La Bigarure: No. 16.
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N°. 16.
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Brief/Leserbrief
S’il arrive, de tems en tems, dans le monde des événements,
dans les quels Dieu fait paroitre sa séverité, & semble apesantir son bras sur les
hommes, nous en voyons, en revanche, arriver tous les jours, une infinité d’autres, dans
les quels nous ne pouvons nous empêcher de reconnoitre, & d’adorer ses bontez pour
nous ; bontez presque sans bornes, & qui vont quelquefois jusqu’à opérer en notre
faveur des Miracles visibles. C’est ce que je me persuade, Monsieur, que vous
reconnoitrez, particulierement, dans ce qu’on vient de nous mander de Londres ; Avanture
vraiment Miraculeuse, & qui, si elle fut arrivée parmi nous, auroit valu bien de
l’argent à nos Prêtres & à nos Moines. Mais vous sçavez le train du monde. Ce qui fait
fortune dans un païs, n’est pas toujours de mise dans un autre. Londres admire ce
Merveilleux événement ; & c’est tout : Paris auroit crié au Miracle, & l’auroit
payé au poids de l’or. La quelle des deux nations a le plus de raison ? C’est, Monsieur,
ce que je vous laisse decider. Je me contenterai de vous raporter ici le fait, dont le
recit sera aussi simple, qu’il est extraordinaire, & veritable. Toujours des innocents l’Eternel a pris soin,
Et ne laissa jamais ses enfans au besoin. Quoique la premiere de ces deux veritez n’ait pas besoin
de nouvelles preuves, j’ajouterai néanmoins, à ces deux Avantures, celle qui vient
d’arriver à un de nos Musiciens, le quel a fait, ces jours passez, le saut le plus hardi
qui ait peut être jamais été fait dans le monde, & qui cependant a eu le bonheur de
n’y point périr. Cet étourdi avoit en l’imprudence de mal parler d’une personne qui n’est
rien moins qu’endurante. Ses discours lui ayent été raportez, elle lui en dit deux mots,
& l’assura qu’elle l’en seroit ressouvenir en tems & lieu. A propos de jambes fracassées, je vous dirai que toute
la Ville de Londres est dans une impatience extraordinaire de voir executer un Spectacle
qu’on vient de lui annoncer, & dont il n’est pas difficile de prévoir quel sera le
denouement. Heureux celui qui a promis de l’executer, s’il en est quitte encore à si bon
marché, que le Musicien dont vous venez de lire l’avanture. Par l’annonce, vraiment
Merveilleuse, qu’il a fait courir dans le Public, & qui a mis toute cette Capitale en
rumeur, vous verrez, Monsieur, si nos Parisiens sont les seuls Badauts qu’il y ait en
Europe. La voici telle qu’elle se lit dans les papiers publics de Londres.
He bien, Monsieur ! traiterez vous encore de conte, après cela, la celebre
Fable de Dedale & d’Icare, dont les anciens Poëtes ont embelli leurs ouvrages ? Voici
un Artiste qui annonce au peuple de Londres la même Merveille. Ah ! qu’il fera beau voir
ce nouvel Icare fendre les Airs, & comme un autre Jupin traverser & retraverser à
califourchon sur son Aigle, le detroit de la Manche ! S’il réussit dans ce qu’il annonce,
adieu les Fregates, adieu les Pacquetbots, adieu tout ce que la Marine a pu imaginer de
plus léger pour traverser les Mers. Aussi legers & aussi rapides que les Vents, les
Postillons Anglois ne seront plus arrêtez à l’avenir ni par les Vents contraires, ni par
les tempêtes. Ils s’en moqueront même au milieu des Airs, grace à l’invention du Signor
Andero Grimaldi. Mais gâre aussi que ce Maitre fou, s’il est assez téméraire pour tenter
cette entreprise (ce que je ne sçaurois me persuader) n’ait le sort funeste du jeune
écervelé qu’il prétend imiter, & qu’on ne dise de lui : Anderus Anderias nomine secit
aquas, comme on a dit de l’autre : Icarus Icarias &c. J’ai l’honneur d’être &c.
Allgemeine Erzählung
Ces jours derniers, une femme, tenant entre ses bras un enfant avec qui elle
badinoit à la fenêtre d’un second étage, cet enfant fit un mouvement si
subit & si violent, qu’il lui échapa des mains & tomba de la fenêtre. C’en étoit
fait de la vie de cette innocente Créature, sans un vrai coup du Ciel qui la lui sauva ;
& voici de quelle maniere la chose arriva. Aux cris effroyables que jetta cette
femme, en voyant tomber son enfant, un Gentilhomme, qui dans ce moment passoit sous la
fenêtre, leva la tête en l’air où, ayant aperçu ce petit innocent qui alloit périr, il
lui rendit les bras, & fut assez heureux, & assez adroit, pour l’y recevoir, sans
qu’il en arrivat à l’un ni à l’autre le moindre accident. Le Gentilhomme, enchanté de
l’avoir ainsi arraché des bras de la Mort, n’eut rien de plus pressé que de l’aller
rendre à sa Mere dont on peut s’imaginer quelle fut la joye lorsqu’elle revit son enfant
sain & sauf. Le contraste de desespoir & de joye, qu’elle ressentit presque dans
le même instant, fut si subit & si vif, que si on ne l’avoit promtement secourue,
elle en seroit infailliblement morte. Une Saignée, qu’on lui fit sur le champ, lui sauva
la vie, & la mit en état de remercier Dieu, & de témoigner la plus vive
reconnoissance au Gentilhomme dont la Providence venoit de se servir pour faire, en sa
faveur, cet éclatant Miracle.
Et ne laissa jamais ses enfans au besoin.
Allgemeine Erzählung
Nouvelle preuve de
cette incontestable verité, dans l’Avanture que voici. En revenant de Kinsington à
Londres, un autre Gentilhomme aperçut une jeune femme, qui se promenoit sur le bord de
l’eau, & dont les soupirs, les exclamations, & les gestes exprimoient le
desespoir dans le quel elle lui parut être. Tout le monde sçait à quels excès cette
affreuse situation porte la nation Angloise. Le Gentilhomme, craignant, avec raison, que
celui où il voyoit cette femme n’eût pour elle des suites funestes,
accourut à toute bride pour les prevenir. L’air triste qu’il lui vit en l’abordant, &
ses yeux égarez ne lui firent que trop connoitre qu’il étoit arrivé à tems. Lui ayant
demandé la cause de son desespoir, cette femme, après un redoublement de soupirs & un
torrent de larmes que la douleur lui arrachoit, lui avoua que tous ses malheurs lui
venoient de la part d’un homme qu’elle avoit épousé contre le gré de ses parents ; Que ce
malheureux, après avoir dissipé au jeu tout ce qu’elle lui avoit apporté en Mariage,
& après lui avoir laissé deux enfans, l’un sur les bras, & l’autre à la mamelle,
l’avoit abandonnée dans la plus affreuse misere ; Que plusieurs fois, & le matin
encore, elle s’étoit adressée à ses parents & amis, pour en avoir quelque
assistance ; mais qu’ils avoient eu la cruauté de la lui refuser ; Que reduite au
desespoir par ces refus, & n’ayant pas de quoi vivre, elle étoit venue dans cet
endroit, resolue de finir tous ses malheurs per une mort après la quelle elle aspiroit
depuis long-tems ; enfin qu’elle le prioit (s’il n’étoit ni en volonté, ni en état de la
soulager) de se retirer, & de lui laisser exécuter sa resolution. La générosité
Angloise vous est trop connue, Monsieur, pour ne pas prevoir le denouement de cette
triste scene. La reponse du Gentilhomme fut une bourse pleine de guinées qu’il lui mit
dans la main, avec ordre de le venir trouver, dans une heure au plus tard, à Londres,
dans le quartier où il demeuroit, & qu’il lui indiqua. Je vous laisse à penser quels
furent les remerciments de cette pauvre desolée à qui ce brave Gentilhomme venoit de
sauver la vie que le desespoir lui auroit fait perdre s’il fut arrivé un moment plus
tard. Elle ne manqua pas, une heure après, de se rendre chez lui où il la presenta à son
Epouse qui fut touchée du recit de son malheur, que non seulement elle l’a
prise à son service, en qualité de femme de chambre, mais s’est encore chargée de faire
éléver ses enfans. Qu’on dise, après cela, Monsieur, qu’il n’y a point de Providence, ni
de vertu dans le monde !
Allgemeine Erzählung
Tout le monde sçait que la bravoure ne fut jamais le partage des gens à
talent. Horace nous apprend, par son propre exemple, que les Poëtes de son tems étoient
de vrais poltrons, comme il l’étoit lui même. Ces Messieurs ne sont pas aujourd’hui plus
braves, qu’ils l’étoient alors ; & nous en voyons porter l’humeur pacifique jusqu’à
soufrir tranquillement les coups de bâton que leur attire leur demangeaison d’écrire. La
crainte d’essuyer un pareil traitement fit une toute autre impression sur notre Musicien.
Trop impatient pour souffrir tranquillement la bastonade dont on l’avoit menacé, &
trop poltron pour repousser la force par la force, il évitoit, avec un soin extrême, la
rencontre fâcheuse qu’il apréhendoit. Mais, helas ! c’est envain qu’on cherche à éviter
sa malheureuse destinée ! Une terreur panique lui ayant dérangé l’imagination, & lui
ayant fait croire, un de ces matins, que son ennemi le poursuivoit l’épée dans les reins,
il s’est levé brusquement, & sans autre examen s’est précipité dans la rue par la
fenêtre. Sans doute, vous allez vous persuader, Monsieur, qu’il n’a pas survecu à ce saut
d’autant plus perilleux, que vous sçavez que nos petits Musiciens, tel que
l’étoit celui-ci, ne sont pas logez, ordinairement, ici au premier étage. En effet
celui-ci occupoit le troisieme. Néanmoins, par cette chute, il ne s’est fracassé que les
deux jambes ; tant est vrai le Proverbe qui dit, qu’il y a une Providence particuliere
qui prend soin des enfans & des foux, tels que le sont la plûpart de nos Musiciens.
Les foibles talents de celui-ci ne l’ayant pas mis en fortune, cet accident l’a fait
conduire à l’Hôtel-Dieu, qui est ici la ressource de tous les pauvres malheureux. Là
réflechissant sur la triste situation, il a cru, en bon Chretien, devoir le reconcilier
avec celui qu’il avoit offensé. Pour cet effet l’ayant envoyé chercher, & celui-ci,
qui ne pensoit plus à lui, étant venu le voir : Monsieur, lui a dit le pauvre estropié,
j’ai pris la liberté de vous envoyer chercher, pour vous prier de vouloir bien m’accorder
le généreux pardon que je vous demande. Voyez, Monsieur, le mal que vous m’avez causé
sans dessein. Que seroit-ce si vous eussiez réellement executé votre menace ? Pardonnez
moi mon offense, & prenez que je suis mort ; car, si j’en reviens, je ne veux plus
m’exposer à de semblables accidents. Bel exemple de conversion ! mais leçon encore plus
instructive, qui doit apprendre aux Babillards, & aux Medisants, à reprimer la
pétulance de leur langue.
Allgemeine Erzählung
Il est arrivé, depuis peu, en cette Ville, un homme
extraordinaire dans son genre, que l’on apelle Signor Andero Grimaldi Volante, âgé
d’environ 50 ans, natif de Civita-Vecchia, le quel a passé environ 20 ans aux Indes
Orientales, y ayant été envoyé par la Congregation de la Propaganda Fide Il a trouvé,
après 14 ans d’un travail assidu, l’invention d’une machine, faite en forme d’Aigle,
& toute composée de ressorts, par le moyen des quels il s’éléve en l’Air, &
s’envole, avec une rapidité étonante. Il se fait fort de passer ainsi de Calais à
Douvres, & d’en revenir de la même maniere, & d’aller & revenir de Hydepark à
Windsor, dans l’espace de deux heures, quoiqu’il y ait 40 milles de chemin. Pour mieux
montrer son talent, il se propose, le jour Anniversaire de la naissance du Roi, de partir
à 9 heures du matin, du haut de la Colonne apellée le Monument, de faire tout le tour de
la Ville & des Fauxbourgs, toujours en volant, & d’être rendu à Hydepark sur les
onze heures.