Citation: Anonyme (Claude de Crébillon) (Ed.): "N°. 5.", in: La Bigarure, Vol.10\005 (1751), pp. 33-40, edited in: Ertler, Klaus-Dieter / Hobisch, Elisabeth (Ed.): The "Spectators" in the international context. Digital Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.5097 [last accessed: ].


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N°. 5.

Level 2► Letter/Letter to the editor► Si le nom, le rang, les qualitez, & la condition d’un Auteur décidoient du mérite de son Ouvrage, je me garderois bien, Madame, de vous envoyer celui-ci. Quelle idée pouriez-vous, effectivement, prendre d’une production d’esprit, sortie de la tête d’un Maréchal Ferrant ? Cependant, si l’on en doit croire l’Auteur de la piéce que vous trouverez ci-jointe, elle n’a point eu d’autre Pere ; du-moins a-t-il eu la rare modestie de ne s’être point fait connoitre sous d’autre titre. Mais, quoique sortie de la Forge, peut-être vous amusera-t-elle plus que beaucoup d’autres productions qui, pour être sorties d’un Cabinet plein de Livres, n’en sont pas toujours, pour cela, ni meilleures, ni plus divertissantes. Celle-ci m’a amusée ; & dans l’esperance qu’elle poura faire le même effet sur vous & sur vos Dames, je vous l’envoye.

Lettre
d’un Maréchal ferrant
a un de ses amis
.

Level 3► Letter/Letter to the editor► « Non, Monsieur, je ne changerai, ni de nom, ni de profession. C’est un Phénomene, à la verité, de voir un Maréchal Auteur ; mais le bon sens & l’inclination d’apprendre est de tout état, de tout âge & de toute condition. La France Lit-[34]teraire a retenti long tems de la Poésie de Maitre Adam Billaud, Menuisier de Nevers. Messieurs de Saint-Amant, Chevreau & de Lisle Chaudieu en ont fait l’éloge. Huybert, Corneille Poot, Poéte Hollandois, avoit pour la Poësie, de l’imagination, du feu, de l’élévation, du tendre, des expressions nettes & Poëtiques. Ce n’étoit néanmoins qu’un pauvre Paysan & un bon Jardinier. Caton, à l’âge de 80 ans, s’avisa d’apprendre le Grec ; Plutarque, déjà vieux, aprit le Latin ; Fairfax, après avoir été Général des troupes du Parlement d’Angleterre, passant par Oxford, se fit recevoir Docteur en Droit, l’épée à la main. M. Colbert, Ministre d’Etat, & presque sexagenaire, retourna au Latin & au Droit, dans un poste où il est pardonnable d’avoir oublié l’un & l’autre. Ne seroit-il donc pas pardonnable aussi à un Maréchal, que vous avez rendu peut-être trop présomptueux, de se piquer, à son tour, d’une noble émulation, & de soutenir avec feu le rang qu’on lui a donné parmi les gens de Lettres ? Votre approbation, Monsieur, m’attire non seulement le respect de mes compatriotes, mais ils veulent encore que je devienne l’Arbitre de leurs difficultés. Ma Forge est devenue une espece d’Academie où des gens de bon sens viennent m’exposer leurs doutes.

Un de ce pretendus génies me demandoit, il n’y a pas long-tems, supposant que je suis en droit de tout sçavoir, ce que j’entendois par le fameux quatre-quatre-de Pythagore, dont parle Lucien, dans son Philopatris, de la traduction de M. Perrot d’Ablancourt, troisiéme partie, page 266. Moi, qui n’ai jamais lu Pythagore, & qui sçai seulement que ce fameux [35] Philosophe, suivant le témoignage d’Ovide, pénétra, par la sublimité de son esprit, jusques dans le secret des Dieux, & qu’il vit, des yeux de l’Ame tout ce que la foiblesse de la Nature a caché à ceux de notre Corps, pour me défendre de ces importunités, ou plutôt, pour m’en débarasser, je lui repondis, comme cela est vrai, que ce nombre Mysterieux de quatre faisoit une partie des Epoques de ma vie. Il y a, lui dis-je, deux fois quatre lettres à mon nom ; & si je me suis servi, Monsieur, pour le cacher, de ces quatre lettres arbitraires D. P. C. D. j’ai prétendu qu’en les interpretant, on y trouveroit Domus, Panis, Caro, Dionysius ou Bacchus ; ce qui, en bon François, signifie, bien logé, bon pain, bonne viande & bon vin ; & c’est avec quoi on peut assurément faire bonne vie. Je suis né le quatrieme jour du quatrieme mois de l’année. Je me suis établi après un long & penible apprentissage, ayant six fois quatre ans, le quatre de Juin de l’an où l’on compte quatre cens trente deux fois quatre. J’ai vingt quatre fois quatre Chevaux à ferrer ; & la barbare main d’un Empirique m’a déjà debarassé de quatre dents.

Cette conformité de nombre de quelques circonstances de ma position, est devenue, pour mon Village, un nouvel objet d’étonnement. Voilà, Monsieur, le caractere du Champenois qui se laisse étourdir par des riens, & qui trouve du Merveilleux dans les choses les plus ordinaires. J’ai aussi trouvé dans le nombre de quatre quantité de reponses à des questions qui peuvent fixer l’attention d’un homme d’esprit.

On demande, par exemple, quelles choses ne se peuvent acquerir à prix d’argent, & qui [36] sont néantmoins les plus précieuses delices de la vie ?

Je reponds qu’elles sont quatre ; la Liberté dont nous jouissons ; la Science dont nous sommes en possession ; la Santé que nous avons, & les Vertus de l’Ame dont nous nous qualifions. Ces avantages sont pour l’homme des choses inaprétiables ; Car la Libèrté égaye le cœur, la Science enrichit l’entendement, la Santé fait couler d’heureux jours ; & la Vertu est la gloire de l’Ame.

On demande quelles sont les choses qui trompent l’homme, & qui causent sa perte ? . . Je reponds qu’elles sont quatre. Le desir de beaucoup avoir ; l’ardeur de beaucoup sçavoir ; la presomption de beaucoup valoir, & l’esperance d’une longue vie : Car les grands biens engendrent la molesse ; l’inclination de trop sçavoir dégénere souvent en folie ; l’orgueil engendre du mépris ; & l’esperance d’une longue vie produit la nonchalance & l’oubli de soi-même.

On demande quelles choses sont nécessaires à un bon Juge ? . . . Je reponds qu’elles sont quatre : Ouïr avec patience ; repondre avec prudence ; juger avec équité ; executer avec misericorde : Car un Juge impatient dans ses Audiences, vain & arrogant dans ses reponses, partial dans ses jugemens, cruel & impitoyable dans l’exécution, mérite plutôt d’être justicié, que Ministre de la Justice.

On demande quelles, sont les choses que l’homme pense avoir, & que souvent il n’a pas . . . . Je réponds qu’elles sont quatre. Beaucoup d’amis, grande sagesse, beaucoup de sçavoir & grande puissance. Cependant il n’est aucune personne si universellement ché-[37]rie, qui n’ait des ennemis secrets ; si sage, qu’elle ne fasse quelque notable faute ; si sçavante quelle n’ignore beaucoup de choses, souvent même les plus essentielles ; & si puissante, qu’elle ne puisse être surmontée par une autre. Donc nous avons moins d’Amis que nous ne pensons ; nous sçavons moins que nous ne présumons ; nous pouvons moins que nous ne desirons ; & nous sommes moins que nous ne publions.

On demande combien de choses doit observer un Mari pour vivre en paix avec son Epouse ? . . . Je réponds qu’elles sont quatre. L’aimer uniquement, l’admonester souvent, la reprendre peu, & ne la frapper jamais ; Car un Mari qui partage son cœur, qui neglige son Epouse, qui la reprend à chaque instant, & qui la maltraite, fera d’un état heureux un engagement de tumulte & d’horreur.

On demande ce qu’une femme desire le plus ardemment, & ce qui la rend parfaitement contente ? . . . Je reponds que ce sont quatre choses ; Habit, Beauté, Credit & Liberté. Les femmes croyent que rien ne leur manque quand elles sont bien vétues, qu’elles tiennent rang parmi les belles, quand on croit ce qu’elles disent, & qu’elles vont où elles veulent.

On demande qui sont ceux qui se procurent plus aisément des Amis, & qui plus aisément les perdent ? . . . Je répons qu’ils sont quatre. Les riches, les jeunes, les puissans, & les favoris, ou favorisés. Mais on perd aisément ses Amis quand de riche on devient pauvre, de jeune vieux, quand un puissant perd son autorité, & un favorit son credit.

On demande, combien, & quelles conditions doit avoir celui qui donne ? . . . . Je ré-[38]ponds qu’elles sont quatre ; Qu’il regarde ce qu’il donne, à qui il le donne, pourquoi il le donne, & quand il le donne. On ne doit pas donner trop peu ; on doit donner à celui qui a le plus de besoin ; on doit donner pour causes justes & raisonnables, & donner sans trop faire attendre ; sans quoi on perd le merite de tout ce qu’on donne.

On demande quelles qualités doit avoir un bon Religieux ? . . . Je réponds qu’elles sont quatre ; Qu’il accomplisse ce qu’il a promis, qu’il fasse ce qu’on lui commande, qu’il mange ce qu’on lui donne, & qu’il ne murmure pas de ce qu’il verra.

Je n’ai fait la presente si longue, Monsieur, que parce que je n’ai pas eu le loisir de la faire plus courte. Je suis &c. ». ◀Letter/Letter to the editor ◀Level 3

Metatextuality► Eh-bien, Madame ! Comment vous trouvez-vous de notre Maréchal ? Vous a-t-il ennuyée ? S’il l’a fait, ç’aura été contre mon attente. A tout hasard, voici d’autres choses qui pouront vous en dedomager. ◀Metatextuality

General account► Vous ressouviendriez-vous d’une Avanture passablement scandaleuse, arrivée, il y a environ neuf mois, dans cette Capitale, entre un de nos graves Echevins, en la compagnie de ses enfans, & une Demoiselle de la moyenne vertu, nommée la Mazarelli ? Mon Frere m’a dit qu’il avoit fait part, dans le tems, à Monsieur votre aimable Cousin, de toute cette Avanture qui fit alors un éclat terrible dans cette Ville ; & je ne doute point qu’il ne vous l’ait communiquée *1 . Dans cette supposition, je vous dirai ici que cette affaire, que l’on croyoit terminée par un accommodement, qui avoit couté bon à [39] Mr. L’homme, notre ancien Echevin, vient de prendre toute une autre tournure, qui l’a rendue bien plus mauvaise que ci-devant ; & cela par une seconde étourderie de cet Ex-Magistrat. En conséquence de l’accommodement en question, ce vieux fou, se voyant plus libre, & se croyant à l’abri des poursuites de la Justice, voulut se venger, il y a quelque tems, de la Mazarelli, en la faisant emprisonner comme Calomniatrice, & en faisant accuser comme coupables de faux temoignage toutes les personnes qui avoient déposé à son avantage.

Il étoit, sans doute, un peu difficile de se tirer d’un pas aussi hardi. En effet les protecteurs de cette femme trouverent bientôt moyen de la faire élargir, & de faire prendre sa place aux faux temoins apostez par M. L’homme. L’affaire même a été poussée plus loin ; & comme celui qui suborne des faux temoins est aussi coupable que les faux temoins mêmes, on a cru qu’il méritoit d’être mis, comme eux, dans les fers. En conséquence, cette Cause, ayant été evoquée du Châtelet au Parlement, & y ayant été plaidée, ces jours passez, le dit Sieur y a été décrété de prise de Corps, ainsi que ses enfans, qui n’avoient point été encore impliquez juridiquement dans ce procès. Les uns & les autres se sont, dit-on, évadez, & ont passé dans les païs étrangers. On croit que ce dernier coup ira beaucoup plus loin, que tout ce qui s’est fait jusqu’à present dans cette affaire, & que le Sieur L’homme ayant donné des marques aussi singulieres, & aussi manifestes, de sa mauvaise foi & de sa mechanceté, la Justice aura peine à modérer ses poursuites, & à ne pas les lui rendre funestes. ◀General account

Voila à quoi le libertinage expose les hommes. Mais qui auroit jamais cru qu’une personne de cet [40] âge & de ce caractere auroit donné dans des excès qu’on auroit même de la peine à pardonner à la plus étourdie & la plus bouillante jeunesse ? Voilà un Procès qui tiendra, un jour, sa place dans les Causes célébres du Sieur de Pittaval.

Comme cette affaire fait encore ici plus d’éclat qu’elle n’en a fait par le passé, le bruit en ayant été porté jusqu’à la Cour, où chacun en parloit, on assure que S. M. en demandant des Nouvelles au Duc de Richelieu, dit à ce Seigneur, en parlant de cette nouvelle esclandre de notre Echevin : Est-ce donc que la Mazarelli n’est pas une fille sage & vertueuse ? A quoi le Duc repondit sur le champ : Pardonnez moi, Sire ; & il faut bien qu’elle le soit, puisqu’elle n’aime pas l’homme.

Je finis par ce bon mot, & suis très cordialement &c.

Paris ce 26 Mai 1751.

◀Letter/Letter to the editor ◀Level 2

Livres de Musique

Qui se vendent à la Haye, chez Pierre Gosse Junior Libraire de S. A. R.

Le Bouquet Cantate à voix seule, avec un accompagnement de Viele ou autres Instrumens, composé par Mr. Bap. Dupuits, fol. Paris.

Le Retour de Themire Cantate à voix seule, avec Symphonie, composé par le même, fol. Paris.

Le Retour de Mars Cantate à voix seule & Grande Symphonie, composé par le même fol. Paris.

Le Plaisirs <sic> de l’Hymen Cantate à deux voix, composé par le même, fol. Paris.

La Jeunesse Cantatille, avec un accompagnement de Violon & autres Instrumens, par le même 4. Paris.

Pan & Syrinx Cantatille à voix seule, & accompagnement de Violon, par le même, 4. Paris.

L’Inconstance Cantatille, avec un accompagnement de Violon & autres Instrumens par le même, 4. Paris.

Sei Sonate per il Flauto Traverso solo o Violino e Basso Contenuo del Signor Dupuits, fol. Paris.

Six Sonnates en duo pour deux Violonchelles ou deux Bassons, composées par Mr. Dupuits, fol. Paris.

Sei Sonate a Due Violini e Cimbalo du B. Dupuits, fol. Paris. ◀Level 1

1* Voyez notre Tome VI. pag. 17. 81. 83. 87.