Citation: Anonyme (Claude de Crébillon) (Ed.): "N°. 14.", in: La Bigarure, Vol.10\014 (1751), pp. 105-112, edited in: Ertler, Klaus-Dieter / Hobisch, Elisabeth (Ed.): The "Spectators" in the international context. Digital Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.5106 [last accessed: ].
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N°. 14.
Level 2► Letter/Letter to the editor► Metatextuality► Comment trouvez-vous cette traduction, Monsieur ? Ne m’avouerez-vous pas qu’elle l’emporte de beaucoup, en beauté, sur l’Original ? ◀Metatextuality La Morale que ces Distiques contiennent, étant à la portée des personnes les plus simples, & même des enfans, pour qui il paroit que l’Auteur les a principalement composez, & aux quels on ne sçauroit inspirer de trop bonne heure des sentiments & des principes de Vertu, je m’étonne que nous ayons été si long-tems sans en avoir une traduction. Il est vrai que, pour nous en consoler, nous pouvons dire ici, avec justice, que nous n’avons point perdu pour attendre. C’est aux parents, & à toutes les personnes chargées de leur éducation, à profiter de ce secours, & à les leur inculquer dans la mémoire, à la place de ces contes de Vieilles, & de ces Fables ridicules, dont ils la leur remplissent ordinairement
J’en dis autant, Monsieur, d’un autre petit Livre que je viens de recevoir de la Haye, & dont l’Auteur est, dit-on, de plusieurs siécles encore plus ancien que celui dont je viens de parler. Il est intitulé L’Economie de la vie humaine, traduite sur un Manuscript Indien composé par un [106] ancien Bramine. Si nous étions encore dans ces siécles d’ignorance crasse, qui a si long-tems deshonoré la nature humaine, vos Dames & vos Messieurs seroient, sans doute, effrayez à ces mots d’Indiens & de Bramines. Les uns & les autres ne pouroient s’imaginer, comme on ne pouvoit se le figurer autrefois, qu’il pût sortir rien de bon de la tête d’un infidelle & d’un idolâtre ; Mais, grace au Ciel, la Raison a dissipé ces préjugez ridicules, & même insensez. Toutes les personnes raisonnables sçavent aujourd’hui que la Piété & la saine Morale ont été de tous les tems, de tous les païs, & de toutes les Religions. Qui voudroit encore en douter n’a qu’à ouvrir ce Livre. En effet, il y trouvera une collection de Sentences dignes de la Sagesse de Salomon, & des plus grands hommes de l’Antiquité Sacrée. Metatextuality► Pour vous en convaincre, Monsieur, ainsi que les personnes de votre Société, jettez seulement les yeux sur ces deux morceaux que le hazard me fait tomber sous la main. ◀Metatextuality
Level 3► « Puisque les jours passez sont disparus pour toujours, & que ceux qui sont à venir peuvent n’arriver jamais jusqu’à toi, il t’importe, o homme, d’employer le present, sans regretter la perte du passé, & sans trop compter sur l’avenir. . . . Cet instant est à toi ; & celui qui le doit suivre est dans les abîmes de l’avenir ; & tu ne sçais point ce qu’il poura t’aporter. . . . Ce que tu projettes, execute-le sans délai. Ne renvoye point jusqu’au soir ce que tu peux faire le matin. . . . L’oisiveté produit le besoin & le tourment ; mais le travail de la Vertu raporte du plaisir. . . . La main du diligent écarte le besoin ; La prosperité accompagne l’homme actif & appliqué…. Qui est celui qui a aquis des richesses, qui [107] s’est vétu d’honneur & de gloire, dont les louanger retentissent dans la Cité, & qui se tient devant le Roi en son Conseil ? C’est l’homme qui a interdit à l’oisiveté l’entrée de sa tente, & qui a dit à la fainéantise : tu es mon ennemie . . Cet homme se leve de bon matin, & & <sic> se couche tard. Il exerce son esprit par la meditation, & son corps par le travail, & il leur conserve la santé à l’un & à l’autre. . . . Le fainéant est à charge à lui même. Il dit, le soir, qui me fera voir le matin ? & le matin, qui me fera voir le soir ? Il se traine d’ennuis en ennuis, & ne sçait point ce qu’il veut faire. . . . Ses jours se passent comme l’ombre d’un nuage, & il ne laisse après lui ni trace ni mémoire. Son corps est affoibli faute d’exercice. Il voudroit agir ; mais il n’a pas la force de se mouvoir. Son esprit est envelopé de ténebres, ses pensées sont confuses ; il aimeroit à sçavoir ; mais il ne sçauroit s’apliquer. Il desire de manger du fruit de l’arbre, & ne peut se donner la peine de le cueillir . . . . Sa maison est en désordre. La dissipation regne parmi ceux qui le servent. Il court à sa ruine, il le voit de ses yeux, il l’entend de ses oreilles ; il secoue la tête & il se consume en souhaits sans rien résoudre, jusqu’à ce que la ruine l’enveloppe comme un Tourbillon, & que la honte & les regrets descendent avec lui dans le Sepulchre. » ◀Level 3
Que ces deux portraits sont ressemblants & naturels ! On y reconnoit les objets que l’on a tous les jours devant les yeux. Mais que le dernier est désagréable & revoltant pour des personnes qui ont des sentiments, & qui pensent ! C’est cependant celui de la plûpart des riches, & même des gens qu’on apelle aisez, c’est-[108]-à-dire, d’un bon tiers, au moins, du genre humain. Voici, dans le morceau suivant, la condamnation d’un nombre de personnes, qui n’est guére moins considérable.
Level 3► « Que des Créatures sans intelligence les hommes reçoivent des leçons de sagesse, & qu’ils en fassent l’application. . . . . Va au desert, mon fils ; prends garde au petit de la Cicogne, & qu’il parle à ton cœur. Quelle attention à secourir, dans sa vieillesse, celui qui lui donna la vie ! Il le loge, le nourit, le porte sur ses ailes. . . Manquerois-tu de reconnoissance envers ton Pere ? Tu lui dois la vie ; envers ta Mere ? Elle t’a élevé. . . . Ecoute les paroles de ton Pere. Ce qu’il te dit est pour ton bien. Prête l’oreille à ses exhortations ; il te les donne, parce qu’il t’aime. . . . Il a veillé sur tes jours : il s’est peiné, pour les rendre heureux ; porte donc respect à son âge, & ne permets point qu’on lui manque de respect dans ses vieux ans. . . Suporte tes parents, lorsqu’ils seront sur le declin ; assiste les dans leur vieillesse, & subviens à leurs infirmitez. Qu’ils se secoururent tendrement dans ton enfance ! Qu’ils furent indulgents envers toi dans ta jeunesse ? . . . Il est beau de voir des enfans rendre à leurs parents ce qui leur est dû. Ce spectacle est plus agréable que l’odeur de l’encens qui fume sur les Autels, plus delicieux qu’un parfum composé des Aromates les plus exquis. . . . Honore donc les auteurs de ta naissance. Tu feras descendre en paix leurs cheveux blancs dans le Sepulcre ; & tes enfans formez sur ton exemple, te récompenseront par le retour des mêmes devoirs. » ◀Level 3
Metatextuality► Voila, Monsieur, un échantillon des excel-[109]lentes instructions contenues dans le petit Livre que je vous ai annoncé ◀Metatextuality ; instructions qui ont, dit-on, été laissées, il y a plus de vingt siécles, par un Bramine, ou Prêtre idolâtre, aux Indiens de son tems. Ai-je eu tort de les comparer aux Sentences de Salomon ? Quelles plus grandes & plus respectables veritez pouroit prêcher en Chaire l’élégant Traducteur ( )1 qui vient de nous faire part de ce petit Ouvrage, vraiment digne de la jeune & aimable Princesse à qui il l’a dedié ( )2 , & dans l’Auguste famille de la quelle on a vu, de tout tems, & l’on voit encore tous les jours, pratiquer les sages leçons que cet excellent Livre contient d’un bout à l’autre ; car tout y est presque de la même beauté. Aussi puis-je assurer, Monsieur, du moins autant que je peux m’y connoitre, qu’on ne sçauroit guére en mettre de meilleur entre les mains de nos jeunes gens, & de toutes les personnes qui recherchent, qui aiment, & qui veulent pratiquer la Vertu.
Ce seroit le veritable moyen de rémédier, en partie, aux maux que cause, parmi nous, l’ignorance de quelques uns de nos Pasteurs, qui n’en sçavent pas, à beaucoup près, autant qu’en sçavoit le Bramine dont je viens de parler ; temoin ce Curé, du Diocèse d’Orleans, dont l’ignorance & la naïveté ont occasionné l’Epigramme que voici.
Epigramme.
Level 3► En faisant sa visite, un Evêque assuré
De l’ignorance d’un Curé,
Lui demanda, d’un ton de Maitre,
Quel Ane de Prélat l’avoit pu faire Prêtre.
[110] Le bon Curé, d’un air humble & civil :
C’est vous, Monseigneur, lui dit-il. ◀Level 3
Metatextuality► Puisque les dernieres matieres que je viens de traiter dans cette Lettre m’ont fait tomber sur l’éducation des enfans, article, à mon avis, le plus essenciel & le plus utile à la Societé Civile, puis qu’il en doit faire, avec le tems, le bonheur ou le malheur, le bon ordre ou le derangement, j’ajouterai encore ici, Monsieur, une Nouveauté, qui n’est pas moins propre à leur orner l’esprit, que les autres, dont je viens de vous rendre compte, sont propres à leur former le cœur. ◀Metatextuality C’est une invention, aussi amusante pour eux, qu’elle est singuliere. Elle a été imaginée par un de nos Ingenieurs, qui est au Service du Prince de Conti, & me paroit excellente pour apprendre la Geographie aux enfans ; voici ce que c’est. On se sert pour cela de petites Cartes Géographiques, de la grandeur, & de la forme des Cartes à jouer. Sur ces Cartes sont placées les principales Contrées du Continent, avec les Villes principales de chaque Province, ou Royaume. Par exemple, l’Allemagne est partagée, dans ce jeu, en Cercles, dans les quels sont distinguez les Souverainetez, les Electorats, Duchez, Comtez, Landgraviats, Margraviats, Baronies, Archevêchez, Abbayes, &c. l’Angleterre, l’Ecosse, l’Irlande, la France, l’Espagne, &c. sont divisées à peu près de même, & ainsi de tous les autres païs du monde. Voilà pour les Cartes ; & voici la construction du jeu.
Le Roi & la Dame y sont désignés, en partie, par des têtes Couronnées, & le Valet par un Chapeau, ou Bonnet, à la mode du païs dont la Carte porte le nom. Au dessous de cette figure est un Cartouche sur le quel est, en tête, le nom de la Ville principale, & celui de la Riviere, ou Port de Mer, sur le quel elle se trouve située ; & plus bas, dans le Cartouche du Roi, sont [111] les bornes de l’Empire, du Royaume, ou des Provinces dont la Carte porte le nom. Dans celui de la Dame est la division des dits Etats ; & dans celui du Valet, se trouvent les noms des principales Rivieres qui les arrosent. La Carte qui represente l’As, porte au centre l’Ecu des Armes de l’Empire, Royaume, Province, dont elle porte le nom, blazonnées selon les regles ordinaires du Blazon. Ainsi il ne faut avoir aucun égard à la couleur qui est dessus. Elle ne sert qu’à faire connoitre la couleur avec la quelle elle doit aller. Les As du jeu des quatre parties du Monde sont differents, parce qu’il n’y a point d’Armes particulieres de ces quatre parties. Par cette raison, pour les rendre plus conformes aux autres, on a mis un petit Cartouche, dans le centre de la Carte, sur le quel Cartouche est une figure Hieroglyphique, qui represente la partie du Monde dont la Carte porte le nom. Dans le même Cartouche est le nom d’une Ville, avec celui de la Riviere qui y passe. Au-dessus & au-dessous de ces Cartouches, & des Ecus, on a eu soin de marquer la fertilité du païs & son Commerce. Il y a de plus dans les Rois, Dames, & Valets, des détails plus particuliers ; sçavoir, la distance de la Ville, qui est au haut du Cartouche, à la Capitale de l’Empire, du Royaume &c. A l’égard des autres Cartes, telles que les dix, neuf, huit, sept, six, cinq, quatre, trois, deux, elles sont désignées par leur nombre de points qui representent autant de Villes, de Bourgs, avec leurs noms, rivieres, distances de la Capitale ; & à l’accolade, le nom de la Province, Généralité, Principauté, Duché, Comté, &c. dont la Ville ou le Bourg depend.
C’est ainsi, Monsieur, que, pour faciliter l’étude à nos enfans, & leur en inspirer le goût, nous nous occupons ici à inventer des jeux qui les instruisent en les amusant. L’Inventeur de celui-ci le propose, comme une chose très utile, aux Peres de famille, aux Precepteurs, aux Regents [112] de Collége, aux Maitres de pension, aux Gouverneurs, en un mot à toutes les personnes préposées pour l’éducation des jeunes gens. Mais quelque belle & utile que paroisse cette invention, je crains bien que ce jeu n’ait pas tant de vogue, que celui de la Comette, de Lombre, du Quadrille, du Lansquenet, & de quantité d’autres, dont le moindre mal est la perte irreparable du Tems, que l’on y passe très inutilement, & dont si peu de gens connoissent le prix inestimable.
J’ai l’honneur d’être &c.
Paris ce 15 Juin 1751.
◀Letter/Letter to the editor ◀Level 2
Livres nouveaux.
Qui se vendent à la Haye, chez Pierre Gosse Junior Libraire de S. A. R.
Nouvelle Maison Rustique, ou Economie Generale de tous les biens de Campagne, la Maniere de les entretenir & de les Multiplier, donne ci-devant au Public par le Sr. Liger. Sixième Edition considerablement augmentée & mise en meilleur ordre, avec la vertu des Simples, l’Apoticairerie & les Decisiones du Droit François sur les Matieres Rurales. 4. fig. en deux gros Volumes, Paris 1749.
Lettres Angloises ou Histoire de Miss Clarisse Harlove, 8. 2 tomes 4 vol. Dresde 1751.
La Teomachie Poëme Archi-Heroique, 8. Imprimé dans l’Isle Frivole 1751.
Fausse Inconstance, Comedie de Mr. Moissy, 12. Paris 1751.
Melange de differentes Pieces de Vers & de Prose, traduites de l’Anglois, d’après Mesdames Heynwood & Suzanne cent lirre <sic>, Mrs. Pope, Southern & autres, 8. 3 vol. Berlin 1751.
Tragedies-Opera de l’Abbé Metastasio, traduites en François, 12. 5 vol. Vienne 1751.
L’Art de Verifier les Dates des faits Historiques des Chartres, des Croniques & autres Anciens Monumens depuis la Naissance de Notre Seigneur, par le Moyen d’une Table Chronologique, par des Religieux Benedictins, 4. 2 vol. Paris 1720.
Histoire de l’Academie Royale des Sciences & des Belles Lettres de Berlin, années 1745. 46. 47. & 48. 4. 4 vol. Berlin 1746 à 1750.
Essai d’un Traité du Stiles des Cours, ou Réflexions sur la Maniere d’ecrire dans les affaires d’Etat, contenant des Maximes à ce sujet, tirées des Lettres, Memoires & Actes Publics de notre Siecle & éclaircies par des Exemples, par J. S. Snecdorff, 8. Gottingue 1751.
Jeudi ce 24 Juin 1751.
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