La Bigarure: N°. 17.

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N°. 17.

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Carta/Carta ao editor

Enfin, Madame, après un hiver qui a duré sept ou huit mois (car je ne me souviens pas d’en avoir vu d’aussi long) nous commençons à goûter les agréments de la belle saison. Je me garderai bien de lui donner le nom de Printems, puisque nous entrons de plein faut dans l’Eté, sans que nous ayons joui d’aucun des plaisirs attachez à cette riante saison, qui est la plus agréable de l’Année. A des foids <sic> presque aussi piquants que ceux de l’Hiver ont succedé tout à coup des chaleurs qu’on pouroit prendre pour celles de la Canicule, sans la fraicheur des nuits qui nous oblige de reprendre, pendant ce tems, nos couvertures d’hiver. Je ne doute point, Madame, que ce dérangement des saisons, que les Nouvelles publiques nous ont appris avoir été général, ne vous ait autant surprise que chagrinée ; Mais qu’y faire ? Les Elements ont un Maitre Suprême au quel ils sont forcez d’obéir ; & ce Maitre est le notre, au quel nous sommes, par la même raison, obligez de nous soumettre de même, en adorant les ordres de sa Providence qui fait tout ce qui lui plait dans le Ciel & sur la Terre. De murmurer contre elle & perdre patience Il est mal à propos.
Vouloir ce que Dieu veut, est l’unique science
Qui nous met en repos. Mais si nous n’avons point eu de Printems, cette année, il semble que nos Auteurs ayent voulu nous en consoler, & nous en dédomager un peu, par des productions qui ont raport à cette agréable saison, & dont je vais vous rendre compte. Voici la premiere. Stances Sur le Printems.

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Que le Printems est agréable ! Il est accompagné des folâtres Zephirs ;
Il nous rend la Campagne aimable ;
Il invite à goûter les plus tendres plaisirs. Reine des Fleurs, charmante Rose, Pourquoi donc naitre, helas ! & parer nos jardins,
Puisque aussitôt seche qu’éclose
Tout votre éclat ne dure, au plus, que deux matins ? Semblable à cette fleur Divine, Une Belle nous plaît, on en est enchanté ;
Bientôt une severe épine
Nous rebute & nous chasse ; enfin vient son Eté. Trop tard alors elle veut plaire ; En voyant ses appas déja sur le retour,
On la meprise ; elle a beau faire,
L’Amour, pour la punir, la chasse de sa Cour. Jeunes Beautez si florissantes, Faut-il que vous passiez aussi rapidement ?
Votre Printems vous rend charmantes
Rarement votre Eté peut fixer un Amant. Votre teint de lis & de roses Par son riant éclat sçait enchanter nos cœurs ;
Mais ces beautez à-peine écloses
Se fanent en un jour comme les moindres Fleurs. Jouissez de votre jeunesse, Belles, aimez au Printems de vos jours,
Car l’aproche de la Vieillesse
Voit fuir à pas legers les volages Amours.
Envoi A Mademoiselle de S. L.

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Gravez bien au fond de votre ame, Et retenez, Iris, cette utile leçon :
Mon cœur, à present tout de flame,
Peut-être en votre Eté ne seroit qu’un glaçon.
Un des plus grands plaisirs, Madame, dont on jouisse, à la Campagne, pendant la saison du Printems, est celui d’y entendre chanter le Rossignol. Ce petit Animal qui, par la varieté & la beauté inexprimables de son chant, meriteroit le titre de Roi des Oiseaux, y fait les delices de tous ceux qui l’entendent. Non content de les enchanter pendant le jour, il redouble, la nuit, ses efforts & ses concerts harmonieux dont la beauté est encore relevée par le profond silence que lui prête toute la Nature. Mais les plaisirs que ce ravissant oiseau nous procure, & auxquels il n’y a point d’oreille qui ne soit sensible, sont passagers, comme il l’est lui même : & dès qu’il se voit Pere, il s’envole, avec toute sa petite famille, dans une terre étrangere d’où l’on ne le voit revenir qu’aux Printems suivants, pour nous redonner les mêmes plaisirs. Quelles obligations n’aurions-nous point, vous & moi, Madame, qui avons été tant de fois charmées de la beauté de son chant, si quelqu’un imaginoit le moyen de le fixer parmi nous ? . . . . Hé bien, Madame, préparons notre remerciment à un de nos Ecrivains qui vient de nous rendre ce service. C’est ce qu’il a fait par un petit Livre qui vient de paroitre, & qui a pour titre : L’Aedologie, ou Traité du Rossignol franc & chantant. Ce Traité renferme, & apprend, la maniere de prendre cet Oiseau au filet, de le nourir facilement en cage, & de s’en menager le chant pendant toute l’année. On y trouve, outre cela, quantité de remarques utiles & très curieuses sur la nature de ce petit Animal. L’Auteur ne s’est pas contenté d’enseigner à ceux qui aiment les plaisirs Champêtres le moyen de se les procurer à la Ville ; on y trouve encore la maniere de rendre les Rossignols aussi communs que les Linottes & les Chardonnerets, en enseignant la façon de les prendre, de les nourir, de les apparier dans un Cabinet, pour y pondre & faire leurs petits. Il nous apprend que les instructions qu’il donne sur ce sujet sont le fruit de vingt années de travail & d’observation. Il a tellement suivi les opérations de ces Oiseaux, qu’il pretend qu’ils pensent, meditent, & repetent des conversations très longues qu’ils ont entendues. Il raporte, à cette occasion, des faits des plus singuliers, qu’il a tirez d’un Auteur qu’il dit être de très bonne foi, & que voici.

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« J’ai cru, dit Gesner (a)1, devoir ajouter à l’histoire du Rossignol ce que m’en a écrit un Sçavant de mes amis, homme incapable d’en imposer à qui que ce soit, & dont voici les propres termes. Je vais vous parler des Rossignols qui contrefont les entretiens des hommes. C’est quelque chose de Merveilleux, & qui vous paroitra presque incroyable, quoiqu’il n’y ait rien de plus vrai, puisque je l’ai éprouvé moi même, & que je les ai entendus de mes propres oreilles. A la Diette de Ratisbonne, en 1546, j’étois logé, à la Couronne d’Or, chez un hôte qui avoit trois Rossignols enfermez séparément chacun dans leur cage. Nous étions alors dans la saison du Printems, saison où ces Oiseaux ont coutume de chanter le jour & la nuit ; & comme j’étois alors attaqué de la pierre, je ne pouvois dormir. Vers l’heure de minuit, comme tout étoit tranquille, j’entendis, avec étonnement, deux Rossignols converser ensemble en Allemand, & répéter ce qu’ils avoient ouï dire pendant le jour. Ces deux Oiseaux n’étoient éloignez de mon lit que de dix pieds, tout au plus. Il y en avoit un troisieme qui étoit trop loin pour que je pusse l’entendre. Je fus donc extrêmement étonné d’entendre comment ces deux Oiseaux se disputoient entre eux. Ils racontoient, entre autres choses, deux histoires assez longues pour durer jusqu’au jour, & cela avec des inflexions de Voix si naturelles, qu’on n’auroit jamais pu s’attendre à un pareil événement. Obligé par les douleurs de la pierre de passer sauvent les nuits entieres sans dormir, j’ecoutois avidement, & toujours avec une nouvelle surprise, les contestations de ces petits Animaux. Pendant une de ces nuits, leur conversation roula sur le garçon du Cabaret & sur sa femme qui ne l’avoit pas voulu suivre à la guerre ; car le Mari, à ce que ces Rossignols me faisoient entendre, s’efforçoit de persuader à sa femme, par l’esperance du butin qu’ils y feroient, de quitter l’Auberge, & la servitude, & de le suivre à la guerre ; Mais elle refusoit de prendre ce parti . . . C’étoit un long debat, & qui se passoit en secret, à l’insçu du Maitre de la maison, & que ces Oiseaux me rendoient tout entier, même sans oublier leurs paroles grossieres & indecentes. Or cette dispute revenoit souvent sur le tapis, apparemment par ce qu’ils l’avoient bien meditée. Une autre conversation, que je leur entendis faire, roula sur la guerre dont l’Empereur menaçoit alors les Protestants d’Allemagne, & dans la quelle nos Rossignols sembloient predire tout ce qui arriva peu de tems après. Je pense que ces Oiseaux avoient puisé tout ce qu’ils en disoient dans les entretiens secrets de quelques Gentilshommes, Officiers, ou Capitaines, qui se trouvoient fréquemment dans cette Auberge, & dans l’appartement où ils étoient. Ils racontoient toutes ces choses dans le plus profond silence de la nuit ; & je remarquai que, lorsqu’ils avoient entre eux ces sortes de conversations, ils avoient été presque muets pendant tout le jour, qu’ils employoient, sans doute, à écouter & à reflechir sur tout ce qu’ils entendoient dire aux allants & aux venants. J’avoue que je n’aurois jamais cru tant de choses Merveilleuses que notre ami Pline (le Naturaliste) nous a laissées touchant le Rossignol, si je n’avois pas vu de mes yeux, & entendu de mes propres oreilles, ce que je viens de vous exposer ».
Hé-bien, Madame. Vous attendiez-vous à de semblables Merveilles ? Voilà, dans le plus charmant de nos Oiseaux, un talent que peu de gens lui connoissoient, & qui va le rendre encore infiniment plus precieux à l’avenir aux personnes de notre sexe qui sont folles de leurs Perroquets ; Mais que celles qui sont Coquettes ayent, aussi, grand soin de ne rien faire, ni dire, devant ces petits Oiseaux, qui puisse déceler leurs galanteries. Cela n’accommoderoit assurément pas celles qui sont mariées, & encore moins leurs Epoux qui, par ce moyen, apprendroient, la nuit, les infidelitez qu’elles leur feroient pendant le jour. En toute chose il est bon d’user de precaution. C’est un Avertissement dont j’ai cru qu’elles me sçauront bon gré. Voici une petite piéce de Vers, faite à l’occasion du Livre dont je viens de vous rendre compte.

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Rossignol, ton ramage tendre Reveille les Echos des Bois.
Je ne me lasse point d’entendre
Les accents de ta Voix.
Mais que tes Chants à nos oreilles
Vont desormais paroitre doux,
Quand tu les joindras aux glou-gloux
De nos Bouteilles !
Comme les Fleurs sont encore un des plus grands ornements de la belle saison, Voici une Chanson galante sur la Rose, qui en est la Reine, & qui a été assez goûtée ici.

Metatextualidade

Je me flatte, Madame, que vous ne la trouverez pas mauvaise.
Gai, & gracieux.

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Tendre fruit des pleurs de l’Aurore,2 Objet des baisers du Zephir,
Reine de l’Empire de Flore,
Hâte toi de t’épanouir. Que dis-je, helas ! crains de paroitre, Differe un moment de t’ouvrir.
L’instant qui doit te faire naitre
Est l’instant qui doit te fletrir. Themire est une fleur nouvelle Qui subira la même Loi.
Rose, tu dois perir comme elle,
Elle doit briller comme toi. Descends de ta tige epineuse, Prête lui tes vives couleurs :
Tu dois être la plus heureuse
Comme la plus belle des fleurs. Va, meurs sur le sein de Themire ; Qu’il soit ton Trône & ton Tombeau :
Jaloux de ton sort, je n’aspire
Qu’à jouir d’un trepas si beau. Si quelque main a l’imprudence De venir troubler ton repos,
Emporte avec toi ta deffense,
Garde une epine à mes rivaux. Tu verras plus d’un jour peut-être L’Asile où tu vas pénétrer.
Un soupir te fera renaitre,
Si Themire peut soupirer. L’Amour aura soin de t’instruire De quel côté tu dois pancher.
Eclate à ses yeux sans leur nuire ;
Pare son sein sans le cacher. Qu’enfin elle rende les armes Au Dieu qui serra mes liens,
Et qu’en voyant finir tes charmes,
Elle aprenne à jouir des siens.
J’ai l’honneur d’être &c.

Paris ce 28 Juin 1751.

Jeudi ce 8 Juillet 1751.

1(a) Gesner, dans son Traité de Avibus, pag. 594. & suiv.

2Note des éditeurs : Dans le texte original, cette chanson est accompagnée des notes que nous n’avons pas pu copier dans cette édition digitale.