Sugestão de citação: Anonyme (Claude de Crébillon) (Ed.): "N°. 4.", em: La Bigarure, Vol.10\004 (1751), S. 25-32, etidado em: Ertler, Klaus-Dieter / Hobisch, Elisabeth (Ed.): Os "Spectators" no contexto internacional. Edição Digital, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.5096 [consultado em: ].


Nível 1►

N°. 4.

Nível 2► Carta/Carta ao editor► Dans une de mes précédentes Lettres je vous ai informé, Monsieur, d’un Procès, assez curieux, entre un de nos Curez & un de ses Paroissiens, au sujet d’un dépôt de 30 ou 35 mille livres, dont je vous promis alors de vous apprendre la decision *1 . Peut-être ne serez-vous pas moins étonné, en l’aprenant, que l’ont été ici presque tous ceux qui avoient vu le detail de cette affaire dans les Mémoires dont je vous ai rendu compte dans le tems. Il sembloit en effet, à en juger par l’exposé des faits, qu’elle ne pouvoit tourner qu’au desavantage du Curé ; Néanmoins il en est arrivé tout autrement ; & bien loin d’obtenir leurs pretentions, les demandeurs ont été condamnez à mille écus d’amende applicable aux pauvres de la Paroisse du Curé, & à lui faire une reparation autentique en presence de douze temoins. Malgré ce jugement, au quel on soupçonne ici la ruse & l’intrigue Ecclésiastique d’avoir eu beaucoup de part, bien des gens ne pensent pas que le Curé en soit, pour cela, plus innocent. Ils se croyent même d’autant plus fondez, à avoir de lui cette idée, que c’est, dit-on, pour la troisieme fois qu’il a été accusé & cité pour de semblables affaires. Pour moi, Monsieur, qui ne veux, ne dois, ni ne puis [26] m’arrêter à discuter la verité de ces faits, je me contenterai de dire ici, qu’il faut, en de pareils cas, que la Calomnie soit étrangement obstinée pour s’acharner ainsi sur un Pasteur, s’il est homme de bien ; & s’il ne l’est pas, qu’il faut qu’il soit né sous une Constellation bien fortunée, pour s’être tiré si heureusement de trois affaires dont une seule auroit envoyé tout autre particulier, pour le moins, aux Galeres. Quoiqu’il en soit, voici une autre Avanture qui fait encore ici bien plus de bruit, & dont on n’est pas moins curieux d’apprendre quel sera le dénouement.

Narração geral► Monsieur D . . B . . ., un de nos Commissaires des Guerres, ne pouvant vivre avec sa femme, s’en étoit fait separer, & de biens, & de corps. Depuis deux ans que dure cette séparation, ils ont veçu tous les deux sans se voir, autrement que par hazard. Lorsque la chose arrivoit, ce qui étoit fort rare, l’antipathie qui regne entre ces deux Epoux étoit si forte, que la presence de l’un offusquoit l’autre ; de façon que bien loin de se parler, ils ne se saluoient pas même lorsqu’ils se rencontroient. Une Amie commune, que l’un & l’autre se sont conservée malgré leur brouillerie, s’avisa, il y a quelques jours, peut-être dans une fort bonne intention, de les faire trouver l’un & l’autre chez elle, à leur insçu. A-peine le Sieur D . . B . . . y fut il, qu’ayant jetté les yeux sur sa femme, il crut apercevoir en elle des marques de grossesse. Etonné & confus de ce nouvel affront, il ne sçait d’abord qu’en croire ; enfin, après quelques moments de réflexion, il quitte sa femme aussi brusquement qu’il le faisoit d’ordinaire lorsqu’il la rencontroit quelque part ; mais ce fut dans le dessein de se venger d’elle, & de la perdre s’il le pouvoit. Pour y réussir le Sieur D . . B . . . fit secrettement des informations, ouvrit sa bourse, [27] & promit de grandes recompenses à ceux qui pouroient lui faire connoitre celui qui l’avoit ainsi enrôlé dans la grande Confrerie de Vulcain.

Pauvres sots ! dites moi, quelle est votre manie !

Est il rien de plus fou que cette fantaisie ?
Vos femmes n’étant plus vos femmes, quel affront,
Quel mal vous revient-il des écarts qu’elles font ?
Puisque vous ne voulez & n’attendez rien d’elles,
Que vous fait qu’elles soient ou ne soient pas fidelles ?
Lorsque Themis vous a separez une fois,
Pretendre les tenir encore sous vos Loix,
C’est ressembler au Chien (dans votre humeur étrange)
Qui n’aimant point les choux ne veut point qu’on en mange.

Telle fut la folie de M. D . . B . . . ; & peut-être seroit-ce aussi celle de beaucoup d’autres en pareil cas. A force d’argent, de presents, & d’informations, il apprit que, parmi les personnes qui venoient le plus assidument chez sa ci-devant Epouse, il y avoit un Ecclésiastique, qui même affectoit d’y venir aux heures qu’il ne s’y trouvoit point de compagnie. Il fut question de sçavoir quel étoit cet Ecclésiastique. La révélation de ce secret lui couta de nouveaux presents, plus considerables encore que les précédents ; & cela sous le spécieux prétexte qu’il y avoit beaucoup de risque à trahir ainsi l’homme de Dieu. L’exemple, tout recent, de ce qui venoit d’arriver au Paroissien du Curé de S Jean en Greve, fut cité fort à propos à ce sujet. Enfin à force d’argent on découvrit à M. D. B . . . que l’Ecclésiastique en question étoit le Vicaire de la Paroisse de la Madeleine.

Instruit de ce qu’il vouloit sçavoir, bien convaincu d’ailleurs de la grossesse de sa femme, assuré que l’Abbé étoit son Amant favori, il épie le moment où il pouroit les surprendre ensemble, bien résolu de les faire punir tous deux [28] comme ils le méritoient. Il saisit pour cet effet le moment où il avoit vu entrer l’Abbé chez elle. C’étoit environ sur les deux heures après minuit, heure des plus indues, assurément, pour des visites Eccésiastiques. A la tête d’une escoüade du Guet à pied, il frape à la porte ; & sur ce qu’on ne la lui ouvre pas assez promtement, il l’enfonce, & monte tout droit à la chambre de sa femme. Là il trouve la Dame & son galant Abbé in flagranti delicto, & qui tous deux éperdus, & tout en pleurs, se jettent à ses genoux pour lui demander grace. Quand on se trouve en pareille avanture, & qu’on a affaire à un Mari inexorable, on est certainement bien à plaindre. Celui-ci étoit trop irrité, pour être sensible à la pitié. Bien loin de là, il les fait lier & garoter l’un & l’autre, & conduire chez le Commissaire du quartier, où M. D . . B . . . se rend lui même le dénonciateur de l’infamie de son Epouse. Sur son accusation, qui ne s’est trouvée que trop vraie par le temoignage & la déposition de tout le Guet qui les a pris, comme l’on dit, sur le fait, le couple galant a été envoyé aussitôt dans la Prison du Fore-l’Evêque où ils ont été mis au secret, jusqu’à ce que l’on ait instruit leur procès. En attendant tout Paris retentit de cette avanture, qui n’y fait pas moins de bruit, qu’en fit, il y a quelque tems, celle de M. De la Popliniere, qui étoit à peu près dans le même goût. ◀Narração geral

Metatextualidade► Voila, Monsieur, comme le Jubilé nous a convertis ici, & les fruits qu’il a produit dans le cœur de ce galant Ecclésiastique. Au-reste cette faute d’un particulier ne doit point influer sur le reste du Corps, dont vous connoissez, en général, la régularité. L’Amour, comme vous le sçavez, est de tout âge, de tout état, & de toute condition ; Mais il en est aussi dans les quels on doit se tenir plus en garde contre ses dangereu-[29]ses amorces ; ne fût-ce qu’à cause des suites fâcheuses qu’il entraine ordinairement après lui. C’est à quoi auroit dû penser notre Vicaire de la Madeleine. S’il eut fait cette réflexion, & agi en conséquence, il ne se verroit pas dans le terrible embarras où il se trouve, & dont il est à présumer qu’il ne se tirera pas impunément. Mais peut-être est-il du nombre des personnes designées dans la Fable suivante, & qu’on ne rencontre que trop souvent dans le monde. ◀Metatextualidade

Le Sculpteur et la Statue

Fable.

Nível 3► Il est des naturels retifs,

Qui ne sont bons à rien, à quoi qu’on les expose
Et qu’il vaut mieux laisser oisifs,
Que de les mettre à quelque chose.
Certain Sculpteur, médiocre Ouvrier,
Dans une médiocre Ville,
Avoit dans son jardin un assez beau Poirier,
Mais éternellement sterile.
Il le fit couper, le sculpta,
En fit un Saint qu’on acheta
Pour une Eglise de Village.
Mais comme à le placer il faisoit son effort,
Il lui tomba sur le visage,
Et le renversa presque mort ;
Il fut plus d’un quart d’heure aussi froid que le marbre.
Enfin, d’un ton de voix languissant & contraint ;
Traitre, dit-il, tu n’as jamais été bon Arbre ;
Tu ne seras jamais bon Saint
. ◀Nível 3

Puisque je suis ici sur l’article des Maris qui ne sont pas, & n’ont pas lieu d’être, contents de la conduite de leurs femmes, à l’Avanture galante que je viens de raconter je vais en joindre, Monsieur, une seconde, d’un genre un peu different ; mais qui, à ce que j’espere, ne vous fera pas moins de plaisir. La voici.

[30] Narração geral► M. le Baron de Couffour, Capitaine de Dragons, & Me. la Baronne son Epouse, sont depuis fort longtems dans l’usage de se jouer mutuellement des petits tours de souplesse & de chicane. La beauté de cette Dame lui procure des conseils de reste ; & Monsieur, qui n’a que des ruses Militaires à opposer à cette fine Mouche, en est très souvent la duppe. La trop grande compagnie qu’elle attiroit chez elle, dans le tems qu’ils demeuroient & vivoient ensemble, a engagé le Mari, qui ne s’accommodoit pas de cette cohue, à l’abandonner. Vous connoissez assez le train du monde, Monsieur, pour ne pas ignorer qu’un Militaire, quelque riche qu’il soit, n’a jamais trop, ni même assez d’argent. Celui-ci est dans le cas, & sçait assez bien dépenser celui qu’il a ; & cette raison lui faisoit quelque fois oublier qu’il avoit une femme. La Baronne en porta sa plainte aux Magistrats qui ordonnerent que son Mari lui assigneroit une pension de six mille livres, & que la masse des fonds seroit déposée chez un Notaire. Dans la crainte que le Baron de Couffour n’ait dissipé la somme avant qu’elle ait prélevé celle qui lui revient, la Dame met sans cesse opposition à ses demandes. D’un autre côté, elle ne peut rien toucher de sa pension, ou du-moins donner quittance, sans y être autorisée par son Mari. Par cette gène réciproque, ces deux Epoux, quoique ennemis, sont forcez de se raccommoder souvent ; mais aussitôt qu’ils peuvent se passer l’un de l’autre, ils ne se revoyent plus.

Le besoin mutuel qu’ils avoient de toucher de l’argent tous les deux les racommoda, ces jours passez, selon la coutume. Le Baron devoit autoriser sa femme à recevoir une demie-année de sa pension ; & la Baronne devoit, de son côté, donner à son Mari main levée de l’opposition qu’elle avoit formée, afin qu’il put toucher le reste. Ces [31] conventions faites, on prit jour, pour se trouver ensemble chez le Notaire. Le Baron, voulant faire les choses dans les regles, y amena avec lui son Procureur. De son côté, la Baronne y vint en Carosse, accompagnée d’un joli homme, galonné sur toutes les coutures, & qui la conduisit galamment jusque dans le Cabinet du Notaire. Dès qu’elle y fut entrée, elle feignit d’être extrêmement pressée, & demanda qu’on lui fit promtement sa quittance. On obéit à Madame. Elle est servie la premiere, & reçoit son payement avant que de signer. L’argent reçu, elle apelle son Domestique, lui dit de porter cette somme dans son Carosse ; ensuite, prétextant quelque besoin, elle sortit pendant que le Notaire travailloit à satisfaire le Mari ; & étant montée dans son Carosse, elle s’en alla. Personne ne soupçonna rien de son départ, d’autant qu’elle avoit laissé dans le Cabinet du Notaire le Seigneur avec le quel elle étoit venue. Mais l’on fut bien étonné, lorsque ce prétendu Seigneur, qui n’étoit qu’un Huissier déguisé, ayant pris la plume, & grifonné, à la hâte, je ne sçai quoi sur un papier, le presenta au Notaire. C’étoit une nouvelle opposition, en forme, faite au nom de Madame la Baronne, portant deffense au Notaire de rien donner au Baron son Mari. Chacun alors demeura interdit, en voyant le nouveau tour de la Dame. Les interressez pesterent & jurerent beaucoup contre le Huissier déguisé ; Mais il falut en passer par là, & que le Baron s’en retournat comme il étoit venu, c’est-à-dire, les mains vuides, donnant à sa femme toutes les bénédictions que méritoit ce nouveau tour de Chicane dont tout Paris se divertit. . .

A propos de Chicane, en voici un nouveau tour, dont tout Londres rit, aux dépens d’un Officier François, nouvellement debarqué dans cette Capitale, avec une fort jolie Danseuse de notre Opera, qu’il a enlevée. Ces sortes de Rapts sont si [32] fréquents ici, que la justice, quoique fort sévére sur ce point, ne fait pas ordinairement la moindre démarche en faveur de ces créatures. Pourquoi ? . . . Par la raison, que Volenti non fit injuria. Cette nouvelle Helene étoit à-peine arrivée à Londres, avec son Paris, qu’elle fit connoissance avec quelques jeunes Milords qui, aussi foux que nos François, sur cet article, se laisserent prendre dans ses filets. Les Seigneurs Anglois sont, ordinairement, très pecunieux, & encore plus généreux. Avec ces deux belles qualitez peut-on manquer de réussir auprès de ces sortes de femmes ? . . Non assurément ; car

Leur cœur officieux est à qui plus leur donne,
Et ne sçait ce que c’est qu’éconduire personne.

Le marché fut bientôt fait & exécuté ; Mais comme on étoit embarrassé de l’Officier, qui réclamoit ses droits, & prétendoit l’emporter, comme étant le premier en possession, la galante Comere se chargea de s’en defaire bientôt. Pour y réussir plus surement, elle alla trouver un des Juges de Paix de cette Capitale *2 au quel elle déclara, sous serment, que l’Officier François avoit attenté à sa vie, & qu’il persistoit encore dans ce détestable projet. Sur cette déclaration, l’accusé a été aussi-tôt mis en prison où il est encore actuellement, malgré tout ce que quelques honêtes gens ont pu alléguer en sa faveur, pour l’en tirer. Cependant la Danseuse Françoise, & son nouvel Amant jouissent tranquillement, ensemble, & au milieu des plaisirs de la débauche, l’une, des effets de sa sceleratesse ; & l’autre, de la sotise de l’Officier François à qui cette penitence, qui est de plus rudes en Angleterre, ne fera pas de mal. Fasse le Ciel qu’il en profite, ainsi que tous ceux qui pouront lire cette Avanture ! ◀Narração geral

J’ai l’honneur d’être &c.

Paris ce 25 Mai 1751.

◀Carta/Carta ao editor ◀Nível 2

Jeudi ce 3 Juin 1751.

◀Nível 1

1* Voyez notre Tome IX. No. I. pag. 3 suiv.

2C’est le nom qu’on donne, en Angleterre, au Magistrat qui est préposé, dans chaque endroit, pour y maintenir le bon ordre.