La Bigarure: N°. 11.
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Nível 1
N°. 11.
Nível 2
Carta/Carta ao editor
LOrsque vous étiez ici, Madame, j’ai remarqué que nos
Spectacles Militaires étoient assez de votre goût. J’ai du-moins assisté avec vous à
quelques uns qui me paroissoient vous faire beaucoup de plaisir. Si la Province vous aura
changée à cet égard, c’est ce que j’ignore. A tout hasard, je vais vous en décrire ici un,
que l’on vient de nous donner, & dont j’aurois été bien aise que vous eussiez pris
votre part, dans la persuasion où je suis qu’il vous auroit été fort agréable, au
dénouement près, qui n’a été rien moins que gracieux pour quelques uns des Spectateurs.
Voici ce dont il est question. Au-reste, Madame, ce n’est
pas toujours un malheur pour les filles ; & il est certains cas dans la vie où ces
escapades, quoique très condamnables en elles mêmes, ne laissent pas de leur réussir. Je
n’en veux point d’autre preuve, que l’avanture que voici, & qui est arrivée ici, la
semaine derniere. Je finis Madame par une autre
Nouveauté qu’on vient de me donner. Chanson nouvelle. J’ai l’honneur
d’être &c. Paris ce 7 Juin 1751.
Narração geral
Il y a environ dix ans que le
Roi n’avoit fait la revue générale des Troupes à Cheval qui composent sa Maison. S. M.
fit assembler, il y a quelques jours, dans une plaine, nommée pour cette raison le Champ
de Mars, entre Versailles & S. Germain, tous les differents Corps qui composent cette
illustre Milice, Grenadiers à Cheval, Chevaux-legers, Mousquetaires, Gardes-du-Corps,
& Gendarmes de la Garde, tous équippez & montez magnifiquement. Pour rendre cette
revue plus brillante, les Commandants de ces differents Corps, qui sont tous des
Seigneurs de la premiere consideration, se piquerent, à l’envi, de générosité, & chercherent à se distinguer particulierement les uns des autres par
leur magnificence. Dans cette vue, ils firent dresser, chacun à la tête des Corps qu’ils
commandoient, des tentes superbes, sous les quelles furent servis des repas somptueux,
& des tables pour tous les allants & venants. On assure que la depense qu’ont
fait quelques uns, à cette occasion, se monte à plus de dix mille livres. Les Maréchaux
de France, les Lieutenants-Généraux, le Maréchaux de Camp se trouverent tous à cette
espece de Feste Militaire, & y parurent tous en uniforme. Les differents Corps de
troupes, qui composent la Maison du Roi, furent assemblez sur les dix heures, &
firent quelques évolutions, après les quelles tous se mirent à table. A trois, on borda
les hayes; & tout le monde se mit sous les armes. On manégea, & l’on fit quelques
exercices jusqu’à l’arrivée du Roi qui parut, environ sur les cinq heures, avec toute la
Cour, qui se trouva assemblée dans cette plaine. On fit devant S. M. les évolutions,
& les exercices, dont Elle parut extrêmement satisfaite, ainsi que du bon ordre, de
l’arrangement, & de la discipline qui s’observent dans ces Corps ; après quoi, toutes
les Trompettes ayant sonné, chaque Corps défila devant S. M. qui s’en retourna,
lorsqu’elle les eut tous passez en revue. Comme cette magnificence arrive ici rarement,
il sembloit que tout Paris, qui est le séjour & le vrai centre de la curiosité, eut
déserté, pour se rendre au Champ de Mars. Quinze jours avant qu’elle se fit, on
s’assuroit à cet effet des Chevaux, ou des Carosses, qu’on faisoit payer très cher,
attendu la curiosité, & le nombre presque innombrable de personnes qui ont voulu voir
cette fête. Il s’en est trouvé qui, pour cela, n’ont pas eu honte de donner jusqu’à vingt
écus pour la journée d’un mauvais Cheval qui ne valoit pas une pistole. & cette curiosité a couté la vie à
un Mousquetaire ; Voici de quelle maniere la chose arriva. Comme la foule des Spectateurs
étoit immense, celui-ci qui bordoit la haye, s’étant avancé pour faire reculer quelques
personnes qui avoient de beaucoup passé les bornes prescrites, poussa si fort avec ses
armes, qu’il culbuta un Officier & une jeune Dame qui lui appartenoit, dit-on, de
fort près. Les culbutez se relevent, se plaignent de la grossiereté du Mousquetaire. On
se menace, on s’injurie de part & d’autre. La revue finie, l’Officier, ne pouvant
digérer que le Mousquetaire l’ait osé insulter, non seulement lui, mais encore sa
maitresse, le va chercher, & lui demande satisfaction de l’injure qu’il pretend avoir
reçue. Ils se battent ; le Mousquetaire est tué sur la place ; & voilà le premier
dénouement qu’a eu cette Fête Militaire. Le second, qui n’a pas été tout-à-fait si
Tragique, n’a pas été moins fâcheux pour quelques autres Spectateurs à qui leur curiosité
a couté un peu cher ; & voici comment. Cinq ou six jeunes étourdis, ayant fait la
partie d’aller voir cette revue, avec chacun leur Maitresse, n’ayant pu trouver, pour
cela, de Carosses, furent contraints de prendre des Chevaux. La partie de plaisir ne leur
en parut que plus belle. Ils s’arrangerent de façon, que chaque Demoiselle s’habilleroit
en homme, & monteroit comme eux à cheval. Chacun étoit charmé de la Metamorphose.
Elle réussit parfaitement ; & les uns & les autres assisterent, & virent la
revue, & toute la brillante fête, sans qu’il leur arrivat le moindre accident. Parmi
les jeunes gens un plaisir en amene un autre. En revenant à la Ville, on passe par
Chaillot, qui en est le rendezvous. Le moyen d’y passer sans se divertir !
On s’arrête au Cabaret ; on y commande le souper. On fait grand’-chere. Le vin coule
& s’avale à grands flots. Comme il commence à opérer, on s’égaye, on s’evertue, &
chacun se met à badiner immodestement avec sa chacune. Par malheur pour les convives, qui
ne respiroient que le plaisir, les servantes du Cabaret s’aperçurent de cet impudique
badinage, dont le travestissement des Donzelles augmentoit encore le scandale. Elles en
font le raport à leur Maitresse qui, n’en étant pas moins scandaliséé que ses filles,
envoye chercher une escouade du Guet, le quel rôde toujours dans ce Village qui est à la
porte de cette Capitale. La maison est aussitôt investie. Les galants qui ne respiroient
que la joye & les plaisirs, se trouvent pris comme dans un filet ; & tous
ensemble sont conduits en prison où ils sont encore. Voilà ce que c’est que d’être
curieux, & de courir les champs avec des garçons.
Metatextualidade
Vous jugez bien, Madame, que, quand on a fait une
pareille dépense pour satisfaire sa curiosité, on seroit très fâché de s’en retourner
sans avoir vu tout ce qu’il y a à voir ;
Narração geral
Un Mousquetaire fréquentoit, depuis
quelque tems, une fort aimable Demoiselle qu’il s’étoit proposé d’enlever, pour vivre
avec elle à la Mousquetaire. Il auroit d’autant mieux réussi dans son projet, que la
belle repondoit parfaitement à sa tendresse, que vraisemblablement elle croyoit très
sincere. Mais par malheur pour ces deux Amants, ceux qu’ils avoient mis dans leur
confidence les trahirent, comme ils crurent devoir le faire, & avertirent les parents
de la Demoiselle de ce qui se passoit, à leur insçu, dans l’interieur de leur maison. En
gens experimentez & prudents, ceux-ci jugerent bien qu’il leur seroit
difficile, pour ne pas dire impossible, de conserver chez eux cet Oiseau, & de le
garantir du Vautour qui avoit entrepris de le croquer. Ils prirent donc le parti de faire
enfermer cette belle enfant dans un Couvent, à quelques lieues de cette Capitale. Ce
projet s’executa si secrettement, que le Mousquetaire, malgré toutes les démarches &
les perquisitions qu’il put faire, n’avoit pu venir à bout de découvrir le lieu de sa
retraite. Il eut beau questionner les Domestiques, leur donner même de l’argent pour
tâcher de tirer d’eux quelque éclaircissement, il ne trouva que des bouches closes, qui
peut-être ne l’étoient que parce qu’aucun d’eux ne sçavoit ce qu’étoit devenue leur jeune
Maitresse. Pendant qu’il se tourmentoit ainsi, de son coté, la jeune Demoiselle n’avoit
pas moins d’impatience de revoir son amant. Quelque moyen qu’elle eut tenté pour lui
donner de ses nouvelles, aucun n’avoit réussi. Enfin s’étant adressée au Jardinier du
Couvent, dans la main du quel elle coula un écu de six francs, elle lui fit tant de
caresses, & d’instances, qu’elle l’engagea à mettre à la Poste une Lettre qu’elle
écrivit à son galant. La commission ayant été fidellement exécutée, & la Lettre
parvenue à son adresse, le Mousquetaire se met l’esprit à la torture pour imaginer un
moyen d’exécuter le projet qu’il avoit déja manqué une fois. Il fallut en essayer plus
d’un, avant que de le faire réussir. Cependant le Jardinier, qui étoit devenu le Courtier
de ce galant Commerce, dont il tiroit, de part & d’autre, des profits assez
considerables pour un homme de sa sorte, se laissa enfin gagner par une douzaine de Louis
d’or que l’amant lui promit s’il vouloit l’aider dans cette affaire, & inventer un
stratagême assez heureux pour réussir. Le tems dans le quel nous sommes actuellement lui
en fournit une occasion des plus favorables. Dans la saison du Printems on
permet aux Religieuses, & plus volontiers encore aux Pensionnaires, d’aller, à
certaines heures, se promener dans le Jardin. La Demoiselle amoureuse n’avoit garde d’y
manquer ; & dans ces promenades, elle manquoit encore moins de causer avec le
Jardinier, qui lui donnoit des nouvelles de son Amant. Il lui apprit qu’il s’étoit
chargé, moyennant une recompense, de la tirer du Couvent, pour la remettre entre les
mains de ce galant homme, qui l’avoit assuré que ce n’étoit que pour en faire sa femme.
Il ajouta que, pour leur faire à l’un & à l’autre ce plaisir, il avoit imaginé un
stratagême qu’il esperoit qui lui réussiroit ; qu’elle n’avoit, pour cela qu’à se trouver
dans le même endroit sur les trois heures de l’après dinée. Un Collier de perles fines, qu’elle avoit
pour lors à son cou, & deux Boucles assez riches qu’elle portoit à ses oreilles,
furent les gages qu’il reçut de sa générosité. Il ne s’agissoit plus que de se concerter
ensemble, pour ne pas manquer son coup. Le jardinier lui apprit donc que, devant aller le
lendemain, dès les trois heures du matin, à Paris, avec une Charette chargée de légumes,
il avoit la liberté de sortir ces légumes du Jardin du Couvent à l’heure qu’il lui
indiquoit, & qu’il avoit imaginé de la tirer de sa captivité en la passant dans sa
hotte, si elle y consentoit. C’etoit demander à un malade s’il veut qu’on lui rende la
santé. Les presents qu’elle venoit de faire au Jardinier ne l’avoient que trop assuré de
son consentement. S’étant donc trouvée à l’heure marquée dans l’endroit qu’il lui avoit
indiqué, il l’empaquetta parmi des Laitues, des Porreaux, des Carottes, des Epinards,
& quantité d’autres Legumes. L’ayant ainsi empaquettée, il charge la
hotte sur ses épaules, & s’en va, comme s’il n’eut eu qu’une charge ordinaire. La
crainte d’être decouverts, l’un transgressant les Loix du Couvent, & l’autre d’y être
plus étroitement resserrée s’ils avoient le malheur de ne pas réussir, leur donna à tous
les deux quelques allarmes. Il s’agissoit de franchir la porte du Jardin, & de
traverser une grande basse-cour. Une vieille Religieuse Touriere, aussi impitoyable que
le Dragon qui gardoit le Jardin des Hesperides, faisoit sentinelle à la premiere ; &
il y avoit, dans la seconde, plusieurs Domestiques qui travailloient à divers ouvrages.
Ils furent assez heureux pour échaper d’abord à la vigilance de la vieille Religieuse,
dont l’examen & les perquisitions se bornerent à la superficie de la hotte. Delivrez
de ce premier péril, il sembloit qu’ils n’avoient plus rien à craindre. La fille en effet
se seroit échapée, sans l’étourderie du Mousquetaire qui, impatient de voir le succès du
stratagême, dont le Jardinier lui avoit fait part, parut dans la basse-cour où il eut
l’imprudence de compter au bon homme les douze Louis qu’il lui avoit promis. Le malheur
voulut qu’il y fut aperçu de la sainte Harpie, qui, se doutant, à cet indice, qu’il y
avoit quelque Anguille sous roche, cria aussitôt aux Domestiques de fermer toutes les
portes ; ce qui fut executé sur le champ. Voila nos deux Oiseaux pris comme au trebuchet,
& tout le Couvent en rumeur. La Superieure fait aussitôt partir pour Paris un exprès,
par le quel elle donne avis aux parents de ce qui vient d’arriver. Ils s’assemblent sur
le champ pour deliberer sur ce qu’ils doivent faire dans cette rencontre. Le resultat de
leur deliberation, fut que, comme il étoit moralement impossible de faire entendre
raison, ni de sauver l’honneur, à une fille lorsqu’elle s’est une fois coëffée d’un
Militaire, il n’y avoit point d’autre parti à prendre, que de lui faire épouser
promtement celui-ci. Ce sage conseil a été exécuté, au grand contentement de
la jeune Demoiselle qui, sans ce stratagême, & l’envie qu’elle avoit de courir les
champs avec son galant, seroit encore entre quatre murailles. Il n’en est peut-être pas
de même du Mousquetaire pour qui cette avanture n’a pas eu le denouement qu’il s’en étoit
proposé, le quel n’étoit assurément pas d’en venir au Sacrement ; Mais, hongré, malgré,
il a fallu qu’il en passat par là ; faute de quoi il auroit été puni & châtié, comme
Ravisseur, par la Justice qui, dans ce païs-ci, n’entend point raillerie sur cet article.
Celui qui a le plus souffert dans cette affaire, est le pauvre Jardinier du Couvent, qui,
par l’étourderie du Militaire, a été chassé, & a perdu une place qui lui donnoit à
vivre, aussi bien qu’à sa femme & à ses enfans.
Metatextualidade
Je vous laisse à penser, Madame, quelle fut la joye de cette petite personne, lorsqu’il
lui annonça cette agréable Nouvelle.
Nível 3
Oui,
je veux te consacrer Les plus beaux jours de ma vie :
Mon cœur, fait pour t’adorer,
Ne connoit que toi, Silvie.
Mon bonheur desormais
Depend de ta tendresse.
Ah ! si je le perdois,
J’en mourrois de tristesse. Mes rivaux ne sçauront pas Que tu partages ma flame.
Qu’ils célébrent tes appas ;
Mais que je regne en ton ame.
Voudrois-tu te priver,
Quand ton cœur me préfére,
Du plaisir d’éprouver
A quel point tu sçais plaire ? Non, je ne croirai jamais Que leurs feux puissent me nuire ;
Ils sont tous trop indiscrts <sic> :
Leur amour tient du délire.
Le mien craint d’éclater ;
Il n’en est pas moins tendre ;
Mais il n’ose parler
Que quand tu veux l’entendre.
Mon cœur, fait pour t’adorer,
Ne connoit que toi, Silvie.
Mon bonheur desormais
Depend de ta tendresse.
Ah ! si je le perdois,
J’en mourrois de tristesse. Mes rivaux ne sçauront pas Que tu partages ma flame.
Qu’ils célébrent tes appas ;
Mais que je regne en ton ame.
Voudrois-tu te priver,
Quand ton cœur me préfére,
Du plaisir d’éprouver
A quel point tu sçais plaire ? Non, je ne croirai jamais Que leurs feux puissent me nuire ;
Ils sont tous trop indiscrts <sic> :
Leur amour tient du délire.
Le mien craint d’éclater ;
Il n’en est pas moins tendre ;
Mais il n’ose parler
Que quand tu veux l’entendre.
