Octave Houdas an Hugo Schuchardt (02-04866)
von Octave Houdas
an Hugo Schuchardt
21. 04. 1891
Französisch
Schlagwörter: Sabir Französisch Arabisch Algerien Oran Algier Marseille Marokko Tunesien
Zitiervorschlag: Octave Houdas an Hugo Schuchardt (02-04866). Paris, 21. 04. 1891. Hrsg. von Bernhard Hurch und Verena Schwägerl-Melchior (2022). In: Bernhard Hurch (Hrsg.): Hugo Schuchardt Archiv. Online unter https://gams.uni-graz.at/o:hsa.letter.10172, abgerufen am 08. 09. 2024. Handle: hdl.handle.net/11471/518.10.1.10172.
Paris, 21 avril 1891
29, avenue de Wagram
Cher Monsieur,
Voici en quelques mots l’historique du sabir en Algérie : Avant la conquête française, l’occupation de Bougie et d’Oran par les Espagnols, les relations commerciales entre Alger et Marseille, la présence des esclaves chrétiens à Alger et le retour en Algérie des captifs musulmans qui avaient ramé sur les galères des chrétiens avaient contribué à la création d’une langue commune dont la syntaxe était des plus rudimentaires et le vocabulaire fort incomplet.
En 1830 ce sabir n’était pratiqué que sur les quais du port d’Alger et tout d’abord il ne prit guère d’extension, Arabes et Juifs étant persuadés que nous ne tarderions guère à repasser la Méditerranée et ne frayant que bien rarement avec les Européens. Durant toute la période de luttes qui dura jusqu’en 1847 et se termina par la reddition d’Abdelkader1 des dragomans servaient les plus souvent d’intermédiares entre les indigènes et nous et le sabir d’un usage rare ne prit guère alors d’extension. Les verbes mangiar, bibir, tocar, chapar, portar, andar, bivir, les substantifs aqua, mouqère, muchacho, casa, les adjectifs bono, macacha, bono, les adverbes bezzef2, chouïa, chouïa chouïa3, Kifkif4, sami-sami5, ces derniers emprunté à l’arabe vulgaire |2| formaient le fond de la langue et de part et d’autre on y ajoutait parfois des mots français ou de mots arabes.
La chute d’Abdelkader et dans une certaine mesure la Révolution de 1848 amenèrent un rapprochement plus intime entre les vainqueurs et les vaincus. Les juifs surtout, bien convaincus que notre conquête était définitive, se hâtèrent d’entrer en relations directes avec nous et se mirent à apprendre notre langue. Bientôt ils furent en mesure d’être les intermédiares obligés entre les arabes et les français qui, chacun de leur côté s’obstinaient à ne vouloir se servir que de leur langue maternelle.
Comme c’était surtout sur les marchés et dans les rues que les juifs se livraient à l’étude du français ils acquirent des notions assez inexactes de cette langue et comme ils ne la pratiquaient qu’assez rarement en somme, ils eurent pendant longtemps une prononciation des plus incorrectes et conservèrent une syntaxe mi-partie arabe et mi-partie française. C’est ce sabir que l’on reproduit aujourd’hui dans les journaux satiriques et qui fut très florissant de 1848 à 1860. Mais durant cette période les juifs avaient envoyé leurs enfants dans nos écoles. Devenus grands ces enfants qui possédaient notre langue dans toute sa pureté prisent notre costume et nos habitudes si bien qu’on les distingua à peine des européens. Toutefois l’arrogance dont ils faisaient montre depuis leur transformation les fit tourner en ridicule et les jeunes gens français imaginèrent |3| alors de se moquer d’eux en imitant, soit dans des charades, soit dans d’autres jeux, le jargon que parlaient encore les pères de ces jeunes juifs. Peu à peu cependant ce sabir disparaissait, les juifs se francisaient de plus en plus et l’on aurait sans doute oublié complètement leur jargon sans le décret du 24 octobre 1870 qui les naturalisa en masse et les fit entre dans la vie politique française.
Le rôle que depuis cette dernière date les juifs jouent dans les élections, où ils votent en masse sous la conduite d’un ou deux meneurs, a ravivé le mépris qu’ils avaient inspiré autrefois et c’est à cette seule circonstance qu’il faut attribuer la conservation par écrit d’un sabir dont ils ne font plus ou presque plus usage, car ce n’est guère qu’à Oran où l’on trouve des juifs venus du Maroc qui n’ont pas encore pris complètement l’usage de notre langue.
A côté du sabir juif il y a le sabir arabe qui a passé par des phases analogues. Né dans les régiments de tirailleurs algériens le sabir arabe y a pris un certain développement, mais il ne s’est guère répandu au dehors parmi la population musulmane indigène. Celle-ci a conservé dans les tribus sa langue intacte et dans ses rapports avec les européens elle emploie le sabir des premiers temps de la conquête. Dans les villes bon nombre d’arabes parlent le français assez purement et ont cessé d’employer le sabir.
|4|En résumé le sabir juif va devenir, s’il ne l’est déjà, une langue morte et quant au sabir arabe si son existence doit avoir, par la force même des choses, une plus longue durée son emploi en dehors des régiments de tirailleurs et de spahis6 sera toujours extrèmement limité et son développement intrinsèque n’aura jamais la même importance que celui du sabir juif.
L’imâlé7 n’est point pratiqué par les indigènes en Algérie pas plus d’ailleurs que dans le Maroc, la Tripolitaine et la Tunisie. Il faut en outre remarquer que dans toutes ces contrées la race prédominante au point de vue du nombre a toujours été et est encore aujourd’hui la race berbère. Or le Kabyle qui sait à peine l’ arabe, de même que l’arabe qui prétend descendre des anciens conquérants prononce i/ l’é ouvert ou le son ai ; il y a donc là un phénomène général qui n’a rien de commun avec cette particularité de l’ imâlé dont l’usage a toujours été fort restreint. J’ajouterai en outre que la transcription adoptée par les rédacteurs des journaux satiriques ne rend pas d’une façon rigoureuse la véritable prononciation qui ne saurait être notée avec notre alphabet français actuel. Il faut une très grandes habitude pour distinguer de ses deux voisins i et ai ce son particulier de la voyelle et ceux d’entre les européens qui le prononcent exactement sont fort peu nombreux. Les arabes dans |5| leur écriture n’ayant aucun signe pour représenter l’é ouvert emploient invariablement le ي (ī), ils écrivent: brīfī pour préfet, mīr pour maire, Brīnī pour Bresnier, etc. et je ne vois pas pour eux d’autre moyen de noter ces sons, les deux autres voyelles qu’ils possèdent l’ا (alif) et le و (waou) qui se prononcent ā et oū ne pouvant en aucune façon donner une idée aussi approximative de l’é ouvert. La gamme de voyelles est très pauvre en arabe, même dans la prononciation où l’on n’entend que les sons e, ă, ā, ĭ, ī, o, oŭ [ŭ] et oū [ū]; le son ê que vous croyez avoir entendu dans le mot bâb n’est en réalité qu’un ă traîné qui pour une oreille arabe ne se rapproche point du tout de notre é ouvert.
Veuillez m’excuser, cher Monsieur, si pour aujourd’hui je m’en tiens à cette note sommaire et écrite à la hâte, mais je suis fort occupé en ce moment. Il va sans dire néanmoins que je suis toujours à votre disposition pour tous les renseignements qu’il me sera possible de vous fournir. Je vais demander à Oran si on peut me procurer les publications en sabir juif dont vous me parlez.
Veuillez agréez, cher Monsieur, l’assurance de mes meilleurs sentiments.
O. Houdas
1 1807-1883, organisierte bis 1848 einen erfolgreichen Krieg gegen die französische Kolonialherrschaft, schließlich mit einer Art Friedensvertrag besiegelt, woraufhin er mit einer franz. Pension zunächst in Frankreich, später in Syrien lebte.
2 „viel“.
3 [ʃwija] „ein bißchen“, Diminutiv zu [ʃi] „etwas, Ding“.
4 Zu [kif] „wie“.
5 Imperativische Bildung zu einem Verb /samj/ „hinstellen“.
6 Leicht bewaffnete indigene Regimenter in der franz. Armée.
7 S. vorangehenden Brief von Houdas HSA 4865.