La Bigarure: N°. 7.
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N°. 7.
Nível 2
Carta/Carta ao editor
Un de nos Poëtes Comiques, faisant la description de cette
Capitale, & des différentes especes de gens qui l’habitent, lorsqu’il en est à une
certaine Classe de mauvais sujets dont elle se passeroit très bien, & qui y sont
aujourd’hui en plus grand nombre que jamais, s’écrie :
Breda, le 21 Mai 1751.
J’ai l’honneur d’être &c. Paris ce 31 Mai 1751.
Nível 3
Ah !
que Paris abonde en fripons, en Filoux, En hateurs de pavé, de qui la Metairie,
Le revenu, le fond consiste en industrie,
Et qui n’ont ni rubans, ni galons, ni plumet,
Qu’aux dépens du tribut qu’ils doivent au Gibet !
Le revenu, le fond consiste en industrie,
Et qui n’ont ni rubans, ni galons, ni plumet,
Qu’aux dépens du tribut qu’ils doivent au Gibet !
Metatextualidade
Pour peu qu’on ait roulé dans cette grande Ville, on ne
reconoit que trop (heureux si on n’en fait pas soi même l’épreuve à ses dépens !) qu’il
n’y a rien d’outré dans cette exclamation de notre Poëte. En voici de nouvelles preuves,
Monsieur, pour les personnes de votre Société qui voudroient encore en douter ; car pour
vous, vous avez trop long-tems séjourné ici pour avoir sur cela le moindre doute.
Narração geral
Il y a quelques semaines qu’un homme, magnifiquement mis,
fit arrêter un superbe Carosse, dans le quel il étoit, vis-à-vis la porte d’un riche fabriquant de galons d’or & d’argent, de notre rue S. Denis, dont la
femme étoit alors dans son Comptoir. Cet homme, étant descendu accosta, galamment la
Dame, avec la quelle il causa pendant quelque tems. Il l’entretint de diverses matieres,
&, entre autres choses, de certains galons, points d’Espagne, franges, crepines d’or
& d’argent, d’un nouveau goût, qu’il vouloit, disoit-il, lui faire faire, tant pour
l’habillement de ses gens, que pour l’embellissement de ses meubles. Le resultat, ou le
terme de cette conversation, fut, qu’il la pria de vouloir bien lui donner des Louis pour
de l’argent. La bonne mine de ce pretendu Seigneur, l’appas du gain qu’elle esperoit
faire sur les marchandises dont il venoit de lui parler, quelques galanteries qu’il lui
avoit dites, chose dont on n’est pas chiche envers les femmes dans cette Ville,
engagerent celle-ci à lui faire ce plaisir ; de sorte qu’elle lui en changea quelques
douzaines. Il l’en remercia très poliment, en la priant encore de vouloir bien lui rendre
le même service en d’autres occasions. La Dame fabriquante, charmée de ses politesses, le
lui promit. En effet étant revenu, quinze jours après, elle lui fit le même plaisir ;
& notre homme redoubla encore ce manége plusieurs fois de suite. Cependant le
Fabriquant, attentif à ses affaires, comme doit l’être tout bon Negociant qui veut y
faire honneur, s’aperçut qu’il manquoit à sa caisse une somme assez considerable. Ses
premiers soupçons tomberent sur ses Domestiques, puis sur son Commis, ensuite sur ses
enfans ; & enfin sur sa femme. Il observa secrettement les uns & les autres, fit
des recherches, mit leur fidelité à l’épreuve ; mais il ne put rien
découvrir de ce qu’il vouloit sçavoir. Queques <sic> jours après, le changeur
revint, à son ordinaire. Le Marchand, qui étoit pour lors à la maison, déja prévenu par
ce que sa femme lui avoit dit de ce prétendu Seigneur, & des emplettes qu’il avoit
dessein de faire, le reçut avec beaucoup de politesse. La conversation roula, comme la
premiere fois, sur les Marchandises de nouveau gôut qu’il vouloit faire faire
<sic>, & même qu’il commanda. Elle se termina, à l’ordinaire, par un nouveau
change qu’il proposa. Le Frabriquant eut la même complaisance qu’avoit eu sa femme, &
fut attrapé de même. Ne s’en étant aperçu que quelques moments après, il ne douta point
que ce ne fut un tour du changeur ; mais comme celui-ci étoit déja loin, & qu’il lui
auroit été fort inutile de courir après, il prit le parti d’attendre que la fortune le
ramenat chez lui, comme il avoit promis d’y revenir. Si le Filou avoit sçu qu’on s’étoit
aperçu de son larcin, il se seroit bien gardé de reparoitre chez le Marchand ; Mais le
succès nous aveugle bien souvent ; & comme jusqu’alors ses coups de main avoient été
fort heureux, il se flatta qu’ils lui réussiroient encore, & revint à la charge. Le
Fabriquant, qui l’attendoit, avoit prévenu quelques uns de ses gens qu’il chargea du soin
de l’observer. Ils le firent effectivement, & remarquerent que cet adroit Filou,
pendant qu’il amusoit leur Maitre, mettoit la main dans une corbeille pleine de Louis que
celui-ci venoit d’apporter pour lui changer son argent, & qu’il avoit même déja
commencé à en escamoter quelques uns. Ils ne s’en furent pas plus tôt aperçus, que, sans
aucun respect pour sa pretendue qualité, ni pour ses magnifiques habits, ils
se jetterent sur lui, & lui saisirent les Louis, qu’il avoit encore dans les mains.
Leur Maitre ne doutant plus alors qu’il n’en eût fait autant, à chaque fois que sa femme
lui avoit changé son argent contre de l’or, & que c’étoit de là que venoit son
mécompte, se joint à ses gens, & veut envoyer chercher la Garde & le Commissaire,
pour le mettre entre les mains de la Justice. Alors le Filou, se croyant perdu sans
ressource, offrit de rendre tout ce qu’il avoit pris, si on lui permettoit d’aller le
chercher chez lui. On n’eut garde d’entendre à cette proposition. Toute la grace qu’on
put lui faire, fut qu’il avoueroit son larcin, & qu’il en rendroit sur le champ la
valeur, faute de quoi on l’alloit faire conduire en prison, d’où il ne sortiroit que pour
être pendu, comme il le méritoit. Effraye’ de cette menace, le fripon avoua son vol &
la valeur. Comme il ne se trouvoit point en argent (car effectivement il n’avoit pas un
sol sur lui, comme on s’en convainquit en le fouillant), voyant qu’on persistoit à le
vouloir livrer à la Justice, il offrit, en restitution de ce qu’il avoit pris, une
magnifique Tabatiere d’or, guillochée, & son épée, qui ne paroissoit guére moins
précieuse. A la vue de ces deux piéces, le Marchand, qui sçavoit qu’en le faisant pendre
il ne lui reviendroit rien de ce qu’il lui avoit volé, se laissa fléchir aux prieres du
Filou. Cependant, comme il se doute, avec raison, que celui-ci ne lui a pas déclaré
au-juste la valeur de ce qu’il lui a pris, pour plus de sureté, il joint encore à ces
pieces une Montre qu’il lui voit, & qu’il croit d’or. Il y auroit, sans doute, encor
joint son habit, qui étoit magnifiquement galonné ; mais l’ayant regardé de
près, & s’étant aperçu que les galons étoient faux, il le lui laissa sur le corps,
& dit à ses gens de le laisser aller. Notre Filou ne demanda pas son reste, &
s’esquiva promptement, en quoi il fit très bien ; Car le Marchand, ayant examiné, après
son départ, les piéces qu’il venoit de tirer de ce fripon, il se trouva que la Montre
n’étoit qu’une miserable patraque, dont la boëte n’étoit qu’une miserable patraque, dont
la boëte n’étoit que de Similor *1, ainsi que la Tabatiere, & la
poignée de l’épée, qu’il lui avoit laissées. Voilà ce qui s’apelle se tirer d’un mauvais
pas en vrai Filou. Voici une friponnerie d’un autre genre, & dont le dénouement
n’auroit pas été si heureux pour celle qui l’a faite, si elle n’eut pas eu affaire à un
si bon Maitre.
Metatextualidade
Vous connoissez, Monsieur, le Sieur Dupré, célébre Danseur,
& Maitre des Ballets de notre Opera, emploi dans le quel il succeda, dans le tems que
vous êtiez encore ici, au fameux Blondi.
Narração geral
Ce Dupré avoit à son service un Laquais & une
Gouvernante. Le Laquais, peu content de sa condition, quitta son Maitre, il y a quelque
tems, pour en prendre un autre. La Gouvernante en fit autant, quelques mois après. Un
jour que ces deux Domestiques étoient déja partis de chez lui, il prit fantaisie au Sieur
Dupré de mettre un certain habit qu’il ne mettoit pas souvent. Il ordonna pour cet effet
à son Domestique de le tirer d’une armoire où il serroit tout ce qu’il vouloit conserver.
Mais loin de l’y trouver, il étoit disparu, ainsi que plusieurs habits très
riches qu’il ne portoit que fort rarement. Le premier soupçon du Vol tomba sur le
Laquais, que le Sieur Dupré ne sçut où chercher. Comme il sçavoit où demeuroit son
ancienne Gouvernante, il alla la trouver, pour tâcher de le deterrer par son moyen, &
en tirer quelque éclaircissement sur le Vol qui lui avoit été fait. Pour l’intimider,
& la faire parler, il l’envoya chercher par un Exemt, de sa connoissance, qui
l’emmena avec lui. Les femmes sont naturellement curieuses. La Maitresse de la
Gouvernante, voulut sçavoir ce qu’alloit devenir son Domestique, & où elle alloit se
rendre avec lui. Pour cet effet elle la suivit des yeux par sa fênetre, & la vit
entrer avec lui dans un Cabaret. Là le Sieur Dupré & l’Exemt l’interrogerent sur le
Vol qu’on lui avoit fait. La Gouvernante ne balança pas un moment d’en accuser le
Laquais, qu’ils allerent chercher sur le champ tous les trois ensemble. Quand ils le
virent, ils lui déclinerent le crime dont il étoit accusé, & que celui-ci nia
hardiment en le rejettant, à son tour, sur la Gouvernante. On insista long-tems à lui
faire rendre les effets volez, ou à lui faire dire, du moins, ce qu’il en avoit fait.
Comme il persistoit à nier, on fut contraint de le mettre en prison, ne fut-ce que pour
en tirer les éclaircissements qu’on vouloit avoir. Alors ils reconduisirent la
Gouvernante chez sa Maitresse qui, piquée de ce qu’on avoit gardé son Domestique pendant
presque toute la journée, chanta la game à la Gouvernante & au Sieur Dupré, qu’elle
ne connoissoit pas, & qu’elle prit pour quelque racrocheur, & un débaucheur de
filles. Il en rit beaucoup ; & ayant décliné son nom à la Dame,
celle-ci, qui avoit beaucoup entendu parler de lui, & de ses talents, lui fit des
excuses de son incartade, & pardonna à sa Gouvernante. Cependant la Justice procede
contre le pauvre Laquais qui, se trouvant innocent du crime qu’on lui impute, le rejette,
à son tour, sur la Gouvernante, qui est arrêtée, & conduite en prison. Le Sieur
Dupré, l’ayant appris, court la voir, lui reproche son crime, & lui promet de la
sauver encore, si elle veut lui dire ce qu’elle a fait de ses effets. Alors elle lui
avoue que c’étoit elle qui les avoit pris, & qu’elle les avoit vendus pour la somme
de 1800 liv. qu’elle avoit donnée à un jeune homme qu’elle aimoit. On voulut sçavoir quel
étoit ce jeune homme. Elle en nomma successivement une vingtaine ; & lorsqu’on se
mettoit en devoir de les aller chercher, elle se retractoit aussitôt. Enfin, sur la
menace qu’on lui fit qu’on la mettroit à la question si elle pretendoit se moquer ainsi
de la Justice, elle en nomma un, qui est un jeune Marquis d’une très grande famille, peu
riche à la verité, mais qui possede des emplois assez considerables. On lui demanda
quelles raisons elle pouvoit avoir pour faire des presents à ce Marquis. . . . C’est,
repondit-elle, parce qu’il repond pour moi dans les maisons dans les quelles j’entre. Ne
voila-t-il pas, Monsieur, un bel emploi, & qui fait beaucoup d’honneur à la Noblesse
ruinée ? Ce qu’il y a de plus singulier, c’est qu’on a découvert, à cette occasion, qu’il
y avoit bien des pauvres Nobles qui subsistent ici par des moyens encore bien moins
honêtes. Quoiqu’il en soit, cette affaire en est demeurée là, grace à la
bonté du Sieur Dupré qui aime mieux perdre ses habits, que de faire perdre la vie à un de
ses Domestiques, & que de deshonorer une famille illustre dans la personne du jeune
Marquis, le quel, si on poursuivoit le procès, pouroit bien s’y trouver aussi compliqué.
On garde néanmoins toujours la prisonniere.
Metatextualidade
Si la fin de l’Avanture que je viens de nous écrire vous
paroit singuliere, en voici une troisieme, Monsieur, qui vous paroitra bien plus étrange.
Je viens d’en recevoir la relation d’un de mes Amis, qui me l’a mandée de Montpellier,
& dont voici la Lettre.
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Narração geral
Je vous ai promis, Monsieur, & très cher Ami, de vous
faire part de ce qui pouroit arriver d’extraordinaire dans notre Province, ne fut-ce que
pour vous témoigner ma reconnoissance des amitiez & bons offices que j’ai reçus de
vous pendant le sejour que j’ai fait dans votre Capitale. Je m’aquitte de ma promesse,
en vous faisant part d’un événement qui, je crois, n’a jamais eu d’exemples dans le
monde. Le voici. La fille d’un Cordonnier de Langres, en Bourgogne, ayant eu le malheur
de se laiser <sic> seduire par une de ces infames qui font commerce de l’honneur
des filles, eut tant de honte de reparoitre dans sa famille qu’elle avoit deshonorée,
qu’elle résolut de ne jamais revoir ses parents, mais d’aller, au contraire, cacher son
infamie dans quelque Ville éloignée où jamais on n’entendroit parler d’elle. A cette
honte se joignit une horreur étrange, & presque inconcevable, non seulement pour les
malheureuses qui exerçoient la même profession que celle qui l’avoit perdue, mais encore
pour les hommes qu’elle détestoit tous ; haine si forte qu’elle auroit
voulu pouvoir exterminer les uns & les autres. Pour executer son projet, & pour
satisfaire sa vengeance, elle se travestit en homme, & vint à Lyon où, ayant appris
que l’emploi de Bourreau étoit vacant, elle le sollicita, & l’obtint. Le hazard
voulut que, quelques jours après qu’elle eut pris possession de cet emploi, il se
presenta une Execution qui quadroit parfaitement avec les dispositions dans les quelles
elle étoit. Ce fut celle d’une de ces infames qui prostituent, argent comptant,
l’honneur des filles, & quelquefois celui des femmes. Celle-ci avoit été condamnée à
être pendue, avec deux Courtisannes, de ses éléves, pour avoir fait enlever & violer
la fille d’un Marchand Epicier-Droguiste de Lyon. On ne pouvoit presenter au nouveau
Bourreau-femelle d’opération plus agréable à faire ; aussi la fit-elle avec joye, &
s’en aquita des mieux. Elle commença par les deux Courtisannes qu’elle expedia avec
autant d’adresse, & de sang-froid, que si elle n’eut fait rien autre chose de toute
sa vie. A l’égard de leur infame Matrone, la haine qu’elle avoit prise pour ces sortes
de femmes qui lui avoient fait perdre son honneur, l’anima à s’en venger sur celle-ci.
En effet, comme elle avoit plus de peine à mourir que ses deux éléves, qui venoient de
la précéder, après l’avoir laissé souffrir aussi long-tems qu’elle put, voyant enfin que
les Spectateurs s’impatientoient & murmuroient contre le nouveau Bourreau, comme
s’il n’avoit pas sçu son metier, pour leur faire voir le contraire, elle sauta, &
s’assit sur les épaules de cette malheureuse. Alors, lui prenant la tête, qui se trouva
par ce moyen entre ses jambes, elle lui tordit le cou à diverses reprises, avec tant de
violence, que quand la patiente auroit eu mille vies, elle n’en auroit
jamais pu réchaper. Tel fut le debut de cette nouvelle Heroïne la quelle s’aquita de
cette opération avec une joye qui fut remarquée des assistants. Elle fut suivie de
plusieurs autres ; car, comme vous pouvez le sçavoir d’ailleurs, les Executions sont
assez frequentes dans cette grande Ville. Qui croiroit, Monsieur, qu’un cœur aussi dur,
& qui paroit même barbare dans une personne de ce Sexe, auroit pu se laisser
surprendre aux traits de l’Amour ! La chose arriva néanmoins peu de tems après.
Peut-être au-reste la demarche que vous allez voir ne fut-elle, dans cette étrange
fille, qu’un trait de prudence au quel elle crut devoir recourir pour cacher aux yeux du
Public ce qu’elle auroit voulu se cacher à elle même. Le commerce criminel qu’elle avoit
eu avec les hommes avoit produit en elle un de ces fruits malheureus qui en sont la
suite ordinaire. S’étant aperçue qu’elle étoit enceinte, elle voulut essayer de reparer
cette infamie. Elle proposa pour cet effet à son Maitre-Valet de l’épouser ; ce qu’elle
ne put faire qu’en lui déclarant son Sexe, & une partie de ses Avantures.
Quoiqu’elle lui eût fait promettre de garder le secret, ce Valet ne put se taire sur un
événement qui lui parut des plus étranges. D’ailleurs l’espérance d’avoir sa place lui
fit trahir son serment. Il déclara donc aux Magistrats tout ce que cette fille
extraordinaire lui avoit avoué ; & en conséquence, l’emploi de Bourreau lui fut oté,
& donné à son dénonciateur. Cette trahison ne fit qu’augmenter encore dans cette
fille la rage où elle étoit déja contre les hommes. Elle quitta la Ville, & vint
ici, toujours dans le même deguisement, & résolue d’exercer encore la profession
qu’elle avoit faite à Lyon. Dans cette vue, elle se presenta au Bourreau de
notre Ville, pour être son Valet. Celui-ci, ignorant ses talents, ne voulut point
l’engager à son service, qu’il n’eût vu auparavant ce qu’il sçavoit faire. Pour son
debut, il s’offrit un Criminel qui devoit être rompu vif, & expirer sur la roue. Le
Bourreau, lui ayant demandé si elle se croyoit assez habile pour faire cette Execution,
elle lui repondit hardiment que Oui ; & elle s’en aquita effectivement beaucoup
mieux qu’il n’auroit fait lui même. Sur ce chef-d’œuvre, il la prit à son service ; Mais
le bruit de ce qui venoit de lui arriver à Lyon étant passé, & ayant éclaté ici où
quelques personnes l’ont reconnue, l’Executeur n’ayant plus voulu la garder lorsqu’il a
sçu qui elle étoit, l’a payée & renvoyée. On assure ici que, depuis elle a pris la
route de l’Espagne, où elle est allée exercer encore ses talents, & satisfaire son
animosité contre tous les malfaiteurs, de l’un & de l’autre sexe, qui pouront tomber
entre ses mains ; animosité, qui, à ce qu’on lui a entendu dire, ne finira qu’avec sa
vie. Ne m’avouerez-vous pas, Monsieur, que voilà un caractere de fille bien étrange,
& un événement des plus singuliers ? Par ces deux raisons j’ai cru que vous ne
seriez pas fâché que je vous en fisse part. Je profite de cette occasion pour vous
assurer que personne n’est avec plus de reconnoissance, d’estime & d’affection,
&c. Montpellier, ce 22 Mai 1751.
Metatextualidade
Pendant que je suis dans les événements extraordinaires, je
vais, Monsieur, en joindre encore ici un qu’un autre Ami vient de me mander de Hollande,
le quel l’emporte encore sur celui que vous venez de lire. C’est un Mariage
contracté solemnellement entre deux filles. Voici le fait, tel qu’il est enoncé dans sa
Lettre.
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Narração geral
« Il vient d’arriver ici un événement assez
extraordinaire, & dont on peut dire même qu’il ne se trouve guére d’exemples. Un
Grenadier du Regiment de Lintman, qui depuis environ trois ans, étoit marié avec une
jeune personne de cette Ville, ayant été decouvert n’être point d’un sexe différent de
celui de son épouse, & le Conseil de guerre en ayant été informé, l’un & l’autre
ont été arrêtez par son ordre, & se trouvent actuellement dans nos prisons. Comme
par l’interrogatoire qu’on l’eur <sic> a fait subir, il paroit manifeste que la
fille, avant son mariage, avoit une parfaite connoissance du sexe de son pretendu Epoux,
on est ici dans une extrême impatience de sçavoir quelle tournure poura prendre cette
affaire, & les motifs qui ont pu determiner ces deux femelles à contracter ensemble
une alliance aussi étrange.
1Metal de composition, qui imite l’or parfaitement ; ce qui lui a fait donner ce nom.