Sugestão de citação: Anonyme (Claude de Crébillon) (Ed.): "N°. 9.", em: La Bigarure, Vol.9\009 (1751), S. 65-72, etidado em: Ertler, Klaus-Dieter / Hobisch, Elisabeth (Ed.): Os "Spectators" no contexto internacional. Edição Digital, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.4970 [consultado em: ].


Nível 1►

N°. 9.

Nível 2► Carta/Carta ao editor► Comme vous êtes, aussi bien que nous, en païs Catholique Romain, dites moi, Monsieur, si vos Provinciaux ne seroient point, à l’exemple de nos bons Parisiens, plongez dans la devotion jusque par dessus les yeux. En ce cas, je me garderois bien de leur envoyer rien qui fût capable de les égayer. Connoissant leur caractere, & sachant à quel excès on porte la superstition dans ce pais-là, ce seroit m’exposer à une Excommunication infaillible, de leur part ; & je vous avouerai qu’aimant à vivre en bonne union, & amitié, avec tous les honêtes gens, je serois très fâché de me brouiller avec ceux de votre Société, en ne cherchant qu’à leur faire plaisir. C’est à vous, Monsieur, qui êtes sur les lieux, & qui connoissez plus particulierement le caractere de vos Messieurs, à agir en consequence. Pour moi, qui sçai que votre piété n’est point incompatible avec un innocent amusement, je ne me fais aucun scrupule de vous communiquer en ce tems-ci, comme en tout autre, ce que j’aprends de curieux & [66] d’amusant ; & je laisse à votre prudence le soin d’en faire part à ces Messieurs, selon que vous le jugerez à propos. J’entre donc en matiere & vais debuter par deux Avantures d’un genre bien different, dont l’une nous est venue d’Avignon, & l’autre d’Italie.

Rien n’est, ordinairement, plus divertissant pour le Public, que les bévues qu’il voit faire de tems en tems aux personnes qui sont en place. Il semble que ce soit pour lui une espece de dédomagement de la subordination dans la quelle on le tient, & du respect, souvent servile, & presque toujours forcé, qu’elles exigent qu’on leur rende. C’est par cette raison, sans doute, qu’on s’est tant diverti, à Avignon, à celle qu’on y a vu faire dernierement au Vice-Legat qui reside pour le Saint Pere, dans la Capitale de ce Comté Papal. Voici ce qui y a donné occasion.

Narração geral► Le Curé de Vaucluse, Paroisse située à quelques lieues d’Avignon, homme d’esprit, d’humeur assez facétieuse, & qui par ces deux raisons fréquente la maison de Madame de Vaucluse, la quelle tient un des premiers rangs dans Avignon, voulant se divertir un peu, le Carnaval dernier, écrivit à cette Dame une Lettre dans la quelle il lui mandoit, qu’il étoit arrivé dans sa Paroisse un événement aussi respectable qu’il étoit admirable. Ce grand événement, ajoutoit-il, étoit la venue d’un Prophete, accompagné de sept de ses femmes, qui le suivoient continuellement ; que ce grand Prophete venoit de prédire un événement terrible, qui avoit jetté tous ses Paroissiens dans une frayeur & une consternation étrange. Sa Prophetie portoit qu’il devoit sortir de la Mer, pendant le Carême, un [67] nombre innombrable de peuples qui se rendroient de toutes parts à Avignon & se repandroient dans tout le Comtat où leur arrivée jetteroit tout le monde dans la tristesse, & causeroit un grand changement. Cette Lettre fut montrée, par Madame de Vaucluse, à quelques unes de ses amies ; & comme il n’est point de meilleures trompettes que les femmes, la Nouvelle de l’arrivée du Prophete, & sa prédiction, se repandirent, en moins de deux heures, dans toute la Ville, avec une infinité de circonstances, plus effrayantes les unes que les autres, que chacun, selon la coûtume, y ajouta.

Cette Nouvelle étant enfin parvenue au Vice-Legat, ce Prélat, aussi credule que le peuple, donna dans le panneau du facétieux Curé. Allarmé de la prédiction, & voulant en prévenir les suites, il crut qu’il étoit expedient d’arrêter ce Prophete, de lui demander des éclaircissemens sur sa Prophetie, de se consulter avec lui sur les moyens que l’on pourroit employer pour s’opposer à la descente de ces peuples innombrables qui devoient venir de la Mer, & prévenir les ravages qu’ils ne devoient pas manquer de faire dans le païs. En consequence de toutes ces idées, il fit partir cinq cents hommes sous la conduite d’un Chevalier de Malte, qui est son Général, & qu’il envoya au Bourg de Vaucluse.

Jamais homme ne fut plus étonné que le fut Monsieur le Curé à l’arrivée de cette Soldatesque. Il le fut encore bien davantage, lorsqu’il apprit le sujet pour le quel elle étoit venue, & qu’il vit par écrit les Ordres de Monsignor le Vice-Legat que le Commandant lui presenta. A cette vue, il ne put s’empêcher de rire du plai-[68]sant effet qu’avoit produit sa Lettre à Madame de Vaucluse, qu’on lui representa. On le somma en consequence de livrer le pretendu Prophete. Autant qu’il avoit été étonné de l’arrivée de cette Soldatesque, autant celui qui la commandoit fut-il charmé, lorsqu’ayant réitéré sa sommation, le Curé lui répondit, en le faisant mettre à table, qu’il alloit le lui livrer, de même que ses sept femmes, qu’il avoit fait prisonnieres, depuis deux jours, avec leur mari. Le Chevalier, croyant avoir fait le plus bel exploit du monde, & qui sur la recommendation de S. E. Monsignor le Vice-Legat, lui mériteroit le Commandement en chef de toutes les Troupes de l’Eglise, s’aplaudit fort du succès de la Commission.

Plein de cette flateuse idée, il attendoit, avec impatience, que le Pasteur lui tint parole. L’arrivée de trois ou quatre Curez du Voisinage, que celui-ci avoit invitez à diner, retarda l’expédition. Enfin ces Messieurs ayant pris leur place à table, le Curé de Vaucluse ordonna alors à sa Cuisiniere de faire paroitre le prisonnier avec sa suite. Elle obéit aussitôt en apportant un grand pâté que l’on ouvrit, & dans le quel étoit un gros Coq, flanqué & environné de sept Poules, le tout fort delicatement assaissonné. Alors le Curé adressant la parole au Commandant, lui dit, Nível 3► Vous voyez, Monsieur, que je vous tiens parole. Voilà le grand Prophete & ses sept femmes, qui ont donné une si chaude allarme à S. E. Monsignor le Vice-Legat. Je suis fâché qu’il ne soit pas venu le chercher ici lui-même ; Il auroit eu sa part de la capture. N’importe ; nous y suppléerons. . . . Allons, Messieurs, dit-il en apostrophant ses Confreres, point de quartier à ce Pro- [69] phete de malheur, non plus qu’à ses semelles qui nous annoncent l’arrivée du Carême, tems où, comme je l’ai écrit à Madame de Vaucluse, on verra sortir de la Mer des milliers & milliers de poissons qui vont se répandre dans Avignon, & dans tout le Comtat ; Mais, avec la grace de Dieu, nous en viendrons à bout quoique avec un peu de peine. . . . Allons. . . . Gaudeamus. . . . A la Santé du bon Prelat dont l’allarme nous a procuré la compagnie de Monsieur son Général, & la visite de toute sa Soldatesque, qu’on n’attendoit certainement pas aujourd’hui dans ce Bourg. ◀Nível 3

S’il y eut jamais quelqu’un d’étonné dans le monde, ce fut assurément Monsieur le Commandeur. Revenu de sa surprise, il ne put s’empêcher de rire, & de la saillie du Curé, & de la simplicité du bon Vice-Legat, qui n’avoit pas compris le sens de son Enigme. Il prit son parti en galant-homme ; & ne pensa qu’à se réjouir avec la compagnie, qui s’en acquita des mieux ; La Table n’est pas, en effet, l’endroit où ces Messieurs officient le plus mal. La séance fut longue, & l’Office célébré par de fréquents Carillons Bachiques. Comme il finit fort tard, le Commandant & ses Soldats ne purent s’en retourner que le lendemain. Ils revinrent donc, avec leur courte honte, à Avignon où le bruit de l’Avanture se répandit bientôt. On en rit beaucoup, & surtout de la credule simplicité du Vice-Legat, qui lui avoit fait faire cette bévue, & sur le quel on a fait, à cette occasion, les Couplets suivants. ◀Narração geral

[70] couplets

Sur l’Air : Jardinier, ne vois-tu pas.

Nível 3► Pour combattre Mardi-gras,

Le Légat du Saint Pere
Depêche cinq cents soldats ;
Mais il les a mis, helas !
Par terre, par terre, par terre.

Pleins d’ardeur & de couroux

Ils vont à cette guerre ;
Mais lui, se moquant d’eux tous,
Vous les renverse à grands coups
De verre, de verre, de verre.

Chacun rit, à ses dépens,

De sa lourde méprise.
On a tort ; ces accidents
Arrivent souvent aux gens
D’Eglise, d’Eglise, d’Eglise. ◀Nível 3

A propos de Sotises, en voici une, d’un autre genre, qui n’est pas moins instructive pour les Peres & les Meres, que pour toutes les jeunes personnes qui, par foiblesse, par complaisance, ou par étourderie, embrassent un état, dont elles ont bien de la peine ensuite à remplir les engagements ; ce qui fait, pour l’ordinaire, le malheur de toute leur vie. En voici un exemple tout recent.

Narração geral► Tout le monde sçait (ou ne sçait pas) qu’en Italie c’est un usage presque général, que les filles de condition, qui ont le malheur d’avoir des freres, sont destinées à la profession Relligieu-[71]se. De là ce nombre extraordinaire de Couvents qu’on y trouve presque à chaque pas ; de-là cette multitude presque innombrable de personnes Relligieuses de l’un & de l’autre sexe ; de-là cette stérilité, & ces Vuides spatieux que l’on remarque dans ce païs qui, avant la devote folie du Monachisme, pouvoit à peine contenir ses habitants, tant il étoit alors peuplé ; enfin de-là ces scandales si fréquents, donnez par les Moines & les Nonnes, scandales qu’il est assez difficile de condamner quand on connoit bien jusqu’où va la fragilité humaine. Une de ces tristes Victimes de l’ambition des familles, dont je supprime ici le nom, à cause du rang illustre que la sienne tient dans le monde, n’éprouve que trop actuellement combien cet usage est injuste & barbare. Voici quelle a été l’occasion de ses malheurs.

Cette charmante & malheureuse fille que, par considération pour elle & pour son illustre famille, je ne ferai connoitre ici que par son nom de Relligion, qui est celui d’Agneze, avoit été mise, selon la coûtume, dès l’âge de sept ans, en pension, dans un Couvent de Milan, que vous me dispenserez de nommer pour les raisons que je viens de dire. Elle y resta jusqu’à seize, tems où ses parents lui firent embrasser la vie Religieuse, pour la quelle elle ne sentoit alors aucune repugnance. La chose peut-elle être autrement à cet âge où, pour l’ordinaire, on ne se sent, & on ne se connoit pas soi-même ? La belle Agneze, qui avoit été élevée dans l’innocence, auroit peut-être joui, pendant toute sa vie, des charmes de cet heureux état, si elle n’avoit pas donné de la direction de sa conscience à un jeune Moine qui, au-lieu de la conduire dans le chemin de la Vertu, ne chercha, au contrai-[72]re, qu’à la seduire, & qui, malheureusement pour elle, en vint enfin à bout. C’étoit un Augustin, âgé d’environ trente ans, Cadet d’une famille assez illustre, à qui, par cette unique raison, on avoit aussi fait embrasser la vie Monastique.

Le Pere Alphonse (c’est le nom du jeune Moine) joignoit à une phisionomie des plus heureuses, & à une taille des plus parfaites, tous les agréments & les avantages de l’esprit, deux écueils bien dangereux pour une jeune innocente qui n’est point en garde contre son cœur. Notre Augustin étoit pour lors à peu près dans la même situation ; mais il n’eut pas plus-tôt vu les charmes de l’aimable Agneze, qu’ils firent sur son cœur toute l’impression qu’on en devoit naturellement attendre.

Loin de combatre cette passion naissante, elle lui fit, au contraire, tant de plaisir, qu’il travailla encore à l’augmenter. Le Tribunal de la Pénitence, qui l’avoit fait naitre, lui en fournit les moyens. Cet emploi fut de tout tems, & sera toujours, la perte de presque tous les jeunes Confesseurs. Aussi avouerai-je ici, Monsieur, que ce n’est pas tant à eux que l’on doit s’en prendre, qu’aux Evêques qui ont l’imprudence de le leur confier. Ils previendroient, sans doute, ces scandales, qui ne sont que trop fréquents dans l’Eglise, s’ils ne chargeoient de la direction des consciences des jeunes personnes du Sexe, que des Vieillards, que leur âge met à couvert des dangereuses impressions que la vue d’une jolie femme, ou fille, fait ordinairement sur les cœurs, comme de leur côté, ils n’en peuvent faire aucune sur celui de leurs Pénitentes. ◀Narração geral ◀Carta/Carta ao editor ◀Nível 2

(La suite dans le Numero suivant.) ◀Nível 1