La Bigarure: No. 17.

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N°. 17.

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Brief/Leserbrief

Je vous l’avois bien dit, il y a quelques semaines, Monsieur, que vous ne perdriez rien pour attendre. Outre les piéces de Vers que je vous ai déjà envoyées, & qui ont été faites à l’occasion de la naissance de notre Duc de Bourgogne, il vient d’en pleuvoir ici un Deluge, de toutes les especes ; mais infiniment plus de mauvaises, que de bonnes. Les seuls Jesuites de notre College de Louis le Grand en ont fourni, pour plus de six mois, les Epiciers de cette Capitale, en célébrant cet heureux évenement par de, Poësies dans toutes les langues, tant mortes, que vivantes. Vers Hebreux, Vers Siriaques, Vers Grecs, Vers Latins, Vers Chinois, Vers Arabes, Vers Italiens, Vers Allemands, Vers François, &c. &c. &c. Tous leurs Pedants se sont escrimez, à l’envi les uns des autres, sur ce sujet, chacun selon son goût & son talent. Mais si ces Bâtards des Apôtres (a1) ont voulu donner à entendre par là au public, qu’ils ont hérité de leur Poliglotisme*2, ils ont aussi eu le chagrin de voir toutes ces belles productions ne faire qu’un saut, de leur Collége, chez les Beurieres. Je n’en excepte pas même leur Ode Françoise intitulée : Mars au Berceau, que l’on vient de me communiquer, & qui m’a paru si détestable, qu’elle ne vaut surement pas les fraix du port qu’elle vous auroit couté si je vous envoyois. Il n’en est pas tout-à-fait de même des deux piéces que vous trouverez ici, & qui, chacune dans leur genre, m’ont paru avoir leur merite. Du moins ne les trouverez pas ennuyeuses, comme le sont toutes celles dont je viens de vous parler. Chanson

Sur la Naissance du Duc de Bourgogne.
Sur l’Air, Je n’ai pour toute maison.

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Enfin touché de nos vœux, Ciel, vous comblez notre esperance ! Chantez, Citoyens heureux ;
Triomphez peuple de la France.
Un nouveau Lis nous vient des Cieux,
Lis qui nous est bien précieux.
Vivent le Prince nouveau-né
Et celui qui nous l’a donné ! Il est né, l’Auguste enfant, En Septembre, ainsi que son Pere :
Il en a l’air Triomphant,
Avec les graces de sa Mere.
J’augure favorablement
D’un raport si beau, si charmant.
Vive le Prince nouveau-né
Vivent ceux qui nous l’ont donné ! A cet Astre, des François L’Amour, l’espoir, & les delices,
Que tous offrent leurs respects ;
D’autres offriront leurs services.
Nos neveux à tous ses succès
Auront par, comme à ses bienfaits.
Chantons le Prince nouveau-né
Et celui qui nous l’a donné. Né pour le bonheur des Lis, Prince, choisissez pour modelle
Votre grand-Papa Louis ;
Soyez-en l’image fidelle.
Je vous offre encore un portrait ;
C’est votre Pere, il est parfait.
Vivent le Roi, le nouveau né,
Et celui qui nous l’a donné ! Vos soins les plus assidus Seront, dans votre aimable enfance,
De contempler les Vertus
D’une Reine chere à la France.
Du Trône elle fait le bonheur,
Et ses Vertus en font l’honneur.
Ses vœux ardents nous ont donné
Le petit Prince nouveau-né. Vive ce nouveau Bourbon, Vive la Mere fortunée
Qui nous fait un si beau don !
Qu’elle en fasse autant chaque année !
Nous l’apprendrons à l’Univers,
Par ces doux & joyeux concerts :
Vivent le Prince nouveau-né,
Et celle qui nous l’a donné ! Que les propices Destins Prennent part à notre allegresse,
Et donnent des jours serains
A l’objet de notre tendresse !
Que le Pere & le fils toujours
Partagent nos chants, nos amours ?
Chantons, aimons le nouveau-né,
Et celui qui nous l’a donné.
Rien de plus guai, rien de mieux tourné, que ces Couplets ; Rien de plus juste que les tendres sentiments, & les louables souhaits qu’ils expriment ; Néanmoins croiriez vous, Monsieur, qu’au milieu de ces transports de l’Allegresse publique, il vient de se repandre, dans toute cette Capitale, une Nouvelle si affreuse, que, malgré tout ce que l’on m’a pu dire, je ne sçaurois me persuader qu’elle ait la moindre réalité, tant le crime me paroit horrible ? Quoiqu’il en soit, le voici tel qu’on l’a publié. On assure qu’il s’est trouvé à Versailles, je ne dis pas une femme, mais un Monstre assez cruel, & assez dénaturé, pour oser attenter à la vie du Prince nouveau-né, dans le Berceau du quel on raconte qu’elle avoit placé les poisons les plus subtils, qui l’auroient immanquablement suffoqué, si la Providence, qui veille d’une maniere particuliere sur la vie des Princes, n’avoit pas permis que l’on s’en aperçût avant qu’ils eussent le tems d’operer. D’autres, au lieu de poisons, pretendent que, dans le fonds du Berceau, cette malheureuse avoit mis des matieres combustibles, les quelles, ayant été imbibées de certaines drogues, devoient s’enflammer d’elles mêmes, & faire périr dans les flammes cet illustre rejetton de nos Rois. Pour rendre la chose plus croyable, on ajoute que cette miserable, ayant été découverte, est actuellement en prison, & qu’on ne tardera pas à lui faire expier par les suplices les plus cruels un attentat qui (s’il est vrai) n’a jamais eu d’exemple. Je dis, s’il est vrai ; car à quel motif pouroit-on l’attribuer ? Seroit-ce frenesie ; seroit-ce sollicitation ? seroit-ce scélératesse ? Plus on y pense, & moins on y trouve d’apparence ; moins on peut se persuader un attentat si énorme. Aussi, quant à moi, Monsieur, je ne balance pas un moment de mettre ce bruit dans la même classe, qu’un autre qui s’est pareillement repandu, il y a environ dix ou douze jours, dans tous les quartiers de cette Capitale, au sujet des six cents pauvres filles que notre Magistrat s’est proposé de dotter, & dont je vous ai parlé dans une de mes précédentes Lettres*3. Vous y avez dû voir, par une avanture fort plaisante qui y est raportée, que ces Mariages avoient excité des jalousies, & même des querelles fort vives, de la part de celles qui n’ont pu participer à cette gratification. Or devinez, Monsieur, si vous le pouvez, de quoi ces petites gens se sont avisez pour faire renoncer à ces gratifications toutes celles à qui elles étoient échues ; & cela avec beaucoup plus de vitesse encore, qu’elles n’avoient fait paroitre d’empressement & d’ardeur à les solliciter. . . Y êtes vous ? . . . . Non ; & je crois que vous y rêveriez encore bien jusqu’à demain avant que de l’imaginer. Pour ne vous point laisser donc plus long-tems en suspens, je vous dirai que ces jalouses femelles se sont avisées de faire courir le bruit qu’on n’auroit pas plus-tôt célébré ces six cents Mariages, qu’on feroit sur le champ embarquer les nouveaux Mariez, pour les transporter en Amerique, afin d’y peupler les Colonies que nous avons dans ce païs là. Quoique ce bruit n’ait jamais eu d’autre réalité, que l’imagination de ceux & celles qui l’ont inventé, il s’est néanmoins repandu si promtement parmi le peuple, & a fait sur lui une impression si vive, qu’on a vu aussitôt les douze cents fiancés, qui étoient à la veille de se marier, courir en foule chez les Curez, pour les remercier de la préférence qu’ils avoient eu la bonté de leur donner, & fuir, comme la peste, des gratifications qu’ils avoient sollicitées avec toute l’ardeur imaginable, quelques jours auparavant. Enfin les choses, à cet égard, ont été si loin, que, pour tâcher de les dissuader, il a falu que notre Archevêque ait fait publier par les Curez, aux Prônes de leurs Paroisses, que ce bruit étoit sans aucun fondement. Mais malgré tout ce que ces Messieurs ont pu dire, sur cela, la terreur qu’il a jettée parmi le peuple est si grande, que qui que-ce-soit ne veut plus des gratifications de la Ville, ni se marier à ce prix ; desorte qu’on ne sçait si les six cents Mariages proposez auront lieu, ni en quel tems ils pouront être célébrez. Qu’on dise, après cela, que nos Parisiens, même parmi le plus petit peuple, ne sont pas malins, & qu’ils ne sçavent pas se venger, assez spirituellement, des injustices qu’ils s’imaginent qu’on leur fait. Je viens de vous donner ici, Monsieur, la preuve du contraire. Au-reste il est un moyen sûr de dissiper cette terreur panique, ou du moins de remedier au mauvais effet qu’elle vient de produire. Ce seroit, de plus, une nouvelle occasion, pour notre Bien-aimé Monarque, de faire éclater sa bonté & sa clemence envers des malheureux qui, depuis plusieurs années, font une assez rude penitence de la sotise qu’ils ont faite, & dont ils lui demandent un très humble & très sincére pardon. C’est ce que vous verrez, Monsieur, dans la piéce suivante.

Lettre

De felicitation, adressée à Sa Majesté, au nom, & par tout le Corps des Deserteurs François, au sujet de la naissance de Monseigneur le Duc de Bourgogne.

Sire,

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Excusez la liberté, Que prend notre témérité ;
Mais j’avons lû dans les Gazettes,
Qui disent tout ce que vous faites,
Que Monseigneur, de sa façon,
Vous a fait present d’un garçon ;
Ce qui ne vous fait pas de peine,
Non plus qu’à notre bonne Reine.
Sarpedié ! le gentil Enfant,
S’il ressemble à son Pere-grand ! Dès que j’ons sçu cette Nouvelle, J’ons trinqué tous avec grand zèle,
Et j’ons entre nous arrêté
D’écrire à Votre Majesté,
Comm’ je faisons par cette Lettre,
Si vous voulez bien le permettre.
Mais ce n’est pas ça seulement.
J’ons bian <sic> un autre pensement
Qui nous fait prendre ste licence.
C’est qu’implorant votre Clemence,
Je vous crions tretous merci.
On dit tant d’ bien de vous ici ;
On nous conte tant de Merveilles
Qui n’ont jamais eu leurs pareilles,
Que j’enrageons de tout not’ cœur
De ne pas avoir le bonheur
De voir tant de si belles choses,
Dont j’ partageons pourtant les causes,
Et d’être comm’ des exilez. . . .
Ah ! j’en sommes tous désolez ! . . .
Mais ce qui nous r’met le courage,
C’est que l’on dit, bien d’avantage,
Que, pour que chacun soit joyeux,
Vous faite avoir des Epouseux
A quelques milliers de filletes . . .
La bonne action que vous faites ! Sire, daignez penser à nous ; Faites d’une pierre deux coups.
Je sommes ici force drilles
Très propres à servir ces filles,
Et je tirerons bien parti
D’un si bienheureux Amnisti.
En l’honneur du Duc de Bourgogne,
Sire, effacez notre vergogne.
Donnez-nous ces gentils enfans,
Et je reparerons le tems
Que j’ons fait faute à la Patrie.
Chacun de nous vous en suplie :
Dieu, pour cette bonne action,
Vous doint sa Benection. Au reste ce sont nos affaires De l’obtenir par les prieres
Que je faisons, de très bon cœur,
Pour vous, la Reine, Monseigneur,
Pour le Prince dont il est Pere,
Et pour la Dauphine sa Mere,
Ainsi que pour ses Belles sœurs,
Aussi gentilles que des cœurs.
Que le Ciel leur fasse la grace
De multiplier votre race,
Chacune par un bel Himen,
Et plus tôt que plus tard ; Amen !
Voila, comme vous le voyez, Monsieur, des Maris tout trouvez pour ces pauvres filles dont personne ne veut ici, & des hommes prêts à tout faire, si le Roi leur accorde la grace qu’ils lui demandent. J’ai l’honneur d’être, &c.

Paris, ce 3. Novembre 1751.

Jeudi ce 11 Novembre 1751.

1(a) C’est ainsi qu’ils se sont eux mêmes qualifiez, dans une Histoire de leur Ordre qui a pour titre Societas Jesu Apostolorum imitatrix, composée par leur Pere Adam Tanner.

2* Mot derivé du Grec, qui signifie Multitude de langues. Tous les gens de Lettres entendront ce terme : aussi n’est ce point pour eux qu’on a mis ici l’explication de ce mot. Tout le monde sçait que les Apôtres reçurent du Ciel le don de parler toute sorte de langues.

3* Voyez le No. 9. de ce XII. Volume, pag. 68 & suiv.