglais et d’Ollandais y attirés dans cette île renommée, par son port et par sa position géographique qui en font une relâche sûre et naturelle.

Pour s’entendre entr’eux ces hommes des divers climats, appelés à vivre côte à côte pendant un temps plus ou moins court, ont dû dénaturer nos expressions |6|françaises par la façon dont ils les prononçaient.

De là ces mo pour moi, to pour toi auxquels il serait difficile de trouver une étymologie – tandis que les moin (moi-in) mou-y (moi-y) toué (toié) de Bourbon montrent et apportent avec eux leur acte de naissance.

Il est donc constant que, à l’île Maurice, on a fait subir à notre français parlé, – j’entends le français familier –, des altérations autrement profondes que celles qui lui ont été infligées à l’île de la Réunion où les petits créoles, descendants des marins et des employés de la Compagnie des Indes, ne l’ont |7|modifié que juste ce qu’il fallait pour produire un patois particulier.

Tel est le résultat qui a donné cette différence remarquable dans le langage populaire des deux îles sœurs de l’Océan Indien.

Toute conjecturale que pourrait paraître cette appréciation, elle offre cependant des vraisemblances sérieuses.

Toutefois, je ne vous la donne que pour une simple causerie qui, à défaut d’autre mérite, aura cette particularité, de vous arriver par-dessus les mers.

Veuillez je vous prie |8|, Monsieur, agréer l’assurance de mes sentiments bien dévoués,

V. Focard.

Faksimiles: Universitätsbibliothek Graz Abteilung für Sondersammlungen, Creative commons CC BY-NC https://creativecommons.org/licenses/by-nc/4.0/ (Sig. 03086)