Zitiervorschlag: Anonyme (Claude de Crébillon) (Hrsg.): "N°. 11.", in: La Bigarure, Vol.10\011 (1751), S. 81-88, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter / Hobisch, Elisabeth (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.5103 [aufgerufen am: ].


Ebene 1►

N°. 11.

Ebene 2► Brief/Leserbrief► LOrsque vous étiez ici, Madame, j’ai remarqué que nos Spectacles Militaires étoient assez de votre goût. J’ai du-moins assisté avec vous à quelques uns qui me paroissoient vous faire beaucoup de plaisir. Si la Province vous aura changée à cet égard, c’est ce que j’ignore. A tout hasard, je vais vous en décrire ici un, que l’on vient de nous donner, & dont j’aurois été bien aise que vous eussiez pris votre part, dans la persuasion où je suis qu’il vous auroit été fort agréable, au dénouement près, qui n’a été rien moins que gracieux pour quelques uns des Spectateurs. Voici ce dont il est question.

Allgemeine Erzählung► Il y a environ dix ans que le Roi n’avoit fait la revue générale des Troupes à Cheval qui composent sa Maison. S. M. fit assembler, il y a quelques jours, dans une plaine, nommée pour cette raison le Champ de Mars, entre Versailles & S. Germain, tous les differents Corps qui composent cette illustre Milice, Grenadiers à Cheval, Chevaux-legers, Mousquetaires, Gardes-du-Corps, & Gendarmes de la Garde, tous équippez & montez magnifiquement. Pour rendre cette revue plus brillante, les Commandants de ces differents Corps, qui sont tous des Seigneurs de la premiere consideration, se piquerent, à l’envi, de gé-[82]nérosité, & chercherent à se distinguer particulierement les uns des autres par leur magnificence. Dans cette vue, ils firent dresser, chacun à la tête des Corps qu’ils commandoient, des tentes superbes, sous les quelles furent servis des repas somptueux, & des tables pour tous les allants & venants. On assure que la depense qu’ont fait quelques uns, à cette occasion, se monte à plus de dix mille livres. Les Maréchaux de France, les Lieutenants-Généraux, le Maréchaux de Camp se trouverent tous à cette espece de Feste Militaire, & y parurent tous en uniforme. Les differents Corps de troupes, qui composent la Maison du Roi, furent assemblez sur les dix heures, & firent quelques évolutions, après les quelles tous se mirent à table. A trois, on borda les hayes; & tout le monde se mit sous les armes. On manégea, & l’on fit quelques exercices jusqu’à l’arrivée du Roi qui parut, environ sur les cinq heures, avec toute la Cour, qui se trouva assemblée dans cette plaine. On fit devant S. M. les évolutions, & les exercices, dont Elle parut extrêmement satisfaite, ainsi que du bon ordre, de l’arrangement, & de la discipline qui s’observent dans ces Corps ; après quoi, toutes les Trompettes ayant sonné, chaque Corps défila devant S. M. qui s’en retourna, lorsqu’elle les eut tous passez en revue.

Comme cette magnificence arrive ici rarement, il sembloit que tout Paris, qui est le séjour & le vrai centre de la curiosité, eut déserté, pour se rendre au Champ de Mars. Quinze jours avant qu’elle se fit, on s’assuroit à cet effet des Chevaux, ou des Carosses, qu’on faisoit payer très cher, attendu la curiosité, & le nombre presque innombrable de personnes qui ont voulu voir cette fête. Il s’en est trouvé qui, pour cela, n’ont pas eu honte de donner jusqu’à vingt écus pour la journée d’un mauvais Cheval qui ne valoit pas une pistole. Metatextualität► Vous jugez bien, [83] Madame, que, quand on a fait une pareille dépense pour satisfaire sa curiosité, on seroit très fâché de s’en retourner sans avoir vu tout ce qu’il y a à voir ; ◀Metatextualität & cette curiosité a couté la vie à un Mousquetaire ; Voici de quelle maniere la chose arriva. Comme la foule des Spectateurs étoit immense, celui-ci qui bordoit la haye, s’étant avancé pour faire reculer quelques personnes qui avoient de beaucoup passé les bornes prescrites, poussa si fort avec ses armes, qu’il culbuta un Officier & une jeune Dame qui lui appartenoit, dit-on, de fort près. Les culbutez se relevent, se plaignent de la grossiereté du Mousquetaire. On se menace, on s’injurie de part & d’autre. La revue finie, l’Officier, ne pouvant digérer que le Mousquetaire l’ait osé insulter, non seulement lui, mais encore sa maitresse, le va chercher, & lui demande satisfaction de l’injure qu’il pretend avoir reçue. Ils se battent ; le Mousquetaire est tué sur la place ; & voilà le premier dénouement qu’a eu cette Fête Militaire.

Le second, qui n’a pas été tout-à-fait si Tragique, n’a pas été moins fâcheux pour quelques autres Spectateurs à qui leur curiosité a couté un peu cher ; & voici comment. Cinq ou six jeunes étourdis, ayant fait la partie d’aller voir cette revue, avec chacun leur Maitresse, n’ayant pu trouver, pour cela, de Carosses, furent contraints de prendre des Chevaux. La partie de plaisir ne leur en parut que plus belle. Ils s’arrangerent de façon, que chaque Demoiselle s’habilleroit en homme, & monteroit comme eux à cheval. Chacun étoit charmé de la Metamorphose. Elle réussit parfaitement ; & les uns & les autres assisterent, & virent la revue, & toute la brillante fête, sans qu’il leur arrivat le moindre accident. Parmi les jeunes gens un plaisir en amene un autre. En revenant à la Ville, on passe par Chaillot, qui en est le rendez-[84]vous. Le moyen d’y passer sans se divertir ! On s’arrête au Cabaret ; on y commande le souper. On fait grand’-chere. Le vin coule & s’avale à grands flots. Comme il commence à opérer, on s’égaye, on s’evertue, & chacun se met à badiner immodestement avec sa chacune. Par malheur pour les convives, qui ne respiroient que le plaisir, les servantes du Cabaret s’aperçurent de cet impudique badinage, dont le travestissement des Donzelles augmentoit encore le scandale. Elles en font le raport à leur Maitresse qui, n’en étant pas moins scandaliséé que ses filles, envoye chercher une escouade du Guet, le quel rôde toujours dans ce Village qui est à la porte de cette Capitale. La maison est aussitôt investie. Les galants qui ne respiroient que la joye & les plaisirs, se trouvent pris comme dans un filet ; & tous ensemble sont conduits en prison où ils sont encore. Voilà ce que c’est que d’être curieux, & de courir les champs avec des garçons. ◀Allgemeine Erzählung

Au-reste, Madame, ce n’est pas toujours un malheur pour les filles ; & il est certains cas dans la vie où ces escapades, quoique très condamnables en elles mêmes, ne laissent pas de leur réussir. Je n’en veux point d’autre preuve, que l’avanture que voici, & qui est arrivée ici, la semaine derniere.

Allgemeine Erzählung► Un Mousquetaire fréquentoit, depuis quelque tems, une fort aimable Demoiselle qu’il s’étoit proposé d’enlever, pour vivre avec elle à la Mousquetaire. Il auroit d’autant mieux réussi dans son projet, que la belle repondoit parfaitement à sa tendresse, que vraisemblablement elle croyoit très sincere. Mais par malheur pour ces deux Amants, ceux qu’ils avoient mis dans leur confidence les trahirent, comme ils crurent devoir le faire, & avertirent les parents de la Demoiselle de ce qui se passoit, à leur insçu, dans l’interieur de leur maison. En gens experimentez & prudents, ceux-ci jugerent bien [85] qu’il leur seroit difficile, pour ne pas dire impossible, de conserver chez eux cet Oiseau, & de le garantir du Vautour qui avoit entrepris de le croquer. Ils prirent donc le parti de faire enfermer cette belle enfant dans un Couvent, à quelques lieues de cette Capitale. Ce projet s’executa si secrettement, que le Mousquetaire, malgré toutes les démarches & les perquisitions qu’il put faire, n’avoit pu venir à bout de découvrir le lieu de sa retraite. Il eut beau questionner les Domestiques, leur donner même de l’argent pour tâcher de tirer d’eux quelque éclaircissement, il ne trouva que des bouches closes, qui peut-être ne l’étoient que parce qu’aucun d’eux ne sçavoit ce qu’étoit devenue leur jeune Maitresse.

Pendant qu’il se tourmentoit ainsi, de son coté, la jeune Demoiselle n’avoit pas moins d’impatience de revoir son amant. Quelque moyen qu’elle eut tenté pour lui donner de ses nouvelles, aucun n’avoit réussi. Enfin s’étant adressée au Jardinier du Couvent, dans la main du quel elle coula un écu de six francs, elle lui fit tant de caresses, & d’instances, qu’elle l’engagea à mettre à la Poste une Lettre qu’elle écrivit à son galant. La commission ayant été fidellement exécutée, & la Lettre parvenue à son adresse, le Mousquetaire se met l’esprit à la torture pour imaginer un moyen d’exécuter le projet qu’il avoit déja manqué une fois. Il fallut en essayer plus d’un, avant que de le faire réussir. Cependant le Jardinier, qui étoit devenu le Courtier de ce galant Commerce, dont il tiroit, de part & d’autre, des profits assez considerables pour un homme de sa sorte, se laissa enfin gagner par une douzaine de Louis d’or que l’amant lui promit s’il vouloit l’aider dans cette affaire, & inventer un stratagême assez heureux pour réussir.

Le tems dans le quel nous sommes actuellement lui en fournit une occasion des plus favorables. [86] Dans la saison du Printems on permet aux Religieuses, & plus volontiers encore aux Pensionnaires, d’aller, à certaines heures, se promener dans le Jardin. La Demoiselle amoureuse n’avoit garde d’y manquer ; & dans ces promenades, elle manquoit encore moins de causer avec le Jardinier, qui lui donnoit des nouvelles de son Amant. Il lui apprit qu’il s’étoit chargé, moyennant une recompense, de la tirer du Couvent, pour la remettre entre les mains de ce galant homme, qui l’avoit assuré que ce n’étoit que pour en faire sa femme. Il ajouta que, pour leur faire à l’un & à l’autre ce plaisir, il avoit imaginé un stratagême qu’il esperoit qui lui réussiroit ; qu’elle n’avoit, pour cela qu’à se trouver dans le même endroit sur les trois heures de l’après dinée.

Metatextualität► Je vous laisse à penser, Madame, quelle fut la joye de cette petite personne, lorsqu’il lui annonça cette agréable Nouvelle. ◀Metatextualität Un Collier de perles fines, qu’elle avoit pour lors à son cou, & deux Boucles assez riches qu’elle portoit à ses oreilles, furent les gages qu’il reçut de sa générosité. Il ne s’agissoit plus que de se concerter ensemble, pour ne pas manquer son coup. Le jardinier lui apprit donc que, devant aller le lendemain, dès les trois heures du matin, à Paris, avec une Charette chargée de légumes, il avoit la liberté de sortir ces légumes du Jardin du Couvent à l’heure qu’il lui indiquoit, & qu’il avoit imaginé de la tirer de sa captivité en la passant dans sa hotte, si elle y consentoit.

C’etoit demander à un malade s’il veut qu’on lui rende la santé. Les presents qu’elle venoit de faire au Jardinier ne l’avoient que trop assuré de son consentement. S’étant donc trouvée à l’heure marquée dans l’endroit qu’il lui avoit indiqué, il l’empaquetta parmi des Laitues, des Porreaux, des Carottes, des Epinards, & quantité d’autres Legumes. L’ayant ainsi empaquettée, il charge la [87] hotte sur ses épaules, & s’en va, comme s’il n’eut eu qu’une charge ordinaire. La crainte d’être decouverts, l’un transgressant les Loix du Couvent, & l’autre d’y être plus étroitement resserrée s’ils avoient le malheur de ne pas réussir, leur donna à tous les deux quelques allarmes. Il s’agissoit de franchir la porte du Jardin, & de traverser une grande basse-cour. Une vieille Religieuse Touriere, aussi impitoyable que le Dragon qui gardoit le Jardin des Hesperides, faisoit sentinelle à la premiere ; & il y avoit, dans la seconde, plusieurs Domestiques qui travailloient à divers ouvrages. Ils furent assez heureux pour échaper d’abord à la vigilance de la vieille Religieuse, dont l’examen & les perquisitions se bornerent à la superficie de la hotte. Delivrez de ce premier péril, il sembloit qu’ils n’avoient plus rien à craindre. La fille en effet se seroit échapée, sans l’étourderie du Mousquetaire qui, impatient de voir le succès du stratagême, dont le Jardinier lui avoit fait part, parut dans la basse-cour où il eut l’imprudence de compter au bon homme les douze Louis qu’il lui avoit promis. Le malheur voulut qu’il y fut aperçu de la sainte Harpie, qui, se doutant, à cet indice, qu’il y avoit quelque Anguille sous roche, cria aussitôt aux Domestiques de fermer toutes les portes ; ce qui fut executé sur le champ.

Voila nos deux Oiseaux pris comme au trebuchet, & tout le Couvent en rumeur. La Superieure fait aussitôt partir pour Paris un exprès, par le quel elle donne avis aux parents de ce qui vient d’arriver. Ils s’assemblent sur le champ pour deliberer sur ce qu’ils doivent faire dans cette rencontre. Le resultat de leur deliberation, fut que, comme il étoit moralement impossible de faire entendre raison, ni de sauver l’honneur, à une fille lorsqu’elle s’est une fois coëffée d’un Militaire, il n’y avoit point d’autre parti à prendre, que de lui faire épouser promtement celui-ci. Ce sage conseil a été exécuté, au grand contentement de [88] la jeune Demoiselle qui, sans ce stratagême, & l’envie qu’elle avoit de courir les champs avec son galant, seroit encore entre quatre murailles. Il n’en est peut-être pas de même du Mousquetaire pour qui cette avanture n’a pas eu le denouement qu’il s’en étoit proposé, le quel n’étoit assurément pas d’en venir au Sacrement ; Mais, hongré, malgré, il a fallu qu’il en passat par là ; faute de quoi il auroit été puni & châtié, comme Ravisseur, par la Justice qui, dans ce païs-ci, n’entend point raillerie sur cet article. Celui qui a le plus souffert dans cette affaire, est le pauvre Jardinier du Couvent, qui, par l’étourderie du Militaire, a été chassé, & a perdu une place qui lui donnoit à vivre, aussi bien qu’à sa femme & à ses enfans. ◀Allgemeine Erzählung

Je finis Madame par une autre Nouveauté qu’on vient de me donner.

Chanson nouvelle.

Ebene 3► Oui, je veux te consacrer

Les plus beaux jours de ma vie :
Mon cœur, fait pour t’adorer,
Ne connoit que toi, Silvie.
Mon bonheur desormais
Depend de ta tendresse.
Ah ! si je le perdois,
J’en mourrois de tristesse.

Mes rivaux ne sçauront pas

Que tu partages ma flame.
Qu’ils célébrent tes appas ;
Mais que je regne en ton ame.
Voudrois-tu te priver,
Quand ton cœur me préfére,
Du plaisir d’éprouver
A quel point tu sçais plaire ?

Non, je ne croirai jamais

Que leurs feux puissent me nuire ;
Ils sont tous trop indiscrts <sic> :
Leur amour tient du délire.
Le mien craint d’éclater ;
Il n’en est pas moins tendre ;
Mais il n’ose parler
Que quand tu veux l’entendre. ◀Ebene 3

J’ai l’honneur d’être &c.

Paris ce 7 Juin 1751.

◀Brief/Leserbrief ◀Ebene 2

Jeudi ce 17 Juin 1751.

◀Ebene 1