Octave Houdas an Hugo Schuchardt (01-04865)

von Octave Houdas

an Hugo Schuchardt

Paris

25. 02. 1891

language Französisch

Schlagwörter: language Arabischlanguage Lingua francalanguage Sabirlanguage Italienischlanguage Spanischlanguage Französisch Marokko Algerien Tunesien Algier Tunis Cherbonneau, Auguste (1876) Katona (1900) Beaussier, Marcelin (1871)

Zitiervorschlag: Octave Houdas an Hugo Schuchardt (01-04865). Paris, 25. 02. 1891. Hrsg. von Bernhard Hurch und Verena Schwägerl-Melchior (2022). In: Bernhard Hurch (Hrsg.): Hugo Schuchardt Archiv. Online unter https://gams.uni-graz.at/o:hsa.letter.10171, abgerufen am 03. 10. 2024. Handle: hdl.handle.net/11471/518.10.1.10171.


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Paris, 25 février 1891
29, avenue de Wagram.

Monsieur,

Je réponds aujourd’hui d’une façon générale et un peu sommaire aux questions que vous avez bien voulu m’adresser1, mais il va de soi que je reste à votre entière disposition pour tous les renseignements complémentaires que vous jugerez utile de me demander.

La langue arabe parlée dans tout le Nord de l’Afrique (Maroc, Algérie, Tunisie et Tripolitaine) ne constitue en réalité qu’un seul et même dialecte. Partout dans ces contrées les principes grammaticaux sont les mêmes : n est le préfixe du futur à la 1ère pers. du sing. aussi bien à Maroc qu’à Benghazi ; mtaʻ( متاع)2 est employé concurrement avec la forme régulière pour marquer le rapport d’annexion entre deux noms et l’on peut dire à volonté : el-bâb mtaʻ ed-dâr ou bâb ed dâr3 ; le sujet de la proposition principale se place très souvent avant le verbe et l’on dit aussi bien djâ Mohammed que Mohammed djâ4.

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A côté de ces altérations on retrouve dans le dialecte maghrebin toutes les particularités des autres dialectes arabes, à savoir : la suppression de la déclinaison et des formes du pluriel féminin dans les verbes, l’emploi d’un aoriste unique, l’usage du pluriel au lieu du féminin singulier pour les verbes et les adjectifs se rapportant à des noms de choses au pluriel, etc….

Du point de vue phonétique le dialecte maghrebin n’offre qu’un très petit nombre de variations et encore sont-elles en général localisées dans un petit nombre de villes et particulières à certaines catégories d’habitants. A Alger le ta se prononçait tsa, mais seulement dans la ville et cette prononciation a aujourd’hui presque entièrement disparu. Les juifs de Tunis donnent au djim le son ʒ, tandis que les musulmans de cette même ville lui attribuent fréquemment le son j. Sauf dans quelques villes le qäf5 se prononce gue6 et les juifs d’Alger ont conservé assez longtemps la prononciation des Maltais et des Egyptiens. Enfin les voyelles brèves deviennent des plus en plus sourdes à mesure qu’on s’avance de l’Est à l’Ouest. Mais tout cela est si peu caractérisé qu’un maghrebin qui voyage dans tout le Nord de l’Afrique n’éprouve aucune difficulté à entendre ses coréligionnaires ou à se faire entendre d’eux.

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Ce qui a pu faire croire à l’existence de variétés dialectales c’est uniquement la différence de signification de certains vocables ou encore l’emploi par les indigènes de certaines régions de mots inusités dans la contrée voisine. Ainsi, par exemple, tsenïa à Tunis signifie chemin, tandis que dans tout le Maghreb ce mot veut dire col, défilé ; le mot arabe ouled, enfant est remplacé dans l’ouest par le mot berbère ichchir, etc.

Jusqu’ici personne n’a essayé de faire un travail comparatif du dialecte maghrebin avec les autres dialectes arabes. On s’est contenté d’exposer dans de nombreux ouvrages didactiques les particularités du dialecte maghrebin en les rapprochant seulement des formes de l’arabe littéral sans s’inquiéter des autres dialectes. Le travail de Cherbonneau7 ne porte pour ainsi dire que sur le vocabulaire et ses listes de mots n’ont plus d’intérêt depuis que Beaussier a publié à Alger son dictionnaire arabe-français8. L «Cours théorique et pratique de la langue arabe » par Bresnier (Alger 1855) est resté encore le meilleur guide pour l’étude du dialecte maghrebin.

La langue franque ou sabir n’a donné et ne pourrait donner lieu à aucun travail important. Les européens qui se servent de ce jargon s’imaginent naïvement parler l’arabe, tandis que les arabes croient volontiers qu’en en faisant usage ils parlent une|4|langue européenne. Mettre tous les verbes à l’infinitif, remplacer le pronom sujet par le pronom régime et le temps des verbes par un adverbe en se servant d’une centaine de vocables empruntés à l’italien, à l’espagnol ou au français du midi, tel est le fond de la langue franque. Chacun, suivant les circonstances, en fait à lui-même sa langue franque qui n’a point d’existence propre en réalité, car elle varie d’une localité à une autre, d’un jour à l’autre.

Avant la conquête de l’Algérie, les juifs de ce pays faisaient usage entre eux d’un langage spécial dans lequel ils introduisaient un certain nombre de mots hébreux afin de n’être pas compris des arabes devant qui ils parlaient ; c’était quelque chose d’analogue à ce que pratiquent encore aujourd’hui certains juifs allemands. Depuis la conquête ce jargon judéo-arabe a peu à peu cessé d’être employé et on lui a substitué un autre jargon franco-arabe. Au fond c’est toujours de l’arabe plus ou moins bourré de mots étrangers. Aujourd’hui les juifs algériens, parlant de plus en plus le français en famille, ne font plus guère usage de ces jargons.

Quant à la langue dont vous avez trouvé des spécimens dans l’ Akhbar 9 et qui a été surtout |5| cultivée par le « Charivari Oranais », journal publié à Oran10, elle a pour ainsi dire disparu. Lorsque les juifs algériens ont commencé à apprendre le français, ils ont éprouvé une certaine difficulté à prononcer certains sons qui n’existent pas en arabe, tels que l’e ouvert, in, on, an, u,p, v, etc. De là une prononciation défectueuse en tout semblable à celle des étrangers qui débutent dans l’étude de notre langue (ʓe souis pour je suis ; admirabel pour admirable, etc.), mais cela n’a jamais constitué un patois particulier. Il n’en serait même pas resté la moindre trace si les jeunes gens, en manière de plaisanterie, ne s’étaient avisés de reproduire ces façons de langage, d’abord dans des anecdotes typiques et plus tard dans des lettres ou de récits de longue haleine.

J’ai assisté à l’éclosion de ce jargon vers 1864 et je crains bien d’avoir été le premier à en répandre la connaissance dans le public français. Les Arabes et en particulier les tirailleurs algériens ou turcos ont un jargon analogue quand ils sont peu familiarisés avec notre langue. Il n’y a donc pas à chercher la moindre trace d’imâleh11 dans ce sabir: l’e ouvert n’existant pas en arabe on l’a toujours remplacé par le son i qui en est le plus voisin.

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Veuillez agréez, Monsieur, l’assurance de ma considération la plus distinguée.
O. Houdas


1 In einem Brief vom 9.2.1891 (HSA 14-7481) empfahl Alfred Morel Fatio Schuchardt, sich an Octave Houdas zu wenden, was Schuchardt offenbar postwendend getan hat. Das Schreiben Schuchardts mit den hier erwähnten Fragen liegt uns aber nicht vor.

2 Zur Wurzel √mtʕ (verbal: „forttragen u. dgl.“, nominal: „Ding, Besitz“).

3 Mit der engen Verknüpfung (ohne markierte Verbindung) wird ein Determinationsverhältnis artikuliert: der Kopf ist dadurch determiniert ohne offene Markierung (in der arab. Grammatik Status constructus genannt).

4 djâ (arab. جىء) „er ist gekommen“.

5 Arab. ق.

6 gemeint: [g].

7 Auguste Cherbonneau (1813-1882), war als Arabist im franz. Kolonialdienst in Algerien tätig. Bis heute wichtig ist sein Dictionnaire Arabe-Français (zuerst in 2 Bde., Bd.1 und Bd. 2 Paris: Imprimerie Nationale 1876), bis heute wiederholt nachgedruckt.

8 Beaussier, Marcelin. 1871. Dictionnaire pratique arabe-français. Alger: Bouyer (ebenfalls wiederholt nachgedruckt).

9 Eine in Algier seit 1839 erschienene Zeitschrift.

10 Als satirische Wochenschrift von 1881 bis 1896 in Oran (Algerien) erschienen.

11 „i -farbige“, also palatale Aussprache des [a], also [æ] und noch weiter geschlossenere Varianten.

Faksimiles: Universitätsbibliothek Graz Abteilung für Sondersammlungen, Creative commons CC BY-NC https://creativecommons.org/licenses/by-nc/4.0/ (Sig. 04865)