La Bigarure: N°. 16.
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Nivel 1
N°. 16.
Nivel 2
Carta/Carta al director
Relato general
Retrato ajeno
LEs Notaires, qui jusque là avoient cru que le pauvre
Moribond avoit le transport au cerveau, tomberent de leur haut, lorsqu’ils virent un
homme, qui possedoit tant de richesses, dans un endroit, & dans une situation si
miserables. Ils lui demanderent au quel de ses parents il laissoit tous ces biens. A
aucun, leur repondit-il ; car ils n’en ont pas besoin. Ils sont tous bien plus riches
que moi, & quelque soin que j’aye eu d’oeconomiser, je n’ai jamais pu en amasser
autant qu’ils en ont. Peut-être y serois-je parvenu si j’avois encore vécu une dixaine
d’années ; mais comme il y a apparence que cela n’arrivera pas, je veux disposer du peu
que j’ai en faveur de la personne que vous allez voir. Alors le bon homme, donnant, une
seconde fois, de sa savate sur le plancher, on vit paroitre, un moment après, une fille
âgée d’environ dix sept ans, belle comme le jour, & qui étoit la fille de la pauvre
vieille femme qu’il avoit apellée d’abord ; aussi étoit-elle mise d’une
maniere fort simple. Messieurs, dit-il aux Notaires lorsqu’elle fut arrivée, Voilà
l’aimable enfant à qui je laisse tout ce que je possede dans le monde, & que
j’aurois epousée, sans la maladie qui va me mettre au tombeau. Elle m’a servi avec
autant de fidelité, qu’elle a de Vertu. Il est juste qu’elle en reçoive la récompense. A
ces mots, le bon homme signe le Testament, fait payer les Notaires qui, ayant vu sa
signature, ne furent pas peu étonnez d’y trouver le nom de Monsieur de N . . . . dont
ils connoissoient très bien la famille qui fait ici une des plus brillantes figures dans
une si pitoyable situation. Ils n’eurent rien de plus pressé, que de donner avis de ce
qui venoit de se passer, aux parents du Testateur, qui accoururent tous, dans
l’intention, & l’esperance de lui faire revoquer la donation qu’il avoit faite ;
mais il n’étoit plus tems ; & au moment qu’ils arriverent, le vilain avare venoit
d’expirer d’une maladie que sa lezine lui avoit occasionnée, & pour la guerison de
laquelle il n’avoit pas même voulu apeller de Medecins, de peur que cela ne lui coutat
de l’argent.
Metatextualidad
Peut-on porter plus loin la folie & la sordidité de
l’avarice ? . . . Non, sans doute, Monsieur. Mais continuez à lire, & vous allez voir
d’autres traits d’extravagance qui ne vous allez voir d’autres traits d’extravagance qui
ne vous amuseront pas moins.
Relato general
Retrato ajeno
A Caldbeek, dans le Duché de Cumberland, est un certain
Marchand, dont je ne sçai pour quelle raison on ne m’a designé le nom que
par ces Lettres J. F. H. K. de M --- d --- le. Cet homme, qui est aussi avare que riche,
loin d’avoir jamais aimé les femmes, avoit toujours fuï le Mariage, par la raison que
c’est un état qui entraine avec lui beaucoup de depenses. Une femme, des enfans, des
Domestiques à nourir, à entretenir, quelle étrange profusion ! quelle ruine ! quelle
dissipation ! Où peut-on trouver assez d’argent pour tout cela ? Par ces raisons, que
lui suggeroit son extrême avarice, notre Anglois avoit passé plus de cinquante ans dans
le celibat, & ne s’y étoit occupé pendant tout ce tems que du soin d’augmenter ses
trésors. La reputation qu’il avoit d’être fort riche (comme il l’étoit effectivement)
excitoit l’attention de bien des Peres de familles qui, plutôt pour l’amour de son bien,
que de sa personne, auroient voulu lui donner leurs filles en mariage. Chacun lui
faisoit amitié, & le courtisoit dans cette vue ; mais notre homme, en garde contre
la seduction, n’avoit des yeux que pour son tresor qui avoit toutes ses inclinations. On
dit communément que c’est une œuvre méritoire que de tromper les Avares. Bien des gens,
du-moins, sont dans cette persuasion. Un Marchand, qui avoit une très jolie fille à
marier, forma le projet de le mettre dans une espece de necessité de l’epouser. Comme
ils étoient ensemble en relation d’affaires, & se voyoient par cette raison très
souvent, il l’invita, il y a quelque temps, à souper, & pour le mieux attirer il lui
parla d’un achat de Marchandises qu’il vouloit faire, & qu’il étoit en état de lui
fournir. Attiré par l’appas du gain, & par la bonne chere qu’il ne refusoit jamais
lorsqu’elle ne lui coutoit rien, notre Harpagon ne se fit pas tirer
l’oreille. Il va souper chez le Marchand, qui le regale au mieux, & le fait boire de
même. Dès que celui-ci vit que le vin, que son Confrere ne haïssoit pas, operoit, &
l’avoit mis de fort bonne humeur, il redouble la doze, & saisit cette occasion pour
executer le projet qu’il avoit medité. Nos deux Marchands parlent d’affaires, &
concluent ensemble un marché de deux mille livres sterling en Marchandises, que l’Avare
vendit assez cher à l’acheteur ; mais celui-ci, qui avoit dessein de l’attraper, s’en
embarassa fort peu. Le marché conclu & arrêté, on se remet à boire sur nouveaux
fraix ; enfin, pour le rendre plus solide & plus incontestable, le Marchand acheteur
fit au vendeur un billet du montant de la somme, payable le jour de ses noces. L’Avare,
qui ne se defioit nullement du tour que son Confrere vouloit lui jouer, & à qui le
Vin, d’ailleurs, avoit un peu troublé la vue, ne s’aperçut point de cette clause. En
consequence le Marchand acheteur dressa la facture des Marchandises, avec les prix dont
ils étoient convenus, & la fit signer par le Vendeur qui s’engagea à lui fournir,
& envoyer, dès le lendemain, les dittes Marchandises. Le marché fut executé sans que
notre Harpagon soupçonnat rien du tour qui lui avoit été joué. Comme il croyoit avoir
traité, à l’ordinaire, avec son confrere, c’est-à-dire, à six semaines de credit, il
attendit cette échéance pour lui demander son dû. A la demande qu’il lui en fit le
debiteur repondit qu’il s’aquiteroit avec lui lorsqu’il auroit rempli la clause portée
par son Billet, & que jusqu’à ce tems-là, il n’avoit aucun droit de
lui rien demander. A cette reponse notre avare tomba de son haut. Il court à son
comptoir, cherche le Billet de son confrere, dans le quel il voit, effectivement, la
fatale clause qui y étoit exprimée en termes bien clairs, & sans nul Equivoque. D’un autre côté il s’agissoit de deux mille
livres sterling, somme immense pour un Avare, quelque riche qu’il puisse être. Perdre
cette somme, autant valoit pour lui perdre la vie ; prendre femme, & se jetter dans
toutes les depenses qu’entraine un menage, c’étoit lui arracher l’ame. Angustiæ undique,
undique Ambages. Le Moyen de sortir de ce labirinthe ! Notre homme essaya néanmoins de
s’en tirer, en proposant au Marchand un quart de rabais sur les Marchandises qu’il lui
avoit vendues ; mais celui-ci, qui croyoit le tenir dans ses filets, ne voulut point
entendre à cette proposition, & lui dit pour toute reponse, qu’il s’en tenoit à
l’accord fait entr’eux, expressément stipulé dans son Billet. Cependant il lui fit
secrettement proposer sa fille en mariage, par des personnes amies de notre avare, &
qui lui proposerent cette affaire comme un accommodement dont tout homme raisonnable
seroit charmé ; mais le bon homme, à son tour, ne voulut point souscrire à cette
proposition, qu’il rejetta bien loin. Cependant le chagrin que lui donna cette affaire
causa à notre Harpagon une maladie dont il pensa mourir. A peine fut-il guéri, que, pour
ne point s’exposer à perdre sa somme, & obliger son debiteur à la
payer comptant ; il lui vint dans l’esprit de se marier, mais d’une façon qui ne feroit
aucun tort à ses richesses, dont il avoit toujours fait l’idole de son cœur. Dans cette
vue, il fit proposer à une pauvre femme de ses voisines, qui est à peu près de son âge,
une rente Viagere de trois livres sterling, si elle vouloit l’épouser. Cette femme, qui
n’avoit pas, & n’a jamais eu un sol vaillant dans le monde, accepta cette
proposition comme la plus grande fortune qui lui put arriver. Nos deux gens s’épousent
donc ; & par cette belle union, le Marchand debiteur, contre son attente, s’est vu
obligé de payer les deux mille livres sterling ; ce qu’il a fait, le 16. du mois
dernier, jour au quel s’est célébré ce beau Mariage. Mais si notre Avare a trouvé, par
là, moyen de se faire payer de sa dette, d’un autre côté, il s’estimeroit infiniment
plus heureux d’avoir perdu le double de cette somme, & de n’avoir point fait la
folie qui lui en a procuré le payement. En effet à peine sa femme s’est-elle vue dans la
maison, qu’elle y a tout mis sans-dessus-dessous, & n’a point cessé, depuis, de
faire enrager son Mari par sa prodigalité, son luxe, & la dépense. Quelque cruelle
que soit cette situation pour un Avare, ce n’est pas encore le plus grand de ses maux.
Le pis est, qu’elle a pris sur lui un si grand ascendant, qu’il n’ose soufler devant
elle, à moins qu’il ne veuille s’exposer à être rossé d’importance, comme il l’a déjà
été plusieurs fois par cette Maitresse femme. Ne voila-t-il pas un homme bien avancé
pour avoir attendu & différé si long-tems à faire la plus grande de toutes les
folies ?
Metatextualidad
Figurez-vous, Monsieur, quel fut alors son embarras. Je vous
ai marqué la repugnance qu’il avoit pour le Mariage, & les raisons sur les quelles
étoit fondée cette repugnance.
Nivel 3
Stultitias patiuntur opes.
Relato general
Attaqué’ de cette folie, un Païsan du Village
d’Eldersfield, dans la Comté de Worchester, revenant, à Cheval, d’un marché où il avoit
été, à quelques milles de son Village, en compagnie de quelques autres Païsans, fit
gageure avec un d’eux, à qui arriveroit le plus promtement au Pont de Maismore, qui étoit
sur la route qu’ils faisoient ensemble. La gageure faite, nos deux foux se mettent à
courir à toute bride. Le premier, qui étoit apparemment le mieux monté, étoit sur le
point de gagner la gageure, lorque <sic> son Cheval, se cabrant à la vue d’un jeune
garçon qui, pour n’être point écrasé, se rangeoit du chemin, tomba avec tant de violence
qu’il renversa son Maitre. Malgré sa chûte le Païsan conserva assez de presence d’esprit
pour ne pas lâcher la bride. Le Cheval & le Cavalier se relevent, & continuent
leur course avec encore plus d’ardeur, pour ratraper son camarade qui avoit gagné les
devants ; Mais la bride qui s’étoit rompue par la chute du Cheval s’étant tout à coup
détachée, en courant, de la tête & de la bouche de cet Animal, le
Cavalier emporté par la violence de la course, tomba dans la riviere le long de la quelle
il couroit, & s’y noya faute de secours, au grand regret de sa femme, & de quatre
enfans qu’il laisse après lui pour deplorer son extravagance.
Metatextualidad
Voila-t-il assez de folies, Monsieur ? . . . . Non. Pendant
que je suis en train allons jusqu’à la demi-douzaine. Le recit de celle-ci ne sera pas si
long, que celui des autres ; mais il n’en sera pas moins instructif. C’est un exemple à
proposer à la jeunesse libertine, pour la corriger de ses desordres. Afin de le leur
mieux inculquer dans la mémoire, je ne sçai quel Poëte s’est avisé de mettre en Vers
cette petite Avanture, qui vient d’arriver ici. Je souhaitterois, pour l’amour de vous,
qu’ils fussent meilleurs ; mais les voici tels que je viens de les recevoir.
Nivel 3
Pendant le Jubilé Lisandre fit dessein De quitter le péché,
d’en faire pénitence :
Il avoit resolu de vivre comme un Saint,
Et commençoit déja d’entrer dans la soufrance ;
Pour gagner les Pardons il hantoit les saints lieux ;
Il visitoit déja la quatrieme Eglise ;
Il rencontre Philis ; quelle fut sa surprise !
Il ne peut résister au pouvoir de ses yeux.
Il quitta son Salut pour suivre son idole,
Il perd son Jubilé, & gagna la V. . . . .
Il avoit resolu de vivre comme un Saint,
Et commençoit déja d’entrer dans la soufrance ;
Pour gagner les Pardons il hantoit les saints lieux ;
Il visitoit déja la quatrieme Eglise ;
Il rencontre Philis ; quelle fut sa surprise !
Il ne peut résister au pouvoir de ses yeux.
Il quitta son Salut pour suivre son idole,
Il perd son Jubilé, & gagna la V. . . . .