Sugestão de citação: Anonyme (Claude de Crébillon) (Ed.): "N°. 8.", em: La Bigarure, Vol.9\008 (1751), S. 57-64, etidado em: Ertler, Klaus-Dieter / Hobisch, Elisabeth (Ed.): Os "Spectators" no contexto internacional. Edição Digital, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.4969 [consultado em: ].
Nível 1►
N°. 8.
Nível 2► Carta/Carta ao editor► Je vous ai fait jeûner de Nouvelles Litteraires, pendant le Carême ; mais vous n’y perdrez rien, Monsieur. Les événements historiques que j’ai eus à vous raconter en ont été, en partie, la cause, ne m’ayant laissé ni le tems ni les moyens de vous instruire des autres. La devotion, dans la quelle la premiere ferveur du Jubilé vient de nous replonger, nous laissant ici sans Avantures Comiques ni événements fort interressants, je vais remplir ce Vuide par d’autres Nouvelles. que je sçai n’être pas moins de votre goût : Ce sont celles de la République des Lettres. En voici d’assez curieuses (a1 .
Metatextualidade► [58] Vous sçaurez donc, Monsieur, que la fameuse & très médiocre *2 Lettre sur les Aveugles, qui n’a de rien servi à ceux qui voient, & moins encore à celui qui l’a écrite, est suivie aujourd’hui, d’une Lettre du même auteur sur les sourds & muets, à l’usage de ceux qui entendent & qui parlent. Vous croïez qu’il va vous entretenir des inversions de notre langue, (3 qui paroit d’abord en avoir peu, & suivre à cet égard la nature, ou les gestes des sourds & muets ; Point du-tout ; ce n’est qu’un prétexte à ses excursions sur la Métaphysique, sur la Poësie, sur l’Eloquence, sur la Musique, &c. Il voit mille choses dans ses promenades ; il paroit même les avoir bien vues ; mais il ne vous les montre qu’imparfaitement, parce qu’il est pressé de vous en montrer d’autres ; un peu lourd avec tout cela dans son allure, moins agréable qu’instructif. Beaucoup d’esprit & de gayeté d’imagination n’ont pu le sauver d’un certain air de pédanterie, dont néanmoins l’auteur sait bien se defaire quand il veut. ◀Metatextualidade
Aussi n’est-ce pas le défaut qu’on lui reproche dans *4 l’échantillon qu’il vient de nous don-[59]ner de son Encyclopédie, mais bien un ton un peu trop haut, un stile tendu qui nous laisse trop voir le travail des muscles. Au-surplus le morceau est excellent, & digne d’être envoyé pour toute réponse aux Jésuites auteurs du Journal de Trevoux, qui ont attaqué son Prospectus. La Lettre dont il l’accompagne, adressée au Père Berthier, Chef des Journalistes, est pleine de feu, de sel & d’agrément. Vous en aurez tout le plaisir, rien ne vous échapera des allusions, vous êtes au fait des anecdotes.
Monsieur de Boissy nous a regalez pendant le Carême d’une Comédie intitulée Le Prix du Silence. Elle a été jouée aux Italiens, & elle est imprimée. Des Epigrammes contre les hommes, quelques Vers bien tournés, assez d’esprit, déplacé, en trois Actes ; voilà tout. Une femme, après avoir déclamé contre notre sexe & fait l’éloge du sien, écrit à chacun de ses soupirans, qui sont en grand nombre, que s’il peut se taire jusqu’au soir, elle l’épouse. Pure indiscrétion, foiblesse, ou vanité ; ils parlent tous, jusqu’à un homme sage, dont elle étoit aimée véritablement : mais elle met celui-ci à une nouvelle épreuve, il se tait cette fois, & il est épousé ; voilà ce qu’il ne faloit point ; car l’objet principal étoit la satire & la défaite des hommes. Le Prix du Silence n’est qu’un titre postiche : mais la *5 règle de la Comédie est qu’elle finisse heureusement, & vous savez qu’au Théatre c’est une fin heureuse que le Mariage.
Cette piéce avoit besoin d’un appui ; On lui en a donné deux ; le Ballet des Vendanges, & [60] la Parodie de Thétis & Pélée. La Parodie a fait courir tout Paris, parce qu’il y a six ou sept ans que je ne sai plus quel Poëte piqué avoit obtenu un Arrêt de défenses contre cette sorte de plaisanterie. Qu’il soit sifflé le reste de ses jours, pour avoir attenté à la liberté de la République des Lettres ! Le Ballet est un tableau naïf des travaux & des plaisirs des Vendangeurs. Ils avoient le cœur en pleine joie, quand ils sont surpris par des Huzars, qui viennent boire dans leur tasse & froisser le bavolet des Vendangeuses. Ici la danse devient plus vive ; mais les Manans ne sont pas à cela près ; ils avoient pris la fuite, ils réviennent bientôt, la paix se fera, & l’on signe déja les préliminaires. Ce Ballet est de Dehesse.
C’est quelque chose d’étonnant que la fécondité de ce Dehesse. Il n’y a pas d’année qu’il ne fasse, soit pour la Cour, soit pour la Ville, douze ou quinze Ballets de cette espece ; tous agréables, rians, intrigués, bien entendus, nettement dessinés, & fort peu ressemblans les uns aux autres. J’aime sur-tout celui du Pedant que tout Paris a admiré ; ces écoliers & ces écoliéres à la débandade quand le Maître sort, replongés dans le livre aussitôt qu’il rentre, jouant à mille jeux pendant qu’il montre en Ville, &c. Tout cela est executé au mieux.
Narração geral► Il y a eu guerre à la Comédie Françoise, c’est-à-dire, dans la Chambre du Conseil, entre Mr. de Lattagnan, qui avoit lu & fait recevoir son *6 Fat à l’Aréopage Comique, & Mr. Marmontel, qui lui avoit donné sa nouvelle Tragédie d’Ægyptus. Le Cothurne a voulu passer avant le Brode-[61]quin ; la Robe *7 a prétendu le pas sur l’Epée ; après bien des contestations, le Cérémonial a été décidé ; Mr. de Lattagnan en a eu les honneurs ; il a été joué le premier, & sifflé. ◀Narração geral
Voila une belle merveille que de faire bonne chére avec bien de l’argent, disoit Valére au Cuisinier d’Harpagon, pour faire sa cour à l’Avare ; il n’y a si pauvre esprit qui n’en fît autant ; mais pour agir en habile homme il faut parler de faire bonne chére avec peu d’argent. C’est à peu près le but d’une Machine imaginée par un Espagnol, adoptée, dit-on, par les Anglois, & que Mr. Duhamel propose de naturaliser Françoise. Il publia l’année derniére un Traité de la Culture des Terres, pour annoncer la nouvelle Machine, qui les fait valoir plus avec moins de semence. S’il eût été précisément question de Cuisine, comme dans Moliére, tous nos bons Citoyens se seroient empressés d’accueillir la découverte ; mais il ne s’agissoit que d’un Art essentiellement utile, & l’on n’y fit guéres d’attention. Mr. Duhamel ne se rebute point, il nous fait part aujourd’hui, dans une nouvelle Brochure, des expériences très heureuses qu’il a faites à ce sujet.
Les expériences sur l’Electricité présentent tous les jours de nouvelles vûes : si bien que je ne desespére point de pouvoir vous foudroyer, quelqu’un de ces jours, si vous me raisonnez, mal ou bien, contre ma fantaisie. Ne vous y jouez pas ; La matiére du Tonnerre & celle de l’Electricité ne sont qu’une seule & même chose ; tout [62] cela n’est que du feu. Mr. Barberet vient de le démontrer ; enfin, s’il ne l’a pas fait, autant vaut pour lui ; il a toujours le Prix de l’Académie de Bordeaux ; & moi je vous établis une trainée de matiére Electrique de votre chef à la premiére nue de bon augure, je tire l’étincelle, qui va faire éclater celle de là-haut, & je vous pulvérise comme verre.
Metatextualidade► Tout ce qui porte l’empreinte du genie, soit dans les Lettres, soit dans les Arts, vous interessant également, Monsieur ; je me fais un devoir de vous annoncer une Curiosité des plus singulieres dans ce genre. ◀Metatextualidade C’est le Cabinet du Sieur Rabigueau. Il est assez surprenant que ce Cabinet, digne de l’attention des Sçavants & de la curiosité du Public, soit aussi peu connu qu’il l’est. Je dois presque au hazard le plaisir de l’avoir vû. Il est composé de sept Machines, toutes aussi ingenieusement imaginées, qu’artistement exécutées. Leurs effets sont d’une precision admirable. On y voit, par exemple, un Mercure Automate repondre par des signes de tête aux differentes questions qu’on peut lui faire ; on fait voir l’emplacement de la figure qui semble ne communiquer à rien. Ici l’on voit un Vaisseau voguer de lui même, & prendre sur un bassin d’eau la route que le Spectateur lui prescrit ; Là une même fontaine laisse échaper, tantôt un jet d’Eau, tantôt un jet de Vin ; Plus loin, en ouvrant une seule porte, on voit tour à tour six Salles differentes, d’une égale grandeur, qui représentent des objets variés, tels que les Vendanges de Cérès, les enchantements de Medée, les Jardins de Flore, &c.
Mais ce que j’ai le plus admiré, ce sont deux [63] Machines de Catoptrique, exécutées avec un art infini. On y voit des balles de cuivre, jettées au dessous, s’élever, & vaincre leur pesanteur, sans que rien les soutienne en l’air. Elles parcourent, dans leur mouvement, des Trophées, des Portiques, des Pyramides, depuis leur base jusqu’à leur sommet. Je ne crois pas qu’il soit possible de rien voir de plus frapant, ni de plus amusant en ce genre, ni que la théorie de la Catoptrique puisse être plus agréablement appliquée.
La Machine de l’Année Merveilleuse, qui est toute nouvelle, n’est pas moins singuliere. On se regarde dans un miroir, & l’on se voit disparoitre, & changer tout à coup d’homme en femme, ou de femme en homme. Un petit Amour sort en même tems du fond de la Machine, & presente des Vers à la personne Metamorphosée. Ce qui m’a le plus étonné, est que ce petit Amour porte, à chaque changement, des Vers differens, sans jamais se méprendre sur le sexe & sur l’âge. Comme le Sieur Rabigueau se flatte que Sa Majesté, à qui il a eu l’honneur de montrer ses Ouvrages, daignera aussi voir l’Année Merveilleuse, il a préparé un changement exprés, par lequel le Roi sera Metamorphosé en une Déesse Couronnée d’Olive. Voici les Vers que l’Amour presentera, à cette occasion, à Sa Majesté,
Nível 3► Allegorie► Louis qui fit trembler la Terre
La rassure par ses bienfaits :
Ce Héros, armé du Tonerre
Se change à mes yeux satisfaits :
Ce n’est plus le Dieu de la Guerre.
C’est la Déesse de la Paix. ◀Allegorie ◀Nível 3
[64] Le Sieur Rabigueau, quoique né avec un génie & un goût singulier pour les Mechaniques, avoit d’abord pris le parti du Barreau ; mais emporté par la force de son naturel, il a renoncé à sa premiere profession,
Et laissant de Cujas la Science trop triste,
De Méchant Avocat devient bon Machiniste.
J’ai l’honneur d’être &c.
Paris ce 15. Avril 1751.
◀Carta/Carta ao editor ◀Nível 2
livres nouveaux
Qui se trouvent à la Haye chez Pierre Gosse Junior, Libraire de S. A. R.
HIstoire des Passions, par l’Auteur des Mœurs, 12. 2 vol. Amst. 1751.
L’Hipocondre, ou la Femme qui ne parle point, Comedie, & le Defiant Confondu ou la duppe de soi-même ; par Mr. J. B. Rousseau, 12. Amst. 1751.
Le Mercure Lyrique, ou le Chansonnier Moderne, Recueil de Chansons nouvelles & Choisies des Meilleurs Auteurs de ce tems, 8. pour le Mois d’Avril 1751. La suite de cet Ouvrage paroitra regulierement le 15 de chaque Mois, & se vend chez ceux qui debitent la Bigarure.
Jeudi ce 22 Avril 1751.
A la Haye, Chez Pierre Gosse Junior, Libraire de S. A. R.
◀Nível 1
1(a) Ces Nouvelles sont celles que M. l’Abbé Clement, Bel-Esprit, & très judicieux Critique, publie, tous les 15 jours à Londres, sous le titre de, Nouvelles Littéraires &c. de France. Un très grand nombre de personnes respectables par leur rang, leur naissance, leur sçavoir, & leur bon goût, nous ayant sollicité, avec empressement, de leur en faire part, nous les donnerons régulierement au Public, à mesure qu’elles paroitront, en les inserant dans cette Feuille Periodique. Avertissement du Libraire.
2* Elle étoit intitulée Lettre sur les Aveugles, à l’usage de ceux qui voient. Elle dut sa fortune à la disgrace de l’auteur, & à quelques pensées libres qui lui coutérent la liberté.
3( Mr. le Batteux, auteur de divers bons ouvrages, me semble avoir prouvé qu’il y a plus d’inversions dans le François, que dans le Latin ; non par rapport à l’ordre métaphysique & fixé après coup ; mais par rapport à l’ordre réel des idées, tel qu’il est dans l’esprit, dans l’intention, & dans le premier mouvement de celui qui parle. Voyez les Lettres à Mr. l’Abbé d’Olivet, à la fin du second tome du Cours de Belles Lettres distribué par exercices.
4* Le mot Art, tel qu’il sera dans ce Dictionnaire.
5* Il est si aisé de l’éluder, ou même de la casser dans l’occasion.
6* Comédie en cinq Actes & en Vers, intitulée Le Fat.
7* Mr. de Lattagnan est Conseiller au Parlement, frere de l’Abbé aux jolies Chansons, dont je vous ai envoyé quelques unes, qui les fait, les chante, & les joue de très bonne grace.