Cita bibliográfica: Anonyme (Claude de Crébillon) (Ed.): "N°. 16.", en: La Bigarure, Vol.10\016 (1751), pp. 121-128, editado en: Ertler, Klaus-Dieter / Hobisch, Elisabeth (Ed.): Los "Spectators" en el contexto internacional. Edición digital, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.5108 [consultado el: ].


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N°. 16.

Nivel 2► Carta/Carta al director► Relato general► Retrato ajeno► LEs Notaires, qui jusque là avoient cru que le pauvre Moribond avoit le transport au cerveau, tomberent de leur haut, lorsqu’ils virent un homme, qui possedoit tant de richesses, dans un endroit, & dans une situation si miserables. Ils lui demanderent au quel de ses parents il laissoit tous ces biens. A aucun, leur repondit-il ; car ils n’en ont pas besoin. Ils sont tous bien plus riches que moi, & quelque soin que j’aye eu d’oeconomiser, je n’ai jamais pu en amasser autant qu’ils en ont. Peut-être y serois-je parvenu si j’avois encore vécu une dixaine d’années ; mais comme il y a apparence que cela n’arrivera pas, je veux disposer du peu que j’ai en faveur de la personne que vous allez voir.

Alors le bon homme, donnant, une seconde fois, de sa savate sur le plancher, on vit paroitre, un moment après, une fille âgée d’environ dix sept ans, belle comme le jour, & qui étoit la fille de la pauvre vieille femme qu’il avoit apellée d’abord ; aussi étoit-elle mise d’une [122] maniere fort simple. Messieurs, dit-il aux Notaires lorsqu’elle fut arrivée, Voilà l’aimable enfant à qui je laisse tout ce que je possede dans le monde, & que j’aurois epousée, sans la maladie qui va me mettre au tombeau. Elle m’a servi avec autant de fidelité, qu’elle a de Vertu. Il est juste qu’elle en reçoive la récompense. A ces mots, le bon homme signe le Testament, fait payer les Notaires qui, ayant vu sa signature, ne furent pas peu étonnez d’y trouver le nom de Monsieur de N . . . . dont ils connoissoient très bien la famille qui fait ici une des plus brillantes figures dans une si pitoyable situation.

Ils n’eurent rien de plus pressé, que de donner avis de ce qui venoit de se passer, aux parents du Testateur, qui accoururent tous, dans l’intention, & l’esperance de lui faire revoquer la donation qu’il avoit faite ; mais il n’étoit plus tems ; & au moment qu’ils arriverent, le vilain avare venoit d’expirer d’une maladie que sa lezine lui avoit occasionnée, & pour la guerison de laquelle il n’avoit pas même voulu apeller de Medecins, de peur que cela ne lui coutat de l’argent. ◀Retrato ajeno ◀Relato general

Metatextualidad► Peut-on porter plus loin la folie & la sordidité de l’avarice ? . . . Non, sans doute, Monsieur. Mais continuez à lire, & vous allez voir d’autres traits d’extravagance qui ne vous allez voir d’autres traits d’extravagance qui ne vous amuseront pas moins. ◀Metatextualidad On vient de me les envoyer d’Angleterre, où il se trouve des avares, aussi bien que par tout ailleurs ; car par tout où il y a des hommes, partout il y a des passions ; & par conséquent des folies & des foux. Voici le premier trait.

Relato general► Retrato ajeno► A Caldbeek, dans le Duché de Cumberland, est un certain Marchand, dont je ne sçai pour [123] quelle raison on ne m’a designé le nom que par ces Lettres J. F. H. K. de M --- d --- le. Cet homme, qui est aussi avare que riche, loin d’avoir jamais aimé les femmes, avoit toujours fuï le Mariage, par la raison que c’est un état qui entraine avec lui beaucoup de depenses. Une femme, des enfans, des Domestiques à nourir, à entretenir, quelle étrange profusion ! quelle ruine ! quelle dissipation ! Où peut-on trouver assez d’argent pour tout cela ? Par ces raisons, que lui suggeroit son extrême avarice, notre Anglois avoit passé plus de cinquante ans dans le celibat, & ne s’y étoit occupé pendant tout ce tems que du soin d’augmenter ses trésors. La reputation qu’il avoit d’être fort riche (comme il l’étoit effectivement) excitoit l’attention de bien des Peres de familles qui, plutôt pour l’amour de son bien, que de sa personne, auroient voulu lui donner leurs filles en mariage. Chacun lui faisoit amitié, & le courtisoit dans cette vue ; mais notre homme, en garde contre la seduction, n’avoit des yeux que pour son tresor qui avoit toutes ses inclinations.

On dit communément que c’est une œuvre méritoire que de tromper les Avares. Bien des gens, du-moins, sont dans cette persuasion. Un Marchand, qui avoit une très jolie fille à marier, forma le projet de le mettre dans une espece de necessité de l’epouser. Comme ils étoient ensemble en relation d’affaires, & se voyoient par cette raison très souvent, il l’invita, il y a quelque temps, à souper, & pour le mieux attirer il lui parla d’un achat de Marchandises qu’il vouloit faire, & qu’il étoit en état de lui fournir. Attiré par l’appas du gain, & par la bonne chere qu’il ne refusoit jamais lorsqu’elle ne lui [124] coutoit rien, notre Harpagon ne se fit pas tirer l’oreille. Il va souper chez le Marchand, qui le regale au mieux, & le fait boire de même. Dès que celui-ci vit que le vin, que son Confrere ne haïssoit pas, operoit, & l’avoit mis de fort bonne humeur, il redouble la doze, & saisit cette occasion pour executer le projet qu’il avoit medité. Nos deux Marchands parlent d’affaires, & concluent ensemble un marché de deux mille livres sterling en Marchandises, que l’Avare vendit assez cher à l’acheteur ; mais celui-ci, qui avoit dessein de l’attraper, s’en embarassa fort peu.

Le marché conclu & arrêté, on se remet à boire sur nouveaux fraix ; enfin, pour le rendre plus solide & plus incontestable, le Marchand acheteur fit au vendeur un billet du montant de la somme, payable le jour de ses noces. L’Avare, qui ne se defioit nullement du tour que son Confrere vouloit lui jouer, & à qui le Vin, d’ailleurs, avoit un peu troublé la vue, ne s’aperçut point de cette clause. En consequence le Marchand acheteur dressa la facture des Marchandises, avec les prix dont ils étoient convenus, & la fit signer par le Vendeur qui s’engagea à lui fournir, & envoyer, dès le lendemain, les dittes Marchandises. Le marché fut executé sans que notre Harpagon soupçonnat rien du tour qui lui avoit été joué. Comme il croyoit avoir traité, à l’ordinaire, avec son confrere, c’est-à-dire, à six semaines de credit, il attendit cette échéance pour lui demander son dû. A la demande qu’il lui en fit le debiteur repondit qu’il s’aquiteroit avec lui lorsqu’il auroit rempli la clause portée par son Billet, & que jusqu’à ce tems-là, il n’avoit au-[125]cun droit de lui rien demander. A cette reponse notre avare tomba de son haut. Il court à son comptoir, cherche le Billet de son confrere, dans le quel il voit, effectivement, la fatale clause qui y étoit exprimée en termes bien clairs, & sans nul Equivoque.

Metatextualidad► Figurez-vous, Monsieur, quel fut alors son embarras. Je vous ai marqué la repugnance qu’il avoit pour le Mariage, & les raisons sur les quelles étoit fondée cette repugnance. ◀Metatextualidad D’un autre côté il s’agissoit de deux mille livres sterling, somme immense pour un Avare, quelque riche qu’il puisse être. Perdre cette somme, autant valoit pour lui perdre la vie ; prendre femme, & se jetter dans toutes les depenses qu’entraine un menage, c’étoit lui arracher l’ame. Angustiæ undique, undique Ambages. Le Moyen de sortir de ce labirinthe ! Notre homme essaya néanmoins de s’en tirer, en proposant au Marchand un quart de rabais sur les Marchandises qu’il lui avoit vendues ; mais celui-ci, qui croyoit le tenir dans ses filets, ne voulut point entendre à cette proposition, & lui dit pour toute reponse, qu’il s’en tenoit à l’accord fait entr’eux, expressément stipulé dans son Billet. Cependant il lui fit secrettement proposer sa fille en mariage, par des personnes amies de notre avare, & qui lui proposerent cette affaire comme un accommodement dont tout homme raisonnable seroit charmé ; mais le bon homme, à son tour, ne voulut point souscrire à cette proposition, qu’il rejetta bien loin.

Cependant le chagrin que lui donna cette affaire causa à notre Harpagon une maladie dont il pensa mourir. A peine fut-il guéri, que, pour ne point s’exposer à perdre sa somme, & [126] obliger son debiteur à la payer comptant ; il lui vint dans l’esprit de se marier, mais d’une façon qui ne feroit aucun tort à ses richesses, dont il avoit toujours fait l’idole de son cœur. Dans cette vue, il fit proposer à une pauvre femme de ses voisines, qui est à peu près de son âge, une rente Viagere de trois livres sterling, si elle vouloit l’épouser. Cette femme, qui n’avoit pas, & n’a jamais eu un sol vaillant dans le monde, accepta cette proposition comme la plus grande fortune qui lui put arriver. Nos deux gens s’épousent donc ; & par cette belle union, le Marchand debiteur, contre son attente, s’est vu obligé de payer les deux mille livres sterling ; ce qu’il a fait, le 16. du mois dernier, jour au quel s’est célébré ce beau Mariage.

Mais si notre Avare a trouvé, par là, moyen de se faire payer de sa dette, d’un autre côté, il s’estimeroit infiniment plus heureux d’avoir perdu le double de cette somme, & de n’avoir point fait la folie qui lui en a procuré le payement. En effet à peine sa femme s’est-elle vue dans la maison, qu’elle y a tout mis sans-dessus-dessous, & n’a point cessé, depuis, de faire enrager son Mari par sa prodigalité, son luxe, & la dépense. Quelque cruelle que soit cette situation pour un Avare, ce n’est pas encore le plus grand de ses maux. Le pis est, qu’elle a pris sur lui un si grand ascendant, qu’il n’ose soufler devant elle, à moins qu’il ne veuille s’exposer à être rossé d’importance, comme il l’a déjà été plusieurs fois par cette Maitresse femme. Ne voila-t-il pas un homme bien avancé pour avoir attendu & différé si long-tems à faire la plus grande de toutes les folies ? ◀Retrato ajeno ◀Relato general

En voici une cinquiéme qui a eu un dénouement beaucoup plus fâcheux en Angleterre [127] où la chose s’est de même passée, il y a environ huit jours. Vous sçavez, Monsieur, qu’une des grandes passions des Anglois est de se plaire à la course des Chevaux. Ce n’est pas seulement parmi les Grands que regne cette passion. Les riches particuliers, les Bourgeois aisez, le peuple, enfin les Païsans mêmes y sont touts atteints de cette manie. Je lui donne ce nom par raport aux gens des deux dernieres classes ; car pour les autres, vous sçavez qu’un de nos Poëtes Latins a dit, que

Nivel 3► Stultitias patiuntur opes. ◀Nivel 3

Relato general► Attaqué’ de cette folie, un Païsan du Village d’Eldersfield, dans la Comté de Worchester, revenant, à Cheval, d’un marché où il avoit été, à quelques milles de son Village, en compagnie de quelques autres Païsans, fit gageure avec un d’eux, à qui arriveroit le plus promtement au Pont de Maismore, qui étoit sur la route qu’ils faisoient ensemble. La gageure faite, nos deux foux se mettent à courir à toute bride. Le premier, qui étoit apparemment le mieux monté, étoit sur le point de gagner la gageure, lorque <sic> son Cheval, se cabrant à la vue d’un jeune garçon qui, pour n’être point écrasé, se rangeoit du chemin, tomba avec tant de violence qu’il renversa son Maitre. Malgré sa chûte le Païsan conserva assez de presence d’esprit pour ne pas lâcher la bride. Le Cheval & le Cavalier se relevent, & continuent leur course avec encore plus d’ardeur, pour ratraper son camarade qui avoit gagné les devants ; Mais la bride qui s’étoit rompue par la chute du Cheval s’étant tout à coup détachée, en courant, de la tête & de [128] la bouche de cet Animal, le Cavalier emporté par la violence de la course, tomba dans la riviere le long de la quelle il couroit, & s’y noya faute de secours, au grand regret de sa femme, & de quatre enfans qu’il laisse après lui pour deplorer son extravagance. ◀Relato general

Metatextualidad► Voila-t-il assez de folies, Monsieur ? . . . . Non. Pendant que je suis en train allons jusqu’à la demi-douzaine. Le recit de celle-ci ne sera pas si long, que celui des autres ; mais il n’en sera pas moins instructif. C’est un exemple à proposer à la jeunesse libertine, pour la corriger de ses desordres. Afin de le leur mieux inculquer dans la mémoire, je ne sçai quel Poëte s’est avisé de mettre en Vers cette petite Avanture, qui vient d’arriver ici. Je souhaitterois, pour l’amour de vous, qu’ils fussent meilleurs ; mais les voici tels que je viens de les recevoir. ◀Metatextualidad

Nivel 3► Pendant le Jubilé Lisandre fit dessein

De quitter le péché, d’en faire pénitence :
Il avoit resolu de vivre comme un Saint,
Et commençoit déja d’entrer dans la soufrance ;
Pour gagner les Pardons il hantoit les saints lieux ;
Il visitoit déja la quatrieme Eglise ;
Il rencontre Philis ; quelle fut sa surprise !
Il ne peut résister au pouvoir de ses yeux.
Il quitta son Salut pour suivre son idole,
Il perd son
Jubilé, & gagna la V. . . . . ◀Nivel 3

J’ai l’honneur d’être &c.

Paris ce 23. Juin 1751.

◀Carta/Carta al director ◀Nivel 2

Jeudi ce 1 Juillet 1751.

◀Nivel 1