La Bigarure: No. 16.

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N°. 16.

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Brief/Leserbrief

S’il arrive, de tems en tems, dans le monde des événements, dans les quels Dieu fait paroitre sa séverité, & semble apesantir son bras sur les hommes, nous en voyons, en revanche, arriver tous les jours, une infinité d’autres, dans les quels nous ne pouvons nous empêcher de reconnoitre, & d’adorer ses bontez pour nous ; bontez presque sans bornes, & qui vont quelquefois jusqu’à opérer en notre faveur des Miracles visibles. C’est ce que je me persuade, Monsieur, que vous reconnoitrez, particulierement, dans ce qu’on vient de nous mander de Londres ; Avanture vraiment Miraculeuse, & qui, si elle fut arrivée parmi nous, auroit valu bien de l’argent à nos Prêtres & à nos Moines. Mais vous sçavez le train du monde. Ce qui fait fortune dans un païs, n’est pas toujours de mise dans un autre. Londres admire ce Merveilleux événement ; & c’est tout : Paris auroit crié au Miracle, & l’auroit payé au poids de l’or. La quelle des deux nations a le plus de raison ? C’est, Monsieur, ce que je vous laisse decider. Je me contenterai de vous raporter ici le fait, dont le recit sera aussi simple, qu’il est extraordinaire, & veritable.

Allgemeine Erzählung

Ces jours derniers, une femme, tenant entre ses bras un enfant avec qui elle badinoit à la fenêtre d’un second étage, cet enfant fit un mouvement si subit & si violent, qu’il lui échapa des mains & tomba de la fenêtre. C’en étoit fait de la vie de cette innocente Créature, sans un vrai coup du Ciel qui la lui sauva ; & voici de quelle maniere la chose arriva. Aux cris effroyables que jetta cette femme, en voyant tomber son enfant, un Gentilhomme, qui dans ce moment passoit sous la fenêtre, leva la tête en l’air où, ayant aperçu ce petit innocent qui alloit périr, il lui rendit les bras, & fut assez heureux, & assez adroit, pour l’y recevoir, sans qu’il en arrivat à l’un ni à l’autre le moindre accident. Le Gentilhomme, enchanté de l’avoir ainsi arraché des bras de la Mort, n’eut rien de plus pressé que de l’aller rendre à sa Mere dont on peut s’imaginer quelle fut la joye lorsqu’elle revit son enfant sain & sauf. Le contraste de desespoir & de joye, qu’elle ressentit presque dans le même instant, fut si subit & si vif, que si on ne l’avoit promtement secourue, elle en seroit infailliblement morte. Une Saignée, qu’on lui fit sur le champ, lui sauva la vie, & la mit en état de remercier Dieu, & de témoigner la plus vive reconnoissance au Gentilhomme dont la Providence venoit de se servir pour faire, en sa faveur, cet éclatant Miracle.
Toujours des innocents l’Eternel a pris soin,
Et ne laissa jamais ses enfans au besoin.

Allgemeine Erzählung

Nouvelle preuve de cette incontestable verité, dans l’Avanture que voici. En revenant de Kinsington à Londres, un autre Gentilhomme aperçut une jeune femme, qui se promenoit sur le bord de l’eau, & dont les soupirs, les exclamations, & les gestes exprimoient le desespoir dans le quel elle lui parut être. Tout le monde sçait à quels excès cette affreuse situation porte la nation Angloise. Le Gentilhomme, craignant, avec raison, que celui où il voyoit cette femme n’eût pour elle des suites funestes, accourut à toute bride pour les prevenir. L’air triste qu’il lui vit en l’abordant, & ses yeux égarez ne lui firent que trop connoitre qu’il étoit arrivé à tems. Lui ayant demandé la cause de son desespoir, cette femme, après un redoublement de soupirs & un torrent de larmes que la douleur lui arrachoit, lui avoua que tous ses malheurs lui venoient de la part d’un homme qu’elle avoit épousé contre le gré de ses parents ; Que ce malheureux, après avoir dissipé au jeu tout ce qu’elle lui avoit apporté en Mariage, & après lui avoir laissé deux enfans, l’un sur les bras, & l’autre à la mamelle, l’avoit abandonnée dans la plus affreuse misere ; Que plusieurs fois, & le matin encore, elle s’étoit adressée à ses parents & amis, pour en avoir quelque assistance ; mais qu’ils avoient eu la cruauté de la lui refuser ; Que reduite au desespoir par ces refus, & n’ayant pas de quoi vivre, elle étoit venue dans cet endroit, resolue de finir tous ses malheurs per une mort après la quelle elle aspiroit depuis long-tems ; enfin qu’elle le prioit (s’il n’étoit ni en volonté, ni en état de la soulager) de se retirer, & de lui laisser exécuter sa resolution. La générosité Angloise vous est trop connue, Monsieur, pour ne pas prevoir le denouement de cette triste scene. La reponse du Gentilhomme fut une bourse pleine de guinées qu’il lui mit dans la main, avec ordre de le venir trouver, dans une heure au plus tard, à Londres, dans le quartier où il demeuroit, & qu’il lui indiqua. Je vous laisse à penser quels furent les remerciments de cette pauvre desolée à qui ce brave Gentilhomme venoit de sauver la vie que le desespoir lui auroit fait perdre s’il fut arrivé un moment plus tard. Elle ne manqua pas, une heure après, de se rendre chez lui où il la presenta à son Epouse qui fut touchée du recit de son malheur, que non seulement elle l’a prise à son service, en qualité de femme de chambre, mais s’est encore chargée de faire éléver ses enfans. Qu’on dise, après cela, Monsieur, qu’il n’y a point de Providence, ni de vertu dans le monde !
Quoique la premiere de ces deux veritez n’ait pas besoin de nouvelles preuves, j’ajouterai néanmoins, à ces deux Avantures, celle qui vient d’arriver à un de nos Musiciens, le quel a fait, ces jours passez, le saut le plus hardi qui ait peut être jamais été fait dans le monde, & qui cependant a eu le bonheur de n’y point périr. Cet étourdi avoit en l’imprudence de mal parler d’une personne qui n’est rien moins qu’endurante. Ses discours lui ayent été raportez, elle lui en dit deux mots, & l’assura qu’elle l’en seroit ressouvenir en tems & lieu.

Allgemeine Erzählung

Tout le monde sçait que la bravoure ne fut jamais le partage des gens à talent. Horace nous apprend, par son propre exemple, que les Poëtes de son tems étoient de vrais poltrons, comme il l’étoit lui même. Ces Messieurs ne sont pas aujourd’hui plus braves, qu’ils l’étoient alors ; & nous en voyons porter l’humeur pacifique jusqu’à soufrir tranquillement les coups de bâton que leur attire leur demangeaison d’écrire. La crainte d’essuyer un pareil traitement fit une toute autre impression sur notre Musicien. Trop impatient pour souffrir tranquillement la bastonade dont on l’avoit menacé, & trop poltron pour repousser la force par la force, il évitoit, avec un soin extrême, la rencontre fâcheuse qu’il apréhendoit. Mais, helas ! c’est envain qu’on cherche à éviter sa malheureuse destinée ! Une terreur panique lui ayant dérangé l’imagination, & lui ayant fait croire, un de ces matins, que son ennemi le poursuivoit l’épée dans les reins, il s’est levé brusquement, & sans autre examen s’est précipité dans la rue par la fenêtre. Sans doute, vous allez vous persuader, Monsieur, qu’il n’a pas survecu à ce saut d’autant plus perilleux, que vous sçavez que nos petits Musiciens, tel que l’étoit celui-ci, ne sont pas logez, ordinairement, ici au premier étage. En effet celui-ci occupoit le troisieme. Néanmoins, par cette chute, il ne s’est fracassé que les deux jambes ; tant est vrai le Proverbe qui dit, qu’il y a une Providence particuliere qui prend soin des enfans & des foux, tels que le sont la plûpart de nos Musiciens. Les foibles talents de celui-ci ne l’ayant pas mis en fortune, cet accident l’a fait conduire à l’Hôtel-Dieu, qui est ici la ressource de tous les pauvres malheureux. Là réflechissant sur la triste situation, il a cru, en bon Chretien, devoir le reconcilier avec celui qu’il avoit offensé. Pour cet effet l’ayant envoyé chercher, & celui-ci, qui ne pensoit plus à lui, étant venu le voir : Monsieur, lui a dit le pauvre estropié, j’ai pris la liberté de vous envoyer chercher, pour vous prier de vouloir bien m’accorder le généreux pardon que je vous demande. Voyez, Monsieur, le mal que vous m’avez causé sans dessein. Que seroit-ce si vous eussiez réellement executé votre menace ? Pardonnez moi mon offense, & prenez que je suis mort ; car, si j’en reviens, je ne veux plus m’exposer à de semblables accidents. Bel exemple de conversion ! mais leçon encore plus instructive, qui doit apprendre aux Babillards, & aux Medisants, à reprimer la pétulance de leur langue.
A propos de jambes fracassées, je vous dirai que toute la Ville de Londres est dans une impatience extraordinaire de voir executer un Spectacle qu’on vient de lui annoncer, & dont il n’est pas difficile de prévoir quel sera le denouement. Heureux celui qui a promis de l’executer, s’il en est quitte encore à si bon marché, que le Musicien dont vous venez de lire l’avanture. Par l’annonce, vraiment Merveilleuse, qu’il a fait courir dans le Public, & qui a mis toute cette Capitale en rumeur, vous verrez, Monsieur, si nos Parisiens sont les seuls Badauts qu’il y ait en Europe. La voici telle qu’elle se lit dans les papiers publics de Londres.

Allgemeine Erzählung

Il est arrivé, depuis peu, en cette Ville, un homme extraordinaire dans son genre, que l’on apelle Signor Andero Grimaldi Volante, âgé d’environ 50 ans, natif de Civita-Vecchia, le quel a passé environ 20 ans aux Indes Orientales, y ayant été envoyé par la Congregation de la Propaganda Fide Il a trouvé, après 14 ans d’un travail assidu, l’invention d’une machine, faite en forme d’Aigle, & toute composée de ressorts, par le moyen des quels il s’éléve en l’Air, & s’envole, avec une rapidité étonante. Il se fait fort de passer ainsi de Calais à Douvres, & d’en revenir de la même maniere, & d’aller & revenir de Hydepark à Windsor, dans l’espace de deux heures, quoiqu’il y ait 40 milles de chemin. Pour mieux montrer son talent, il se propose, le jour Anniversaire de la naissance du Roi, de partir à 9 heures du matin, du haut de la Colonne apellée le Monument, de faire tout le tour de la Ville & des Fauxbourgs, toujours en volant, & d’être rendu à Hydepark sur les onze heures.
He bien, Monsieur ! traiterez vous encore de conte, après cela, la celebre Fable de Dedale & d’Icare, dont les anciens Poëtes ont embelli leurs ouvrages ? Voici un Artiste qui annonce au peuple de Londres la même Merveille. Ah ! qu’il fera beau voir ce nouvel Icare fendre les Airs, & comme un autre Jupin traverser & retraverser à califourchon sur son Aigle, le detroit de la Manche ! S’il réussit dans ce qu’il annonce, adieu les Fregates, adieu les Pacquetbots, adieu tout ce que la Marine a pu imaginer de plus léger pour traverser les Mers. Aussi legers & aussi rapides que les Vents, les Postillons Anglois ne seront plus arrêtez à l’avenir ni par les Vents contraires, ni par les tempêtes. Ils s’en moqueront même au milieu des Airs, grace à l’invention du Signor Andero Grimaldi. Mais gâre aussi que ce Maitre fou, s’il est assez téméraire pour tenter cette entreprise (ce que je ne sçaurois me persuader) n’ait le sort funeste du jeune écervelé qu’il prétend imiter, & qu’on ne dise de lui : Anderus Anderias nomine secit aquas, comme on a dit de l’autre : Icarus Icarias &c. J’ai l’honneur d’être &c.

Paris ce 29 Octobre 1751.

Livres nouveaux

Qui se vendent à la Haye, chez Pierre Gosse Junior, Libraire de S. A. R.

Memoires pour servir à l’Histoire de la Maison de Brandebourg, precedés d’un Discours Preliminaire & suivis de trois Dissertations, sur la Religion, les Mœurs, le Gouvernement de Brandebourg, & d’une quatrieme sur les Raisons d’Etablir ou d’Abroger les Loix, nouvelle Edition, revue, corrigée & augmentée, 12. Haye & Berlin 1751. La Cuisiniere Bourgeoise, 12. Paris 1750. Nouveau Traité de la Venerie, contenant la Chasse du Cerf, celles du Chevreuil, du Sanglier, du Loup, du Lievre, & du Renard, avec la Connoissance des Cheveaux propres à la Chasse & les Remedes pour les Guerir lorsqu’ils se blessent, s. fig. Paris 1750. Avantures de Bella & de Dom M * * * Nouvelle Espagnole & le Comte de R * * * Nouvelle Françoise, par Mr. le Marquis d’Argens, 12. 2 parties Haye 1751. Histoire des Guerres & Negotiations qui precederent le Traité de Westphalie, & l’Histoire du Traité de Westphalie ou Negotiations qui se firent à Munster & Osnabrug pour établir la Paix entre toutes les Puissances de l’Europe, par le Pere Bougeant, 4. 3 vol. Paris 1751. - - - idem, 12. 6 vol. Paris 1751.

Jeudi ce 4 Novembre 1751.